Commémorer Maurice Thorez (1900 – 11 juillet 1964) : une nécessité pour le PCF et les communistes
EDT pour Vivelepcf, 11 juillet 2014
Il y a 50 ans, le 11 juillet 1964, Maurice Thorez, mourrait d’une congestion cérébrale à 64 ans. Le 16 juillet 1964, sous une chaleur torride, des centaines de milliers de communistes, de sympathisants, de travailleurs défilaient à Paris pour ses obsèques. Pendant plus de 30 ans, la vie de Maurice Thorez, secrétaire général (président à la toute fin) du PCF, s’est confondue avec l’histoire de notre parti, dans sa période la plus structurante, à travers les plus dures épreuves, au moment de sa plus forte influence dans le pays. Dans l’histoire collective du Parti communiste français, en lien avec le mouvement communiste international, la personnalité de l’ancien mineur, devenu dirigeant politique et homme d’Etat, a joué un rôle propre, souvent décisif.
Pour le 50ème anniversaire de sa mort, la direction actuelle du PCF n’a absolument rien organisé : pas une célébration, pas un colloque, pas même une déclaration.
Nous ne pouvons pas nous empêcher de faire le rapprochement, auquel invite la coïncidence de date, avec les centaines d’initiatives impulsées par la direction du PCF pour célébrer Jean Jaurès, le dirigeant socialiste. Le culte d’un ancêtre d’un côté, l’oubli, le reniement d’un père fondateur de l’autre.
Depuis le début de l’année 2014, on trouve 7 articles dans l’Humanité quotidienne faisant, de près ou de loin, référence à Thorez, contre près de 300 à Jaurès… sans parler des suppléments et des numéros spéciaux célébrant ce dernier.
Ces choix mémoriels correspondent évidemment à la ligne politique poursuivie par la direction du PCF, celle de l’effacement de l’identité de classe du Parti pour n’en garder que le nom et le diluer dans une recomposition de « gauche ». Deux choses nous semblent importantes.
Premièrement, on peut et doit pousser la direction du Parti à assumer ouvertement ses choix, en l’occurrence le choix de ses références historiques.
Deuxièmement, pour Jaurès mais surtout pour Thorez, on peut et on doit relancer le débat et l’analyse critiques sur leur action, aussi sur leur conception de la voie vers le socialisme, d’un point de vue communiste, pour travailler à défendre et reconstituer le parti communiste de classe et de masse.
Loin de nous l’idée qu’il ne faille pas commémorer la grande personnalité historique et éclectique de Jaurès cette année ! Notamment pour contrecarrer les récupérations – même de droite – et le procès en béatification à « gauche ».
Mais, d’un point de vue communiste, il y a un fossé entre d’une part, reconnaître dans Jaurès un maillon vers la constitution du parti ouvrier de type nouveau, du PCF et de l’autre, vouloir retourner aux conceptions de Jaurès. C’est bien ce deuxième objectif qu’embrassent la direction du PCF et celle de l’Humanité. Le changement par étapes du sous-titre de l’Huma, « d’organe central du Parti communiste français » à « Journal fondé par Jean Jaurès » le résume parfaitement. Pourtant, à une voix d’administrateur près en 1920 (le communard Camélinat), l’Huma restait aux mains des socio-démocrates…
Si Jaurès a très lentement évolué vers le socialisme, le marxisme, s’il a contribué à unifier un parti socialiste, s’il a créé l’Humanité, s’il s’est montré un défenseur sincère et courageux de la paix, ce n’est pas lui faire injure que de constater qu’il « exprimait l’idéologie des couches de la petite bourgeoisie sympathisantes avec le socialisme, et non l’idéologie de la classe ouvrière » (selon la formule de Georges Cogniot). Il ne s’est jamais sorti du parlementarisme et de la conception démocratique bourgeoise. C’est au retour à cela, avec l’abandon du Parti de classe, que travaillent les directions du PCF depuis la « Mutation » de Robert Hue. Jaurès à l’autre grand avantage d’être l’aïeul également de ces socialistes avec lesquels la direction du PCF veut tellement s’unir et se fondre.
Maurice Thorez, tout au contraire, est la personnification et un acteur principal de la constitution du Parti de classe en France.
Ostraciser la mémoire Thorez aujourd’hui s’expliquerait parce qu’il était et se disait ouvertement « stalinien ». Le seul article, très long, dans l’Humanité Dimanche sur le 50ème anniversaire est une tribune de l’historien, plutôt du psychologue de comptoir, Stéphane Sirot. Il n’a qu’une obsession, réduire Thorez à l’objet (même conscient et consentant) d’un culte de la personnalité, à un personnage fabriqué suivant les consignes de Moscou. C’est lamentable !
Oui, le culte de la personnalité et les aspects ridicules d’une dévotion organisée méritent d’être critiqués, au-delà de la remise dans le contexte. Thorez lui-même avait amorcé – trop tard – cette critique. Mais réduire Thorez et le PCF à cela, dans les pages de l’Humanité-dimanche, c’est insultant pour les communistes !
En 1935, en 1950, quel communiste français n’était pas « stalinien » d’une certaine façon ? Ceux qui en sont choqués aujourd’hui sont ceux qui veulent débaptiser le Parti, qui lui trouvent des valises de plomb à porter, ne supportent pas ses emblèmes. Avec ce parti pris, ces apparatchiks renégats devraient excommunier tous les dirigeants historiques du PCF. Tiens, pour un citer un par hasard, de second plan à l’époque, Paul Laurent (à moins qu’ils nous expliquent que Laurent ne disait pas ce qu’il pensait…). Ils ont de la place ailleurs.
