Au CN du PCF de juin 2014, puis à la Conférence nationale de novembre : alimenter des illusions sur une nouvelle « gauche plurielle » d’ici 2017 ? Non, merci ! On a donné !
Dominique Negri, Emmanuel Dang Tran, membres du CN, vivelepcf, 28 juillet 2014
Le Conseil national du PCF s’est réuni les 14 et 15 juin 2014. Dans un contexte marqué par l’aggravation de la politique au service du Medef, par les sombres résultats des élections européennes, par une nouvelle crise du Front de gauche, mais également par la montée de luttes aussi importantes que celle des cheminots, les communistes étaient en droit de concevoir de grandes attentes avant ce CN. Elles ont été déçues.
Certes, une conférence nationale est officiellement convoquée pour les 8 et 9 novembre. Ce sera l’occasion à partir de la Fête de l’Huma de pousser le débat dans le Parti et au-delà. Mais dans le cadre statutaire restrictif, il est clair qu’elle vise à avaliser la « relance stratégique » engagée par Pierre Laurent et une majorité du CN. Il est frappant que le secrétaire national, au milieu du CN, le samedi 14 au soir – la résolution n’étant pas encore adoptée – choisisse d’aller figurer à la tribune du meeting d’un club du PS, dénommé « Un monde d’avance », présidé par Henri Emmanuelli, en compagnie d’une sélection de dirigeants PS et EELV…
Le nouveau « choix stratégique », c’est la poursuite de l’ancien : toujours aller dans le mur mais plus vite ! C’est la combinaison d’un Front de gauche élargi (avec une diminution illusoire de l’influence de Mélenchon) et d’alliances plus larges encore, avec les « écologistes » et des courants du PS. L’appellation choisie, le « Front du peuple », en référence à 1936, est complètement déplacée.
Nous sommes intervenus trois fois, avec notre point de vue local et notre expérience différents, mais animés du même refus radical de ce cours suicidaire et de la même conviction que les communistes doivent prendre l’initiative pour défendre et reconstituer leur parti.
Enfin, on a parlé au Conseil national de la « réforme ferroviaire ». Une résolution soutenant clairement les cheminots, alors en grève depuis 5 jours, a été adoptée. Le sujet n’en est pas moins resté très secondaire dans les discussions et encore davantage dans le rapport. Il était trop tard pour corriger l’indifférence, très politique, que nous avions essayé de contrecarrer aux CN précédents en appelant à une campagne nationale de masse pour préparer cette lutte essentielle.
Le CN des 14 et 15 est loin d’avoir tout clarifié pour autant.
Le porte-parole des députés Front de gauche pour la « réforme ferroviaire », André Chassaigne était absent. Il a pourtant trouvé le temps, ce même week-end-là, de s’afficher au meeting du « Monde d’avance » d’Emmanuelli. Son absence au CN a été très dommageable. Après son abstention en commission parlementaire sur l’ensemble du projet de loi, le débat que nous avons engagé, malheureusement unilatéralement, aurait pu éclairer et peut-être infléchir d’autres positions adoptées la semaine suivante, très regrettables aussi bien pour la lutte des cheminots que pour le Parti.
André Chassaigne s’est en effet à nouveau abstenu sur l’article dissolvant la SNCF de 1937 puis il est intervenu dans les médias, qui l’ont largement relayé, le jeudi 19 juin, pour vanter les « avancées » accordées par le gouvernement, à contre-courant des syndicats grévistes et invitant explicitement à la fin de la grève.
Il y a une grande cohérence entre ce type de positionnements de repli, tournés vers la négociation d’un moindre mal, à rebours de l’avant-garde des luttes et la stratégie poursuivie de composition avec certains cercles du PS, d’ailleurs notoirement liés à la CFDT.
Mais est apparue à nouveau la contradiction fondamentale entre ce que représente toujours le PCF dans le pays et en particulier dans le monde cheminot et cette orientation actuelle. Les députés communistes ont, fort heureusement, fini par voter contre l’ensemble du projet de loi. Les « alliés » potentiels courtisés, EELV ou courant aubryiste du PS ont, en revanche, voté comme un seul homme la dissolution de la SNCF…
Les 14 et 15 juin, c’était la première réunion du CN après les élections européennes. Personne n’a présenté le résultat du Front de gauche comme un succès… Mais l’analyse des causes de l’échec a été éludée, notamment dans le rapport de Pierre Laurent.
