Réforme de l’éducation prioritaire : baisse des moyens et laboratoire de l’autonomie libérale
Le gouvernement socialiste avait prétendu vouloir faire de l’éducation une « priorité » de son quinquennat. Mais que faut-il entendre par « priorité »? Une priorité à la construction d’une éducation mieux dotée en moyens, plus égalitaire et attachée à son rôle émancipateur ? Ou une priorité à la poursuite et à l’aggravation des manques de moyens, à l’accentuation des inégalités sociales et spatiales, et à l’entrée toujours plus importante des logiques libérales dans l’école ? Après plusieurs réformes successives, la réponse est claire ! Le gouvernement s’inscrit dans la logique débutée par leurs prédécesseurs de casse de l’Education Nationale et de nos conditions de travail, d’accentuation des inégalités et d’encadrement idéologique de nos enseignements. La réforme de l’éducation prioritaire présentée par la ministre s’inscrit totalement dans cette logique, entre baisse des moyens et utilisation des REP/REP+ comme laboratoire d’expérience de l’autonomie libérale !
Prendre aux uns pour donner aux autres ! C’est ça avoir une politique éducative ambitieuse ?
La « refonte de l’éducation prioritaire », c’est d’abord une refonte de sa carte. Le ministère a pris soin de l’annoncer en décalé entre les Académies, pour éviter toute convergence des colères. Car, s’il est promis un statu quo numérique, de fait, 5 à 10 % des ZEP actuelles vont sortir du dispositif. 10 %, cela fait une centaine de collèges … qui entraînent avec eux de 3 à 8 écoles primaires, donc de 500 à 800 établissements scolaires touchés par une cure d’austérité drastique. Pour la région parisienne, c’est une hémorragie. Partielle à Paris où 3 collèges sortent dont Valmy (10 ème) et Lucie Faure (20 ème). En banlieue, c’est 5 collèges en moins en Seine-Saint-Denis, 7 dans le Val-deMarne, 8 dans les Hauts-de-Seine et jusqu’à 10 en Seine-et-Marne. Alors que la situation sociale s’est dégradée ces dernières années dans nos quartiers, le « redéploiement à moyens constants », c’est faire sortir des établissements qui ont terriblement besoin de ces moyens, et maintenir à l’écart d’autres qui meurent faute de moyens.
Les conséquences pratiques, ce sont des budgets amputés jusqu’à 20 %. Finis les projets éducatifs innovants, les aides en personnel spécialisé, les voyages linguistiques, tout ce que le ministère prétend défendre. Les classes de collège plafonnées à 25, celles de lycées à 30 seront à oublier, comme ailleurs ce sera les classes de 30 en collège, 36 en lycée. Pour des établissements toujours en difficulté sociale, toute ambition de transmission d’un savoir exigeant serait à abandonner. Pour les personnels enseignants, subir ces conditions difficiles, sans aucun allégement de l’administration, ni aide extérieure, sans compensation matérielle ni récompense symbolique, ce serait trop. Cette carte de l’éducation prioritaire pose la question d’une autre carte, celle de la carte scolaire, dynamitée par la réforme de Sarkozy en 2008, en tout cas à Paris et en proche banlieue. Elle a créé une éducation à trois vitesses après la 3e : entre une minorité de lycées privilégiés, une masse de lycées de seconde zone, et une poignée de lycées-ghettos.
Les REP et REP+ ; des laboratoires de l’autonomie libérale !
C’est peut-être le pire de la réforme. Le plus insidieux, le moins visible mais le mieux intégré. L’éducation prioritaire doit être la maquette de la généralisation de la logique d’autonomie dans l’éducation primaire et secondaire, après son introduction catastrophique au niveau du supérieur. « Réseau », le terme n’est déjà pas neutre. Il est le levier idéologique de la casse de nos territoires de référence, ancrés dans une réalité historique et géographique, accompagnant une appropriation démocratique de la vie quotidienne : les communes, le département et l’État. Logique réticulaire, créative et souple qui serait opposée à celle centralisée, rigide. De l’idéologie dominante en barre.