Communistes, nous devons assumer ce passé, les erreurs, même tragiques, notamment les travers dans la prise de décision, la déformation du centralisme démocratique. Mais nous considérons que ce passé est aussi le nôtre et doit servir d’enseignement à ceux qui veulent continuer le Parti communiste français.
Tout communiste ne pouvait qu’être « stalinien » comme Maurice Thorez, d’une certaine façon, parce que Staline, c’était l’URSS et que l’URSS était à la fois le pays de la Révolution d’Octobre, le seul pays où le peuple et son avant-garde avaient battu le capitalisme et le point d’appui de tout le mouvement ouvrier, émancipateur, anticolonial dans le monde. Aussi parce que les échecs du stalinisme – sans parler des drames – sont apparus au grand jour plus tard, et toujours dans un contexte de lutte des classes mondiale et d’anticommunisme féroces.
Mais Thorez, c’est infiniment plus dans l’histoire de notre Parti et de notre pays. Ouvrier devenu intellectuel organique et homme d’Etat : les historiens sociaux-démocrates, formés à la subordination à l’idéologie dominante, peuvent ricaner, ergoter sur les reformulations de son autobiographie « Fils du peuple », mais Thorez l’était et en cela aussi, sans aucune discrimination pour les intellectuels de profession, il représentait le Parti et la capacité de tous les travailleurs à prendre leurs intérêts en main, à en faire l’intérêt général, grâce au Parti communiste.
A propos, c’est à Thorez ministre que l’on doit, entre autres, le statut de la fonction publique.
Thorez est aussi celui qui initie et incarne une certaine politique unitaire marquée par le rassemblement antifasciste, le Front populaire, la Libération. La non-participation au gouvernement en 36 est un choix controversé mais qui s’est vite avéré juste devant l’orientation de Blum.
Cette stratégie du rassemblement s’est exprimée en 1946 dans la fameuse interview au Times, où Thorez envisage d’autres possibilités de passage au socialisme que l’exemple russe. Mais chaque fois, la politique audacieuse d’union qu’il propose et met en œuvre avec ses camarades, se fait sur la base d’un PCF fort, en progrès, ancré dans la classe ouvrière. Cela ferait presque rire quand certains citent Thorez pour justifier des alliances électoralistes ou des « gauches plurielles ».
L’interview du Times, répondant à la fois à un contexte historique particulier marqué par les 28% du PCF aux législatives et la création des démocraties populaires, où les nationalisations étaient des concessions au mouvement ouvrier, a ouvert une perspective de prise du pouvoir par les partis des travailleurs que le système a mis des années à étouffer dans l’Union de la gauche. Mais la vision de Thorez reste féconde.
Il y en a assez aussi d’entendre citer Thorez par la droite régulièrement pour expliquer qu’il « faut savoir finir une grève » en oubliant d’ajouter la suite de la citation de 1935 « dès l’instant où les revendications essentielles ont été obtenues ». Thorez a été responsable syndical. Le rapport entre le Parti à l’entreprise et le syndicat sont une de ses préoccupations essentielles. Toute revendication doit être politisée mais toute action politique doit partir de l’objectif de la satisfaction de la revendication. La citation de 1935 a un précédent, explicité en interne en 1932 : « Savoir terminer une grève peut être plus important que la déclencher ; il faut apprendre à conclure parfois une sorte d’armistice, à ne pas insister sur toutes les revendications pour obtenir la rentrée avec un mouvement conscient de sa force et prêt à d’autres luttes ». Oui.
De Thorez, on devrait évoquer aussi, dans les contradictions historiques successives, l’engagement et les initiatives anticolonialistes, dès l’opposition à la guerre du Rif. De Thorez, on devrait évoquer le rejet de l’atlantisme et des prémices de l’Union européenne avec le Plan Marshall. De Thorez, on devrait étudier les analyses affûtées de la situation politique comme au congrès du PCF de Villeurbanne de janvier 1936, document historique essentiel, observation concrète d’une situation concrète, fidèle aux principes fondamentaux du marxisme-léninisme, à quelques mois de la victoire du Front populaire.
Oui Thorez se confond avec toute l’histoire du PCF. Il en a été un acteur dirigeant. Mais l’histoire, le fil de ses événements, masquent parfois le principal. Pour nous communistes de 2014, le principal est peut-être que Thorez a été, là encore incarnation et acteur majeur de la construction du PCF comme Parti de classe et de masse, centré sur la lutte des classes, organisant et renforçant ceux qui ont le plus intérêt à la mener et qui portent la perspective politique révolutionnaire se jouant et se déjouant des pièges de la démocratie bourgeoise.
Oui Thorez peut continuer à inspirer les communistes, les marxistes-léninistes en France en 2014.
Il n’y a pas une bourgade qui n’ait son avenue Jean Jaurès. Il y a peu de villes qui ont une rue Maurice Thorez et ce ne sont pas n’importe lesquelles.
Oui l’héritage de Thorez est totalement révolutionnaire, donc guère récupérable par l’opportunisme !
J’ai été moi aussi outré de la façon dont l’Humanité Dimanche traitait de l’anniversaire de la mort de Maurice Thorez. Tout l’article était à charge ! C’est particulièrement scandaleux.