Le vote Front de gauche n’est pas le vote communiste !
Le vote Front de gauche n’est pas le vote communiste !
Vivelepcf, 26 mai 2012 (copyright pour les cartes)
Certains voudraient voir dans le vote Mélenchon au 1er tour de la présidentielle une résurgence du vote communiste. L’objet de cet article est de montrer que cette assertion est fausse, que la question de la reconstitution du vote communiste, indissociable de l’organisation et de la ligne communistes, est plus que jamais posée.
On peut comprendre certains camarades veuillent se remettre du traumatisme du score réalisé par Marie-George Buffet en 2007. Mais ils oublient qu’elle était candidate sous les couleurs de la « gauche populaire et citoyenne ».
Une grande partie des dirigeants du Parti se sont lancés dans des comparaisons entre le résultat de Mélenchon, ceux de Buffet et de Hue. Leur intention est claire : faire valider la stratégie du Front de gauche, notamment par les communistes sceptiques, à qui l’on a difficilement extorqué un soutien à la candidature Mélenchon en 2011.
On ne manquera pas de remarquer une contradiction : Les mêmes qui situent en interne le vote Front de gauche dans la continuité du vote communiste sont ceux qui effacent le plus, vis-à-vis de l’extérieur, les références au PCF aux législatives… Sur les affiches, le sigle PCF est remplacé presque partout par… la tête du sauveur.
Pour nous, la donnée de départ est évidente. Jean-Luc Mélenchon est socialiste. Le Front de gauche n’est pas un parti communiste. Son résultat électoral à la présidentielle ne peut pas correspondre à celui d’un vote communiste.
Arrive-t-il à retrouver le vote communiste passé ? Là encore, la réponse est globalement non.
Nous vous proposons trois cartes pour l’étayer.
La première est celle de la répartition du vote Marchais à la présidentielle de 1981, par département, en rapport avec sa moyenne nationale, 15,34%.
Nous avons retenu cette référence parce qu’elle a souvent été citée pendant la dernière campagne et parce qu’elle est caractéristique de la carte historique du vote communiste.
Le vote communiste a fait l’objet d’un nombre très important d’études en interne et en externe. Il correspond à la place historique du parti de la classe ouvrière, à son implantation militante (qui en découle), en lien avec des particularités régionales telles que la concentration industrielle, la forme d’exploitation agricole dominante mais aussi la persistance des pratiques religieuses ou l’histoire plus récente, de la Résistance par exemple etc.
A peu de choses près, quelques mutations sociologiques géographiques, on retrouve la même carte des années 50 jusqu’à la fin des années 90. Ensuite, à partir de 2002, avec la participation au gouvernement Jospin et la destruction des organisations de base du Parti, le vote communiste se désintègre aux élections nationales.
La deuxième carte est celle de la répartition par département du vote Mélenchon à la présidentielle de 2012. Nous avons choisi le même dégradé de couleurs, en rapport avec la même référence, la moyenne nationale, 11,14%.
Un premier constat saute aux yeux : les deux cartes n’ont pas grand-chose à voir. Un deuxième : alors que les écarts départementaux sont très importants dans le vote communiste (les extrêmes : 4,7% et 27,7%), le vote Front de gauche est remarquablement homogène nationalement (7,1% et 16,9%).
La troisième carte traduit la différence, en proportions, entre les scores départementaux de Mélenchon 2012 et de Marchais 1981. Les tonalités les plus foncées marquent les départements, comme le Bas-Rhin, la Mayenne, l’Ille-et-Vilaine, où Mélenchon réalise un pourcentage deux fois supérieur à Marchais. Au contraire, les tonalités les plus pâles marquent les départements, comme le Pas-de-Calais, l’Aisne ou les Ardennes où l’ancien sénateur et ministre socialiste fait deux fois moins en pourcentage que l’ancien secrétaire général du PCF. La couleur intermédiaire correspond à la proportion moyenne nationale entre les 11,14% de JLM et les 15,34% de GM.
La troisième carte est quasiment la carte inversée du vote communiste.
Mélenchon fait beaucoup mieux que Marchais dans les zones où l’anticommunisme est traditionnellement fort : Alsace, Pays de Loire, sud du Massif Central… Il fait mieux que Marchais ou s’en rapproche dans certaines zones de force du PS : anciennes comme le Sud-Ouest, plus récentes comme la Bretagne.
