Elections en Italie : la colère populaire détournée, le mouvement communiste au plus bas.
Elections en Italie : le capitalisme réussit, pour l’instant, à stériliser la colère populaire !
Le mouvement communiste entraîné encore plus bas avec la « révolution citoyenne » d’un Front de gauche à l’italienne (2%).
Vivelepcf, 26 février 2013
Au nom de la « crise » et d’une dette héritée des années 80 et 90, le capitalisme italien et européen fait subir aux travailleurs et au peuple les pires reculs sociaux depuis la Libération. Mais la bourgeoisie italienne réussit, pour l’instant, à détourner la colère populaire, comme l’illustrent les résultats des élections générales des 24 et 25 février.
Mario Monti sacrifié sur l’autel de l’austérité
Le capital a trouvé en 2011 l’homme qu’il fallait pour mettre en œuvre et surtout pour assumer sa politique : Mario Monti, l’ancien président de la commission européenne et l’ancien collaborateur du groupe financier américain Goldmann Sachs.
L’idéologie dominante est parvenue à le faire passer, sinon pour un homme providentiel, pour un « monsieur propre ». Elle a mis en scène le contraste, facile, entre la dépravation morale et politique étalée de Berlusconi et l’austérité et la compétence présumée du technocrate, familier des marchés financiers internationaux.
Dans le désarroi politique général et la dramatisation de la pression de la finance, le « professore » Monti, devenu président du conseil, est arrivé à faire passer les pilules les plus amères : la « flexibilisation » du marché du travail, la retraite à 66 ans, sans indexation sur les prix, l’asphyxie des services publics etc. Au total, 130 milliards d’euros pris au peuple. Il a bénéficié d’une longue période d’atonie, sinon de bienveillance, des organisations syndicales, prêtes à tout négocier.
Maintenant, le mal est fait. Personne ne songe à revenir sur ces contre-réformes antisociales. Exit Monti ! Aux élections générales, sa coalition politique enregistre un désaveu cinglant : moins de 10% des voix. Rien de plus logique.
70% pour les partis de l’austérité !
10% seulement pour Monti mais 30% pour le Parti démocrate et 30% pour la coalition de Berlusconi ! L’idéologie dominante a incroyablement réussi ce premier tour de force de rassembler plus de 70% des suffrages derrière les formations politiques qui ont soutenu sa politique.
Avec subtilité, les media ont insisté sur le fait que Monti n’avait pas porté au pouvoir par le suffrage universel. C’était pour mieux masquer qu’il était soutenu par une majorité parlementaire, bien élue, unissant de la droite berlusconienne et de la gauche conduite par le PD.
La coalition menée par le PD de Luigi Bersani est arrivée en tête. Elle obtient la « prime » majoritaire à la chambre des députés. Elle a engrangé, au « centre-gauche », les voix de l’alternance. Le dégoût de larges milieux pour le repoussoir Berlusconi l’a servie, du moins par défaut. Mais la performance du PD est décevante : 29,54% à l’élection législative, 31,66% à la sénatoriale. Le PD visiblement a payé son soutien à Monti et son engagement pour l’euro et l’UE.
De l’autre côté, en à peine quelques mois, le système est parvenu à réaliser l’inimaginable. Il a remis en selle Silvio Berlusconi. Sa coalition réalise 29,13% à la législative et 30,73% à la sénatoriale. Au Sénat, c’est elle qui dispose du plus d’élus grâce au scrutin à base régionale.
Le succès de ce nouveau lifting politique est aussi incroyable qu’inquiétant. Le système a réussi à faire passer Berlusconi pour un opposant à la politique qu’il a lui-même engagée puis soutenue, pour un opposant à l’UE. Dans le positionnement d’extrême-droite, Berlusconi est allé jusqu’à mouiller sa chemise brune vantant l’héritage économique et social de Mussolini, suppléant son allié, la Ligue du Nord, engluée dans des scandales financiers.
Les Cinq étoiles de Beppe Grillo : un populisme de « gauche » sans lendemain ?
L’idéologie dominante a réussi un deuxième tour de force : celui de diriger une grande part de la protestation populaire vers une incongruité politique: Beppe Grillo.
Avant d’en venir à lui, nous n’oublions pas les 25% d’abstention, taux non négligeable dans un pays où le vote était encore obligatoire il y a peu.
