Vivelepcf, 10 décembre 2013

Un journaliste américain, et pas des moindres, établit dans un article qui commence à faire parler qu’Obama savait qu’un groupe rebelle islamiste, « Al-Nousra », maîtrisait la fabrication et l’utilisation d’armes chimiques au gaz sarin. Seymour Hersh, lauréat du prix « Pulitzer » a déjà été à l’origine des révélations sur les exactions américaines à Mi Lay au Vietnam en 1969 ou sur les tortures infligées aux prisonniers iraquiens à Abu Grahib en 2004.

En recoupant les déclarations et les informations officielles, des rapports et des  interviews d’éléments des services de renseignements, Seymour Hersh arrive à sa conclusion implacable : Obama et son secrétaire d’Etat Kerry ont menti.

On s’en doutait – la fable des armements de destruction massive de l’Irak est encore récente – mais l’intervention impérialiste avortée en Syrie permet de mieux décortiquer et dénoncer l’appareil de propagande de l’impérialisme américain et de ses alliés.

Fin août, le monde a frôlé une extension internationale de la guerre en Syrie.

Après le bombardement chimique d’une banlieue de Damas, l’appareil de propagande US s’est mis en marche, singé notamment par les gesticulations de Fabius et de Hollande en France.

La suite simpliste s’écrivait ainsi : 1° L’arme chimique est intolérable. 2° Obama avait prévenu que l’utiliser serait « franchir la ligne rouge ». 3° Seul le pouvoir syrien en dispose. 4° Il faut le punir.

En frappant directement le régime syrien, les Etats-Unis auraient rééquilibré les forces en présence, prolongé la guerre, anéanti un peu plus le pays et son unité. C’est leur but de guerre et celui d’Israël.

Mais la complexité de la situation syrienne, la diversité des « rebelles », les contradictions dans les intérêts impérialistes en jeu ont coupé court à ce schéma. Peu d’alliés des Américains ont montré autant d’enthousiasme pour la guerre que le gouvernement français. La Russie a trouvé une porte de sortie avec la résolution de l’ONU sur le désarmement chimique du régime de Damas.

Du coup, la propagande et ses mensonges peut laisser la place aux faits et aux analyses.

Ce qui est avéré par toutes les parties en présence, dont les experts de l’ONU, c’est qu’il y a bien eu usage d’armes chimiques sur le faubourg de Ghouta, que l’agent toxique est le gaz Sarin, et qu’il y a eu des morts. L’estimation des victimes tuées varie de 300 (Médecins sans frontières) à 1.400 (USA)…

En revanche, les experts de l’ONU n’ont jamais attribué l’attaque à une partie ou une autre. La résolution du 26 septembre stipule d’ailleurs qu’ « aucune partie en Syrie ne devra utiliser, développer, produire, stocker ou transférer des armements chimiques ». Elle ne cite aucun groupe.

Le pouvoir syrien a formellement démenti être à l’origine de l’attaque sur Ghuta. Il a mis en avant ses propres images et preuves, fait valoir combien un tel acte politique était absurde dans sa situation stratégique.

Obama, son secrétaire d’Etat Kerry, Hollande, Ayrault ou Fabius, au contraire ont affirmé formellement qu’Assad était coupable parce que seul son régime maîtriserait l’arme chimique.

Seymour Hersh montre que ce dernier point ne tient pas. La CIA, entre autres, avait averti les plus hautes autorités américaines que la milice islamiste Al Nousra, affiliée à Al Qaida, maîtrisait la fabrication en quantité de gaz Sarin et de fusées. Après de premiers bombardements chimiques en mars et avril, les enquêtes des services US l’ont confirmé.

Ne soyons pas naïfs! Seymour Hersh est certainement le relai de tout ou partie des services américains, préparant une réorientation stratégique. Son travail d’investigation n’en est pas moins appréciable et imparable.

Accessoirement, Seymour Hersh prouve sans difficulté que rien ne colle dans l’attribution à l’armée syrienne des ogives retrouvées, dans l’estimation des trajectoires des bombes etc.

Ce serait presque ironique, sans la réalité du drame : les autorités américaines ont affirmé savoir que le régime syrien avait commencé à préparer des munitions chimiques trois jours avant l’attaque. Les bombes au gaz sarin en effet ne restent pas efficaces plus de trois jours et doivent être confectionnées avant chaque utilisation. Cette affirmation a soulevé la colère logique et légitime de certains groupes de la rébellion : « Si vous le saviez, comment avez-vous pu laisser faire ! ».

En fixant sa « ligne rouge », en cachant sa connaissance de l’armement des islamistes, Obama les a incités à passer au crime.

Ironie et cynisme toujours, avec le désarmement unilatéral en cours de l’arsenal chimique du régime Assad, les islamistes, les seuls qui sont (très probablement) déjà passés à l’acte, se retrouveront les seuls à disposer de l’arme chimique en Syrie…

La fin de toute ingérence impérialiste en Syrie est la condition du retour à la paix, à un développement démocratique dans un pays qui ne sera plus jamais comme avant.

En lien l’article de Seymour Hersh, « Whose Sarin ? » sur le journal britannique en ligne 3London Review of Books ».