Vivelepcf, 14 août 2013

Une élue Front de gauche participe aux journées nationalistes de Corte. Des communistes ne laissent pas passer. Lire ci-dessous la tribune de Francis Riolacci (adjoint PCF-Front de gauche à Bastia).  

 

En quelques semaines cet été, plusieurs contradictions fondamentales du Front de gauche en Corse sont apparues au grand jour.

Aux élections régionales de 2010, un accord politique, allant bien au-delà d’un arrangement électoral de 2nd tour, a été signé entre Paul Giacobbi, héritier d’une longue dynastie de notables de Haute-Corse, chef d’une liste radicale-dissidente-PS et Dominique Bucchini, tête de liste du Front de gauche. L’alliance, regroupant deux autres formations, a gagné les élections face à la droite et aux nationalistes (autre droite…).

A Bucchini, le poste de Président de l’Assemblée de Corse, très symbolique mais principalement honorifique. A Giacobbi, la présidence du Conseil exécutif et le pouvoir régional. Le Front de gauche participe avec deux membres au Conseil exécutif.

Nombre d’observateurs avaient jugé ce partenariat « contre-nature ». Giacobbi, homme du patronat local, s’était montré un sympathisant quasiment avoué de Sarkozy. Bucchini est une figure historique du mouvement communiste en Corse-du-Sud (sans que nous oubliions ses prises de position « rénovatrices » anti-Marchais des années 80).

Dans la lignée de ses positions, Giacobbi vient de lancer une nouvelle provocation en juillet. Il se prononce pour un droit de propriété dérogatoire en Corse, opérant une distinction entre « résidents » et « non-résidents ».  Des responsables du PCF ont réagi vivement. Ange Rovere, adjoint au maire de Bastia dénonce une proposition « attentatoire au principe d’égalité devant la Loi, voulant institutionnaliser le communautarisme ». Ils démontent le prétexte de « lutte contre la spéculation » : « Qui vend la terre ? Des Corses ! Qui spécule ? Des Corses ! » ou bien d’autres de toute l’UE et d’ailleurs à travers des prête-nom.

Etape par étape, depuis des décennies, les « radicaux-libéraux », « sociaux-libéraux », « libéraux » et les « nationalistes » travaillent à saper en Corse les acquis sociaux et démocratiques nationaux au profit des milieux patronaux, financiers, sinon mafieux. L’Europe des régions, l’Union européenne sont leurs premiers alliés dans cette besogne, en Corse comme ailleurs. Les gouvernements français accompagnent. La population résiste comme en 2003 quand elle a fait gagner le NON au référendum supprimant les départements.

« L’Europe des régions », les bourgeois « nationalistes » n’ont qu’elle à la bouche aux « journées de Corte » qui réunissent chaque année les mouvements similaires de toute l’Europe. Voilà que cette année, la conseillère exécutive Front-de-gauche (non PCF), également adjointe au maire d’Ajaccio, Mme Maria Guidicelli choisit d’apporter sa caution à ce mouvement en participant à ces journées. Cette décision personnelle, mais prise par l’intéressée au nom du Front de gauche, suscite la profonde colère de nombreux communistes. Mme Giudicelli est-elle naïve ou cynique quand elle prétend « présenter et défendre une approche résolument sociale qui place l’humain au cœur » à des personnalités « nationalistes » comme Jean-Guy Talamoni ?

Francis Rioalacci, adjoint PCF au maire de Bastia, syndicaliste CGT, a vivement réagi. Il n’accepte pas une attitude qui « fait fi des différences fondamentales entre les indépendantistes et les communistes ».

Et quelle rupture avec le libéralisme imaginer en intelligence avec les ultra-libéraux nationalistes et européens ?

Nous reproduisons ci-dessous, de notre propre initiative (passages soulignés par la rédaction), le message de Francis Riolacci. Pour nous, en Corse comme partout ailleurs, des clivages fondamentaux entre l’engagement communiste et la ligne portée par le choix stratégique du Front de gauche ne manqueront pas d’apparaître.

 

MESSAGE DE FRANCIS RIOLACCI

Je m’adresse aux animateurs et animatrices du Front de Gauche qui ont été destinataires de la lettre de Maria Giudicelli les informant de sa décision de participer au meeting politique de Corsica Libera le 3 août dernier à Corte.

C’est une décision grave que Maria justifie par sa volonté de dialoguer avec tous les citoyens pour faire avancer le débat sur le PADDUC. Mais pour dialoguer encore faut-il établir des principes clairs et loyaux, le premier étant la reconnaissance des mêmes valeurs démocratiques. La forme du dialogue conditionne la mise en oeuvre des choix politiques futurs. On doit s’interroger sur la corrélation entre les différents processus institutionnels et la dérive mafieuse et affairiste qui a accompagné leur mise en oeuvre. Or, l’organisation indépendantiste cautionne la violence clandestine et, à la même tribune où s’est exprimée Maria, ses responsables (dans un passé récent) ont applaudi aux assassinats de plusieurs hommes. A aucun moment ils n’ont renoncé à la violence comme mode d’action politique. Maria a fait fi de cette divergence fondamentale entre les indépendantistes et nous. Le résultat de cette faute politique est traduit par les médias qui ont compris la participation de Maria et de l’exécutif comme emboitant le pas à la stratégie politique de Talamoni. Déjà, au lendemain de ce meeting, Paul Giacobbi, avant même le vote de l’Assemblée de Corse et la consultation populaire, dans un “chjami e rispondi” cousu main, lui a répondu et a affirmé qu’il y aura une inscription de la Corse dans la Constitution. Comme si c’était déjà une évidence. Ainsi, après s’être mis d’accord au préalable entre élus, au besoin peut-être de quelques marchandages, alors, et alors seulement, on consultera le peuple pour avis, pour la forme; et si, comme en 2003, il refuse une nouvelle réforme institutionnelle, on le consultera à nouveau, jusqu’à ce que, dégoûté par les manœuvres politiciennes (en lui posant des questions qu’il ne se pose pas), il renonce à ses véritables préoccupations. C’est ce qui a été fait avec le peuple irlandais.