La Parti de Grillo, « les Cinq étoiles », obtient 25,5% à la législative et 23,8% à la sénatoriale. Il ressort premier en voix en tant que Parti, Bersani et Berlusconi étant à la tête de coalition.
Où situer politiquement Grillo, humoriste de profession ?
On ne peut pas classer Grillo à l’extrême-droite néofasciste et racisante, créneau laissé à Berlusconi, même si, dans la diversité de ses déclarations à l’emporte-pièce, on retrouve une mise en cause du droit du sol et des insultes aux Roms.
Il semble que les listes « 5 étoiles » aient surtout rassemblé des électeurs habituels de gauche. Au lendemain du scrutin, c’est Bersani et son allié de gauche post-communiste, Nichi Vendola, qui lui tendent la main, ainsi qu’à ses élus, pas Berlusconi.
Le cœur de son fonds de commerce politique tient dans sa condamnation virulente des élites, des institutions nationales et internationales. Cette fonction tribunitienne fonctionne d’autant mieux après la suite de scandales politico-financiers et la cure d’austérité technocratique.
Il est souvent comparé en France à Coluche. Ce n’est pas si déplacé. Il partage avec lui la grossièreté, les logorrhées antisystème, incluant, privilégiant, sinon l’anticommunisme (qui a moins de raison d’être en Italie aujourd’hui), l’anti-syndicalisme primaire. Son populisme rejoint (et dépasse) celui auquel un Jean-Luc Mélenchon aime à s’identifier. Il affiche le même mépris des media pour mieux en jouer. Il reprend le « Qu’il s’en aille tous » du sénateur honoraire français mais le précise, dans le style de Coluche : « Qu’ils aillent tous se faire enc… ».
Beppe Grillo n’est pas un candidat sérieux au pouvoir. C’est pourquoi comme héraut de la contestation, il convient si bien au système qu’il prétend combattre.
Il ne dispose pas vraiment de parti organisé sur une ligne politique cohérente et ne cherche pas à en construire. Le groupe des 163 nouveaux parlementaires de son « association libre », néophytes inconnus, révèle déjà, en quelques jours, son hétérogénéité. Certains se prononcent déjà pour l’acceptation de l’alliance avec le PD. Les motivations de leur engagement, au-delà d’une volonté de changement, semblent aussi discordantes que les discours de leur animateur. La liberté d’internet, le féminisme (38% d’élues, un record), l’écologie « durable » : tout est mélangé sans hiérarchie. Sur ce type de base, les mouvements « pirates » ont fait long feu en Allemagne ou en Suède.
Incohérent, fantaisiste, lourdement démagogique, Beppe Grillo est l’homme qu’il faut pour déconsidérer et stériliser des positions fortes correspondant à la colère des travailleurs et la colère populaire. Ce ne sont pas ses élus qui les porteront.
Pourtant, elles aussi, ont incontestablement fait leur succès électoral. Et ce n’est pas le moins intéressant de l’analyse de la situation italienne.
Ainsi, du flot de paroles de Grillo émergent parfois la revendication de l’établissement d’un salaire minimum à 1000 euros, dans un pays où il n’y en a pas, celle d’une restructuration de la dette publique, surtout celle, fondamentale, d’une libération de l’Union européenne, de ses traités et de l’euro.
C’est ce qu’entre autres, seul un véritable parti communiste pourrait et devrait défendre de façon conséquente. L’Italie est le pays d’Europe occidentale, où avec la France, où a existé le parti communiste le plus influent. Son absence est accablante.
Les élections de 2013 marquent encore une nouvelle étape dans la disparition du mouvement communiste.
Où est passé le Parti communiste italien ? Mesurons-le gravement en regardant les acteurs de ces dernières élections !
Bersani, futur probable Président du Conseil, comme le président Giorgio Napolitano, sont issus de l’ancien PCI. Suivant Gorbatchev à partir de la fin des années 80, la majeure partie de l’appareil du PCI a engagé la transformation en parti social-démocrate puis en PD, Parti démocrate à l’américaine. Le PD se situe dans la sujétion loyale au capitalisme et son organisation européenne, l’UE.