Ce que l’on ne voit pas sur la carte par départements, sauf pour Paris, c’est les résultats qu’il atteint dans les villes-centres régionales. A Rennes, Marchais avait obtenu 9,1%, Mélenchon obtient 13,4% ; A Toulouse, Marchais : 15,1%, Mélenchon : 15,9% ; A Besançon, Marchais : 10,0%, Mélenchon : 15,5% ; A Strasbourg, Marchais : 4,9%, Mélenchon : 11,4% ; A Montpellier, Marchais : 12,4%, Mélenchon : 15,7%.
En revanche, Mélenchon est très en dessous dans plusieurs zones fortes du vote communiste, singulièrement le Nord et l’Est industriels. Dans le midi méditerranéen, ses scores sont en général plus élevés que sa moyenne nationale mais très en retrait sur ceux de Marchais. Dans le nord du Massif Central, il est également en retrait.
Ces comparaisons géographique traduisent de très grandes différences dans la répartition sociale entre le vote Mélenchon et le vote communiste.
En l’absence de possibilité de vote communiste et avec le soutien de la direction du PCF à sa candidature, ce qui est resté du vote communiste, éclaté, localisé ces dernières années est allé partiellement vers le vote Mélenchon. C’est indéniable. C’est notamment le cas dans les communes à direction PCF subsistantes, notamment en banlieue, où l’implication des équipes municipales a joué, même si le vote Mélenchon reste en retrait du vote Marchais.
Dans ces villes notamment (dans les dits « quartiers populaires », pauvres en fait), Mélenchon a capté une partie du vote des personnes « issues de l’immigration » africaine. Ces voix se sont massivement portées sur la gauche, pour des raisons évidentes, face au discours agressif anti-immigrés de Sarkozy et Le Pen, en grande majorité sur le vote Hollande mais aussi sur le vote Mélenchon. Pendant toute la campagne, ce dernier s’est nettement appliqué à cibler cet électorat.
Mais globalement les caractéristiques sociales du vote spécifiquement Front de gauche se distinguent largement de celles du vote PCF.
Schématiquement, son succès en centre-ville exprime une adhésion des catégories moyennes, plus éduquées, plus « politisées » dans le sens où elles s’intéressent plus à la vie politique, même dégradée. Son échec dans les secteurs industriels montre une défiance de la classe ouvrière pour laquelle le PCF avait constitué une référence politique.
L’électorat rencontré par Mélenchon possède beaucoup d’analogies avec celui qui peut se reconnaître tantôt chez Besancenot, tantôt chez les écologistes.
Ce constat ne saurait nous surprendre. Il nous renvoie au fait que Mélenchon est un socialiste, un notable socialiste, dont la campagne a reposé avant tout sur des effets médiatiques, au fait que le Front de gauche, organisation en formation dans l’esprit de l’expérience avortée des collectifs antilibéraux ou du phénomène de l’indignation, n’a rien d’un parti de classe.
Il montre aussi que la tentative du sénateur honoraire de « faire peuple » en pratiquant un populisme revendiqué, en étudiant la vulgarité de ses formules, c’est-à-dire en méprisant fondamentalement les classes laborieuses, n’a pas pris chez elles.
A supposer que c’était son but, il a échoué par cette voie à contrecarrer la démagogie sociale, alliée au discours de haine, de l’extrême-droite.
Notre problème n’est pas tant de démentir ceux qui prétendre voir dans le vote Front de gauche la suite du vote communiste que de souligner la gravité de l’absence des positions et de l’organisation communistes telles que le vote communiste les reflétait.
Le vote communiste était un vote structuré, appuyé sur une organisation militant à contre-courant du système capitaliste qui était parvenue à faire agir, à être le Parti jusqu’à ses directions, de ceux qui ont le plus intérêt à combattre le capitalisme : la classe ouvrière.
Voilà ce qu’il faut reconstituer, en écartant les leurres petits-bourgeois gauchistes et socialistes tour à tour ou en même temps, en renversant le processus de mutation-« transformation »-liquidation du PCF en parti comme les autres.