Journée nationale du souvenir de la déportation, dimanche 28 avril 2013,

Déclaration d’Emile Torner,

Ancien déporté à Buchenwald-Langenstein

Président de l’Association départementale des déportés, internés, résistants et patriotes de Paris

Prononcé lors de la cérémonie du 15ème arrondissement, devant le monument aux morts

 

Mesdames et Messieurs les élus, chers camarades et amis, Mesdames, Messieurs,

Mes camarades m’ont confié la tâche de présider l’ADIRP de Paris, l’association départementale des anciens déportés-internés-résistants-patriotes.

Continuer à témoigner, c’est une bien lourde tâche pour nous, rares survivants, alors que notre nombre et nos forces déclinent inexorablement. Mais nous savons pourquoi nous le faisons et nous l’assumons encore, 68 ans après la libération des camps par les armées alliées.

Le temps presse. Jusqu’au bout, tout doit être fait pour établir, le plus incontestablement possible, la vérité, pour établir dans la société, « l’impossible oubli » de « l’indicible horreur » des camps de concentration.

Mon camarade Charles Palant a relaté sa tragédie personnelle, les conditions de son retour. Mon ami, Maurice Obréjean, a évoqué le sort dramatique de sa famille. Notre camarade, Madeleine Rabitchov, qui regrette de ne pas être des nôtres, continue, courageusement, inlassablement à décrire ce qu’elle a vu : l’horreur absolue! Ainsi ces enfants juifs jetés vivants dans la chaux vive à Auschwitz.

A Langenstein, filiale de Buchenwald, mes compagnons et moi-même n’étions plus qu’un groupe d’esclaves destinés à être exploités jusqu’à ce que mort s’en suive, dans des usines souterraines, pour une durée calculée économiquement de 6 mois. A la Libération, 5 mois après mon arrivée, mourant, mangeant de l’herbe, je pesais 28 kilos!

Le système concentrationnaire nazi avait sa rationalité sinistre, tournée vers le profit de l’industrie et des konzerns allemands…

160.000 êtres humains, 85.000 résistants ou otages, 75.000 raflés suivant les critères raciaux de l’occupant, repris par le régime de Vichy, ont été déportés de France et conduits vers l’extermination immédiate dans les chambres à gaz ou vers l’extermination par le travail forcé. La moitié des premiers ont pu revenir grâce à la fin de la guerre, seulement 2.500 des seconds…

Saluons le travail des associations, des historiens, de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation. Une somme considérable de documents, de preuves, a été rassemblée. Mais contre le négationnisme, les révisionnismes, la Mémoire demeurera toujours un combat.

Le temps presse et, survivants, contrairement à nos espérances et convictions de la Libération, nous le vivons dans l’angoisse.

Pour l’instant, en France, on n’entend pas le bruit des bottes, sinon lointain et assourdi par le sable. Mais les déclarations et affiches xénophobes et racistes prolifèrent sur les ondes et les murs, sans parler d’internet. Des groupuscules extrémistes profitent de fins de manifestation pour tester leur agressivité. Des organisations, qui dissimulent bien mal leur filiation fasciste, atteignent en France, comme dans les autres pays d’Europe, des résultats électoraux inquiétants. Ils servent à détourner les peurs et détresses causées par le chômage de masse, par la crise du système économique.

Sans exagération, mais avec vigilance, voilà qui ne peut que nous rappeler un autre anniversaire. Il y a 80 ans cette année, Hitler accédait au pouvoir, en pleine crise économique. Le large soutien des tenants du système lui permet d’opérer en quelques mois un coup d’Etat aux apparences légales.

Dès 1933, les nazis ouvrent les premiers camps de concentration pour y torturer et enfermer les communistes, les syndicalistes, les antifascistes, les socialistes, puis tous les résistants démocrates. Dachau, dès le 21 mars !

s avril 1933, sont appliquées les premières mesures de discriminations antisémites.

En l’espace de 6 ans, c’est la guerre. En 12 ans, c’est le plus grand crime contre l’Humanité jamais perpétré, qui est également le pire désastre connu par le peuple allemand lui-même.