Concrètement, sur tous les points, les REP/REP + vont être un test sur la faisabilité de la casse de l’Education nationale :
1– Moins de moyens traduits en plus de contrôle bureaucratique, +plus d’acteurs extérieurs dans l’école : la réforme prétend donner une place plus grande aux parents dans le suivi de l’éducation, une aide délivrée par des« experts » qui donneront leurs conseils sur la mise en œuvre pédagogique (qui sont-ils ? Les inspecteurs, les chefs ? Des « coachs-tuteurs », des « conseillers pédagogiques »?). Cette « souplesse » réticulaire, c’est une décentralisation accrue, cette autonomie dans l’établissement, c’est la fin de l’indépendance des enseignants !
2– Moins d’heures en cours mais plus d’heures de tâches administratives : les REP + expérimentaux depuis septembre 2014 donnent une idée. Officiellement, il y a une « pondération » (et non une décharge horaire, la différence est de taille) qui permettra de libérer en collège 1h30 par semaine… consacrées à une coordination dans l’équipe pédagogique : réunions pédagogiques, tâches administratives, suivi des élèves.Qui décide ?Le chef d’établissement,de plus en plus « manager ». Les 1 h 30 peuvent se transformer en 3 ou 5 h. Dans les REP +, cela devient tantôt heures sup, tantôt réunions sup (sans rémunération sup!), intégration à des dispositifs pédagogiques obligatoires. Et la « décharge » uniforme devenue « pondération » à la tête du client pénalise lourdement les TZR, les temps partiels. La logique d’annualisation du temps de travail, cassant le statut du fonctionnaire enseignant, visant à imposer une hausse du temps de travail, s’impose par ce biais-là.
3– Moins de transmission de connaissance, de réflexion, d’esprit critique, plus de compétences, d’approches dites innovantes, de fait rétrogrades : au nom des approches « créatives, ludiques, co-participatives », le seul horizon devient « lire, écrire, compter ». Exit toute ambition d’élévation du niveau culturel, réflexion critique sur le monde et la société, toute volonté de permettre aux élèves de milieu social modeste de rattraper leurs frères disposant d’autres atouts sociaux. Les REP/REP + seront les lieux du « socle de compétences » à ambition 0, de l’abandon hypocrite des notes, et autres réformes cache-sexe de l’école de classe, de l’austérité faite doctrine pédagogique.
La réforme de l’éducation prioritaire est donc une réforme d’austérité, mais plus que cela, c’est un laboratoire d’expérimentation pour la casse de l’Education nationale et pour l’expérimentation de thèses libérales en la matière. C’est plus de pouvoir donné aux chefs d’établissements (avec comme objectif final l’autonomie des établissements), une dégradation de nos conditions de travail (heures plus nombreuses, tâches bureaucratiques récurrentes…), et un encadrement idéologique toujours plus important des contenus enseignés et de nos « choix » pédagogiques. Cela aura également comme conséquence une aggravation des inégalités scolaires avec des moyens accrus pour les lycées côtés et une éducation au rabais pour les autres.
A l’heure où l’école est pointée du doigt, mobilisons-nous massivement pour exiger :
-le retrait pur et simple de ce projet de loi sur l’éducation prioritaire et l’augmentation massive des moyens alloués aux établissements les plus en difficulté.
-l’abandon des logiques libérales et managériales qui touchent l’Education Nationale, et affirmons au contraire le rôle émancipateur que doit avoir l’école.
-l’amélioration de nos conditions de travail, comme par exemple la fin du gel du point d’indice.
-une réelle liberté pédagogique et la fin de l’encadrement idéologique des contenus enseignés.
http://vivelepcf.fr/wp-content/uploads/2015/05/150203_reforme-education-prioritaire.pdf