Nous avons rappelé que les listes du Front de gauche n’ont réuni que 6,3% des exprimés, se situant sensiblement au même niveau qu’en 2009, alors que le NPA, dont la moitié des dirigeants l’a rejoint entre temps, s’est effondré de 4,8% à 0,4%. Une fois de plus, la formule Front de gauche s’est soldée par une perte d’élus PCF : il n’en reste plus qu’un seul au Parlement européen contre 2 en 2009 (20 en 1979…).
La perspective politique qu’ont tracée les élections européennes est sombre. Heureusement que depuis, les luttes ont commencé à changer la donne.
Après les municipales, Hollande et le PS enregistrent un nouveau désaveu électoral quasiment sans précédent. Aux européennes, sur globalement les mêmes orientations politiques, (avant les règlements de comptes et de mécomptes), l’UMP n’a pas pu encore représenter un vote d’alternance par défaut.
Pourtant le pouvoir est en situation d’aggraver encore et d’accélérer sa politique de contre-réformes structurelles. Valls alourdit le « pacte de responsabilité » de nouveaux cadeaux au patronat et lance la « réforme territoriale » (cette dernière très discutée au CN).
La défiance s’est exprimée électoralement par l’abstention et par le vote FN. L’arrivée en tête du FN, avec 25% des exprimés, est un symbole. Il dépasse largement la réalité de sa force politique mais fait néanmoins peser une menace. Le résultat du FN est exploité outrancièrement par les autres forces du système, comme diversion et repoussoir, pour mieux faire passer leur politique antisociale.
Les échanges au Conseil national ont permis de préciser certains constats, par exemple sur la nature différenciée de la progression du FN et ses limites, sur la poussée de valeurs de droite sur fond de désillusion politique générale. Mais sur l’échec du Front de gauche, les considérations sont restées principalement électorales et électoralistes : image brouillée par les disputes internes, par les sorties de Mélenchon etc. Quelques voix, en plus des nôtres, ont reproché l’alignement sur le dirigeant grec Tsipras, si socialo-compatible et si pro-UE, dont le rôle prioritaire (ça, il n’y a que nous à l’avoir dénoncé) est de défendre l’euro.
Nous avons insisté, pour notre part, sur les raisons politiques profondes du revers électoral. La stratégie du « Front du peuple » les reprend et donnera immanquablement le même résultat.
Le Front de gauche a été englobé dans le vote de défiance vis-à-vis du pouvoir PS. Les illusions propagées avant 2012, notamment par Mélenchon avec son report inconditionnel sur Hollande, coûtent cher aujourd’hui au Front de gauche. Les compromissions électorales du PCF, aux municipales, en premier lieu à Paris, très médiatisées, ont alourdi cette tendance.
Le Front de gauche n’offre aucune autre perspective qu’une perspective institutionnelle et politicienne d’ici 2017. Mélenchon s’est proposé pour être le premier ministre de Hollande ou ministre de Montebourg… La direction du PCF continue à voir une majorité parlementaire de « gauche » existante capable d’infléchir la politique du gouvernement. La stratégie du « Front du peuple » aggrave encore cette déformation d’optique. Nous ne nous étendons pas sur l’image et la réalité lamentables associées au Front de gauche, terrain de la lutte des places à chaque élection.
Le Front de gauche est en complet décalage avec le rejet de classe profond et justifié de l’Union européenne du capital. Il poursuit le reniement des analyses historiques du PCF.
Mélenchon a tenté d’adopter un discours plus critique dans les mots, franchouillard parfois, vaseux sur l’euro. Mais Maastrichien, il ne va jamais au fond des choses. Son radicalisme de façade sert dangereusement la soupe au FN qui n’a qu’à se contenter de postures. Son activisme dans la dénonciation du projet de traité de libre-échange USA/EU, TAFTA (dénonciation justifiée) a dérivé vers un anti-américanisme primaire tendant à défendre une communauté d’intérêt européenne. Là encore, Le Pen s’est engouffrée dans la brèche.