Sauf qu’en Corse, quand le peuple et la démocratie sont bafoués, ce sont les forces de l’argent et les bandes armées qui prennent le pouvoir. N’est-ce pas la corrélation à faire au bout de 30 ans de débats institutionnels déconnectés des réalités populaires? Maria a été présentée à ce meeting comme conseillère exécutive du Front de Gauche. Maria aurait dû indiquer qu’elle s’exprimait à titre personnel. Par ailleurs, j’observe que Maria consacre moins d’efforts à dialoguer avec ceux qui l’ont désignée pour représenter le Front de Gauche à l’exécutif. Déjà, avant tout débat avec les animatrices et les animateurs du Front de Gauche, Maria s’était prononcée pour l’inscription de la Corse dans la Constitution, quitte “à faire sursauter dans mon propre camp, mais ce n’est pas grave”, “nous pouvons nous affranchir du carcan national” avait-elle déclaré (Corse-Matin du 20 mars 2013). Ses prises de position unilatérales, sans débat avec les militants, prennent le contre-pied de ce que nous avons dit durant la campagne des Territoriales, à savoir que le problème corse est avant tout social, il n’y a pas de solution institutionnelle, il faut d’autres choix politiques en rupture avec le libéralisme. Aujourd’hui l’exécutif prétend fonder l’avenir de la Corse sur une inscription particulière dans la Constitution. Autrement dit, plus question d’un changement de cap de la politique de Hollande pour sortir de l’austérité dont les corses souffrent terriblement. L’exécutif affirme que, même si nous ne maîtrisons pas la situation nationale, avec la réforme, nous maîtriserons notre avenir. Plus d’autonomie politique permettrait donc de faire des choix plus favorables aux corses. La lecture du rapport de Pierre Chaubon est édifiante à ce sujet: s’il est bien indiqué que la réforme vise à adapter les lois nationales, il est précisé aussitôt que ce sera dans le respect de la législation européenne, c’est-à-dire de l’ultra libéralisme, de la concurrence libre et non faussée. On a déjà un aperçu dans les transports où plus de 1.000 emplois sont menacés. Autrement dit la réforme constitutionnelle a pour but de faire sauter le “carcan national” des lois sociales, les fameuses “rigidités françaises” nuisibles à la compétitivité des entreprises. Le patronat et les fauteurs de vie chère peuvent continuer à accumuler les profits (licites et frauduleux), demain l’Assemblée de Corse légiférera, notamment sur le droit de grève dans les transports. On se souvient que pendant la grande grève de 1989, nationalistes et socio-professionnels s’opposaient à la “prime coloniale” au profit de la “solution globale”. Michel Rocard ayant répondu que la Corse avait atteint le plafond de la solidarité nationale c’est le statut Joxe qui fut octroyé. J’observe que le rapport Chaubon ne mentionne jamais la solidarité nationale. Qui peut croire que sans la solidarité nationale la Corse pourra être à égalité avec les autres régions françaises? Aujourd’hui le libéral Chaubon nous promet qu’avec une inscription dans la Constitution, la Corse aura les moyens de son développement. Il demande même le transfert du pouvoir fiscal, au-delà de la fiscalité des successions, pour compenser le désengagement de l’Etat et financer les entreprises. Et Jean-Louis Luciani, conseiller exécutif, appelle les Corses à renoncer à “la culture de l’emploi public” pour choisir la création d’emplois privés. Avec Pierre Chaubon je crois entendre Rocard! “Vous n’aurez pas plus de solidarité nationale mais je vous donne un statut” et, on peut le prévoir, une nouvelle zone franche. On comprend mieux les récentes inflexions de Claude Bartolone ne rejetant plus un nouveau statut. Au fond, si les Corses abandonnent la solidarité nationale, ces institutions ne gêneraient pas la politique du gouvernement, bien au contraire, la Corse pourrait même servir de laboratoire. Ainsi il est clair que le débat institutionnel imposé par l’exécutif, en écho aux demandes nationalistes, est une nouvelle diversion aux préoccupations sociales que les Corses ont exprimées aux dernières élections territoriales. Je considère que sur cette question politique fondamentale, la position du Front de Gauche n’est plus représentée à l’exécutif et je demande qu’un large débat démocratique ait lieu au sein du Front de Gauche comme dans les formations qui y participent.

Francis Riolacci, animateur du Front de Gauche, membre du Parti Communiste Français