En 1991, un nouveau parti a rassemblé une partie des communistes qui refusaient la trahison de la direction du PCI : le Parti de la Refondation communiste (PRC). A son tour, la direction de Refondation s’est engagée dans la voie du réformisme européen jusqu’à, notamment appuyé le gouvernement social-libéral de Romano Prodi. Les élections de 2008 ont marqué l’élimination des communistes du Parlement après l’échec de la coalition hétéroclite et réformiste « Arc-en-ciel » (3,5%). Le PRC a, à son tour, une nouvelle fois scissionné (mal scissionné !).
Avec la bénédiction du dirigeant historique du PRC et du PGE Bertinotti, une grande partie des élus ont fondé un nouveau parti, se dégageant de toute référence communiste, le SEL, « gauche, écologie, liberté », derrière le Président de la région des Pouilles, Nichi Vendola. Pour 2013, le SEL s’est rallié au PD, participant à ses primaires puis à sa coalition électorale. Il a des élus. Il tient peu ou prou le rôle que Robert Hue en France voudrait jouer avec son MUP.
Ce qui reste de mouvement communiste organisé a renoncé à se présenter sous ses couleurs. Le reste de Refondation communiste et le Parti des communistes italiens, issu d’une scission précédente (1998) se sont rangés derrière une personnalité, l’ex-juge Antonio Ingroia, qui fut engagé dans des procès contre la mafia. 55% des candidats présentés appartiennent à la « société civile » (s’organiser dans un parti, est-ce une tare ?). Le résultat électoral est catastrophique, en dessous de toute imagination : 2,26% à la législative, 1,79% à la sénatoriale.
La « Révolution citoyenne » d’Ingroia est directement apparentée au PGE en Europe et au Front de gauche en France et a reçu le soutien de leurs dirigeants dont Mélenchon et Pierre Laurent.
Elle s’est trouvée écrasée entre le vote utile pour le PD pour barrer la route à Berlusconi et le vote pour Grillo bien plus efficace pour exprimer sa contestation. Ingroia n’a pu jouer le Mélenchon à l’italienne parce que la place était prise, sans doute aussi parce que sa conception de la politique l’écartait d’une posture de bateleur.
On l’a écrit plus tôt, Grillo s’est également emparé des problématiques sociétales, féministes, écologiques etc. au centre de la « Révolution citoyenne ». Il a mieux incarné le rejet de la corruption, allant jusqu’à proposer d’élire l’ex-juge Di Pietro, précurseur d’Ingroia, comme Président de la République.
Là où Grillo a porté un rejet total de l’UE, même d’une manière démagogique, face à Monti et sa politique, Ingroia et ses alliés défendaient l’Europe sociale et des propositions euro-compatibles illusoires comme la réorientation des missions de la Banque centrale européenne.
« Peser à gauche » sur le PD est un slogan qui, en toute logique, n’a pas profité à Ingroia.
Quelle action et organisations communistes dans la situation politique instable qui s’annonce ?
Les élections n’ont pas dégagé de perspective d’alternative politique. La protestation a été contenue et canalisée par le système. Pour autant, les semaines et mois qui viennent restent incertains et la crise politique n’est pas résolue.
Fort de sa petite majorité, le PD a une chance d’accéder au pouvoir, comme moindre mal, mais ce sera pour poursuivre la politique de casse sociale. Le mouvement 5 Etoiles peut exploser tout de suite ou non.
Les luttes sociales demeurent à un haut niveau.
La force de la contestation, notamment de l’UE du capital, même détournée, s’est affirmée. Même s’ils essaient de se faire petits, les technocrates européens ou, par exemple, des politiciens allemands peuvent aiguiser encore la colère contre elle.
Les communistes italiens, l’histoire du PCI, représentent une référence et une force potentielle de résistance considérables. La crise, le désarroi s’approfondissent encore au sein du PRC et PdCI.
Dans toutes ces conditions, différentes mais si parallèles à la situation française, communistes français, nous porterons toute notre attention sur les analyses et les choix de nos camarades.
En ce qui nous concerne, notre conviction est renforcée qu’il faut faire vivre et développer les organisations communistes marxistes et léninistes, en privilégiant le terrain de la lutte des classe, en se libérant des stratégies d’intégration au système mises en œuvre par le Parti de la gauche européenne et ses « Fronts de gauche » nationaux.
l’abandon des bases marxistes de la propriété privée des moyens de production et d’échange, les usines et les banques, voilà le désastre des partis communistes italien, français, espagnol et quelques autres; c’est la boussole que l’on devrait ne jamais oublier.