De son côté, la direction du PCF, alignée derrière Tsipras pendant la campagne, s’est enferrée dans les positions du PGE favorables à l’intégration européenne, répandant le mythe de « l’Europe sociale ». Ses propositions technocratiques illusoires de réorientation des institutions européennes sont restées inaudibles et incompréhensibles.
Année après année, de congrès en conférences, la direction du Parti évite de remettre à plat les positions qu’elle a adoptées depuis son virage euro-constructif de la fin des années 90. Elle ne pourra pas se défausser éternellement car c’est indispensable.
Patrick Le Hyaric a réussi l’exploit d’organiser une réunion électorale sur les transports, déplaçant tous les enjeux au niveau européen, sans qu’un seul mot sur la plaquette d’invitation, ne mentionne le projet de « réforme ferroviaire » en France et les possibilités de s’y opposer.
Dans l’Huma du 28 juillet, le journaliste relate que Pierre Laurent, à l’université d’été du PGE qu’il préside, a déploré que « l’idée qu’une sortie de crise avec l’UE soit discréditée ». Quel décalage en effet avec les travailleurs français, avec l’électorat populaire!
Pour Pierre Laurent, on a l’impression que l’échec électoral aux européennes était acté d’avance. Le 2 avril, il réunissait le CN pour faire avaliser une proposition d’accord électoral et de répartition des places entre composantes du Front de gauche qu’il jugeait déjà « mauvaise ». Nous avons voté contre, seuls (Eric Jalade et Emmanuel Dang Tran). Le 11 avril, il réunit à nouveau le CN pour avaliser cette fois le principe d’un accord encore « plus mauvais » (vote négatif plus large).
La poursuite de la stratégie du Front de gauche « élargi » et sa combinaison avec le « Front des luttes » en direction d’éléments du PS et d’EELV passait visiblement par ce sacrifice, après les municipales. Enfermée dans ce choix, la direction du PCF est obligée de rester soumise aux diktats de Mélenchon, dépositaire de fait du Front de gauche. Mais préparant la suite, malgré nos protestations argumentées, elle a attribué une des 3 places éligibles (deux élus seulement à la fin) laissées au PCF à la personnalité de sensibilité socialiste et pro-UE, Marie-Christine Vergiat, réélue de justesse. Ancienne secrétaire du groupe PS à l’Assemblée nationale, pendant Maastricht, ancienne collaboratrice de Martine Aubry, elle représente pleinement la main tendue au PS.
La stratégie du « Front du peuple » est une nouvelle fuite en avant. Elle ne peut conduire qu’à de nouveaux déboires, à éloigner le PCF encore davantage de sa raison d’être dans la lutte des classes.
La direction du Parti se refuse d’abord à solder l’échec du Front de gauche, qui lui a pourtant déjà tant coûté. Nous avons montré au CN combien c’est une illusion complète de penser que Mélenchon restera dans sa boîte, même après sa fausse sortie médiatique. Il reste le détenteur de la marque « Front de gauche », même si quelques autres (Mme Autain par exemple) veulent le concurrencer dans le rôle. Le Front de gauche continuera à porter la voix d’un gauchisme institutionnel, force d’appoint de la social-démocratie de l’extérieur.
Comment croire et à qui faire croire que les courants de « gauche » du PS représentent une quelconque alternative de rupture ? Un peu de radicalité de façade dans le réformisme ? Même pas ! Pierre Laurent se félicitait dimanche 15 juin de s’être fait chaudement applaudir par les MJS (jeunes socialistes) au meeting d’Emmanuelli. Il devrait plutôt s’inquiéter. Le chef de file des députés PS « frondeurs », Jean-Marc Germain qui siégeait à ses côtés à la tribune, du courant Aubry, a été l’an dernier rapporteur du projet de loi de flexibilisation du licenciement, transposant l’ANI du Medef et de la CFDT…
Un accord sur un projet ? Des brochures de cette sorte, précédant les élections, il y en a plein les greniers. Sur le contenu, une nouvelle dérive à droite après l’Humain d’abord est à redouter dans la mesure où l’on se rassemblerait sur la base des déçus de Hollande et donc des thèses PS et EELV de 2012. Le document du club PS « Gauche avenir » de Marie-Noëlle Lienemann et Paul Quilès, présenté en présence de Pierre Laurent le 10 juillet donne une idée du flou réformiste et conformiste de la démarche.