Le Parti national-socialiste n’avait rien de « socialiste » ni même de « national » !

L’horreur des camps avait une origine, une généalogie. C’est pour cela aussi, et même surtout, que nous témoignons !

En France, le fascisme n’est pas passé dans les années 30. Son avènement ne s’est produit que sous la coupe de l’occupant allemand, au sein de « l’Europe allemande », à la faveur de ce que l’historien, résistant et martyr, Marc Bloch a appelé « l’étrange défaite ».

N’oublions jamais que les 13.152 juifs, dont 4.115 enfants parqués dans le 15ème au Vel d’hiv en juillet 1942, avant de partir vers la mort via Drancy, ont été arrêtés par la police et la gendarmerie françaises !

En 2013, nous allons célébrer un autre anniversaire, celui du 27 mai 1943, le 70ème de la création du Conseil national de la Résistance, le CNR. L’importance de cette date ne doit manquer à personne.

L’unification des forces résistantes a eu des effets considérables dans la lutte pour le recouvrement de notre indépendance, pour la reconstruction du pays sur une base nouvelle.

Au cœur même des camps, le CNR a revivifié la résistance française. Ainsi à Buchenwald, un Comité des intérêts français a été constitué clandestinement, dans les pires conditions, avec à sa tête Marcel Paul, futur ministre communiste de la production et de la constitution d’EDF et de GDF nationalisés, et le colonel Frédéric-Henri Manhès, bras droit de Jean Moulin.

Une proposition de loi a été adoptée par le Sénat, le 28 mars dernier, pour faire du 27 mai une journée de commémoration nationale.

On ne peut que se réjouir de la quasi-unanimité des sénateurs de tous les partis en faveur de cette loi. Cependant, on ne peut que constater que l’œuvre du CNR est détruite pan par pan, année après années, par les majorités parlementaires successives auxquelles ils appartiennent…

Le 15 mars 1944, le CNR adoptait le programme qui allait largement inspirer les grandes réformes de la Libération.

Il estimait nécessaire « l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie ». Aux yeux de tous, elles avaient trahi.

Les classes possédantes se sont révélées et disqualifiées dans la collaboration. La classe ouvrière a été la « seule classe, qui dans sa masse, sera restée fidèle à la patrie profanée » comme l’a si bien exprimé François Mauriac.

Le programme du CNR a représenté un compromis national, partant de cette expérience de la guerre, vécue par le peuple dans sa chair.

Ce compromis issu de la guerre a permis le relèvement du pays, des acquis sociaux et démocratiques aussi importants et féconds que les nationalisations des grands services publics et la sécurité sociale.

Mesdames, Messieurs, 68 ans après la Libération, la force de l’expérience de la Résistance et de la Déportation, se retrouve encore dans l’unité des votes au Sénat. Cette unité, je la retrouve au premier rang de cette cérémonie. Je m’en félicite, je vous en remercie. Je sais qu’elle reflète un sentiment fort animé par le mouvement populaire.

Du plus profond de mon expérience, parlant pour moi-même, mais certain d’exprimer le sentiment de mes camarades, je souhaite que cette unité s’exprime dans la fidélité et la défense des acquis de la Libération, si chèrement payés par la Résistance et la Déportation. Je vois à quel point notre combat pour la Mémoire rejoint les luttes d’aujourd’hui !

Mesdames, Messieurs, permettez-moi de conclure par l’avertissement célèbre d’un nos camarades allemands, déporté à Sachsenhausen et Dachau, le Pasteur Martin Niemöller.

Quand ils sont venus chercher les communistes,
Je n’ai rien dit,
Je n’étais pas communiste.

Quand ils sont venus chercher les syndicalistes,
Je n’ai rien dit,
Je n’étais pas syndicaliste.

Quand ils sont venus chercher les juifs,
Je n’ai pas protesté,
Je n’étais pas juif.

Quand ils sont venus chercher les catholiques,
Je n’ai pas protesté,
Je n’étais pas catholique.

Puis ils sont venus me chercher,
Et il ne restait personne pour protester