Le projet de résolution, à peine amendé, soumis au vote du CN le 15 juin annonce la perspective : « rendre possible, d’ici 2017, l’ouverture d’une perspective de gauche » ou encore, « la politique que nous voulons faire gagner en 2017 ». La stratégie de « Front du peuple » consiste bien à préparer les primaires de 2017, à reconstituer d’ici cette date une illusion électorale à « gauche ».
Dans l’immédiat, le risque est grand de se retrouver à accompagner de nouvelles contre-réformes du pouvoir en compagnie de l’aile « gauche » du PS. La demande de « contreparties » aux aides accordées au patronat en valide le principe politiquement. Certaines propositions de nationalisation (Alstom) sont détournées et récupérées par Montebourg pour justifier le soutien de l’Etat, avec des prises de participation partielles et temporaire au capital, à la casse de PSA en France ou à la prise de contrôle d’Alstom par General Electric.
Aubry et ses acolytes ont aussi un autre projet lourd de conséquences en tête, correspondant à un engagement de Hollande, la fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG qui permettrait de couper un lien restant principal entre la création de richesse dans l’entreprise et le financement de la Sécurité sociale.
Au CN, nous avons aussi mis en garde contre l’imposture intellectuelle, séduisante dans l’expression, que constitue l’objectif de la « baisse du coût du capital », repris par pas mal au PS. C’est une resucée de l’opposition fictive entre bon capitalisme productif et méchant capitalisme financier. « Coût du capital ou coût du travail », on se place toujours du point de vue du capitaliste ! Il n’y a pas de profit capitaliste acceptable !
D’ici la Conférence nationale du Parti des 8 et 9 novembre, nous voyons se mettre en place une nouvelle fois une répartition des rôles entre différents « clans » dirigeants. Dans la combinaison « Front de gauche + Front du peuple », certains vont miser davantage sur l’élargissement du Front de gauche en revendiquant une forme d’intégration du Parti, d’autres davantage sur le « rassemblement majoritaire » tout en adoptant une phraséologie plus « identitaire ».
Si certains veulent structurer le Front de gauche et créer un autre parti : qu’ils le fassent, mais en dehors du PCF ! Il est inadmissible que les structures formelles ou informelles du Front de gauche supplantent le PCF. Mais c’est la conséquence directe du choix de la direction du Parti.
Nous ne nous laisserons pas entraîner dans ces débats faussés, ces diversions. Les communistes ont déjà assisté à la mise en scène de la fausse opposition Mélenchon/Chassaigne en 2011 pour légitimer le soutien à la candidature de Mélenchon en 2012.
Il existe une alternative à la poursuite, sous des dénominations différentes, de la stratégie d’effacement du PCF et de ce qu’il représente. C’est de le faire vivre et de le renforcer sur ses positions historiques, ses fondamentaux théoriques, des positions de rupture immédiates, de le faire vivre en phase avec la lutte des classes en France.
Les récentes luttes, à forte participation jeune, ont exprimé la recherche de points d’appui politiques idéologiques et organisés. Sur un autre plan, elles ont déjoué la conférence sociale de Hollande et sa tentative d’intégration des syndicats à sa politique.
De grandes batailles s’annoncent pour la rentrée. Renforcés, les cheminots ne laisseront pas passer comme cela l’application de la « réforme ferroviaire ». Les coupes sombres dans les budgets publics et sociaux, par exemple l’hôpital, correspondant au « pacte de responsabilité » peuvent et doivent faire naître des mouvements conséquents. De même que les augmentations des tarifs publics, notamment ceux de l’électricité, prudemment reportées par le gouvernement. Il s’en est fallu de très peu pour que la convergence des luttes s’opère en juin.
Dès la rentrée, camarades, continuons à renforcer, reconstituer nos organisations du PCF, sur des bases de lutte et notre théorie révolutionnaire, pour nous réapproprier notre parti, pour rester fidèles à notre engagement.
Pendant que le sénateur Laurent changera l’UE de l’intérieur , vous lui courrez à la culotte en voulant changer le PCF et notre peuple trinquera.
La catastrophe est imminente
On ne la conjurera sans une action concrète
Attendrez-vous le 50 ième congrés ?