Position collective, pour vivelepcf.fr, 17 novembre 2018, proposée par Corinne Bécourt, Emmanuel Dang Tran et Dominique Negri.

Le mouvement des « Gilets jaunes » bénéficient, depuis plusieurs semaines, d’une complaisance médiatique flagrante. Pour les tenants de l’idéologie dominante et le gouvernement lui-même, il est présenté comme la principale contestation à la politique du pouvoir. Nous le contestons. Nous y voyons, au contraire, un exutoire, habile et dangereux, à la colère populaire face à la politique que poursuit et aggrave le pouvoir Macron-Philippe au service du capital et du grand patronat.

Les « Gilets jaunes », mouvement plus ou moins faussement spontané, se gardent bien de pointer ces vrais profiteurs. Ils sont même soutenus, sponsorisés matériellement, par des pans entiers du patronat. La revendication principale qui ressort, portée par les pétitions et appels sur les « réseaux sociaux » est minimaliste : la « baisse du prix à la pompe ». Les « Gilets jaunes » désignent leur principal adversaire : l’Etat, l’impôt et, derrière lui également, de manière indifférenciée, la dépense publique même quand elle est sociale.

Dans ces conditions, il est logique qu’une grande partie de la droite et de l’extrême-droite se soient placées dans les « Gilets jaunes ». Il n’y a pas à parler de « récupération » ou « d’instrumentalisation » mais de compatibilité.

A gauche et à l’extrême-gauche, un certain embarras, que nous comprenons, domine. La colère devant la hausse des prix des carburants est légitime. Elle rentre dans des politiques globales que nous n’avons cessé de dénoncer. Pour autant, il nous semble que toute complaisance avec les instigateurs des « Gilets jaunes » et leur agitation du 17 novembre est malvenue et potentiellement dangereuse.

Certains se disent que le mouvement sera éphémère. C’est douteux. La baisse des prix va effectivement probablement arriver puisque que les cours mondiaux du pétrole viennent de chuter de 20% en un mois. Le pouvoir va aussi faire semblant de concéder de petites aides qui ne seront, en fin de compte, que de nouvelles subventions au marché de l’automobile… Mais si ce n’est pas de nouveau sur l’essence et le gasoil, l’idéologie dominante saura faire repartir – aidée désormais de la fiction de spontanéité participative que sont les réseaux sociaux – un autre mouvement populiste du même type, aux mêmes relents poujadistes. Soucieux de porter une cohérence de fond, communistes, nous ne pouvons rentrer dans des jeux de postures à court terme.

D’autres se proposent de participer aux actions des « Gilets jaunes » mais en y ajoutant et en essayant d’imposer leurs propres mots d’ordre. Nous pensons que c’est une illusion. L’hégémonie idéologique dans le mouvement ne quittera pas les populistes et les médias dominants. Quant aux tentations de certains politiciens de gauche, qui veulent faire « peuple » et flatter leur clientèle, en préparation des prochaines élections, elles sont plus déplacées que jamais.

Ces constats ne nous empêchent en rien, dans la clarté sur les « Gilets jaunes », de développer nos arguments et propositions de lutte, en relation avec la colère face à la hausse des carburants.

1-Nous dénonçons depuis toujours les impôts indirects, dont la taxe sur les produits pétroliers et, en premier la TVA. Ils sont injustes au point de pénaliser proportionnellement davantage les petits revenus que les gros : un impôt dégressif ! Le prétexte écolo des hausses récentes, même cautionné par le présentateur  TV et patron du cosmétique Hulot, ne tient en rien. Ces hausses doivent être annulées. La mal-nommée « Contribution au service public de l’énergie », prélevée sur nos factures d’électricité, va encore augmenter de 12% en 2019 pour atteindre 7,8 milliards d’euros, au nom de « l’écologie » et pour faire payer la solidarité envers les plus pauvres par les autres usagers moins pauvres. Ces impôts doivent tendre à être supprimés (c’est un contresens de réclamer, comme Ian Brossat, une taxation équivalente du kérosène, et, ainsi, de légitimer l’existence de ces taxes).

2-La hausse des carburants pose directement le problème du marché de l’énergie et de sa privatisation totale. Outre le transport, le chauffage est l’autre dépense énergétique qui frappe directement tous les ménages. Le processus de privatisation de GDF, démantelée, et d’EDF a conduit à une envolée des prix sans rapport avec les coûts. On fait payer aux usagers en France les investissements financiers douteux à l’étranger et les profits. Les magnats du pétrole se gavent, à commencer par Total, qui va vers 10 milliards d’euros de profit en 2018, reversés largement en dividendes à ses actionnaires. La hausse du prix du litre de fuel ou de gasoil, c’est d’abord Total et ses concurrents qui l’empochent ! Une politique de contrôle public des prix, de nationalisation et renationalisation s’impose.

3-Le droit à la mobilité. On ne peut pas séparer le poids pour les ménages de la hausse du gasoil et de l’essence du besoin de transport.  La spéculation immobilière repousse toujours plus loin des centres d’activité des catégories entières, là où sévit le plus la désertification en services publics et en commerces etc. La politique de privatisation latente des transports en commun amène des fermetures de lignes SNCF, des augmentations de tarifs, une dégradation générale des services comme la grève des cheminots de ce printemps l’a pointé. Et maintenant, le pouvoir rackette les automobilistes, d’abord les plus pauvres. Pour nous, communistes, cette nouvelle injustice doit amener à une riposte globale pour le droit à la mobilité et le service public des transports.

4-Plutôt que de « pouvoir d’achat », parlons des salaires, directs et indirects (cotisations sociales, retraites, services publics etc). Le coût pour les ménages des hausses de prix du carburant est souvent insupportable. Il représente seulement une partie des prélèvements indus sur les salaires (retraites, pensions et allocations), comme l’explosion des loyers ou des prix de l’immobilier. C’est un aspect d’une politique de classe du pouvoir qui vise à toujours plus détourner l’argent, le financement des conquêtes sociales vers le profit capitaliste. Toutes les préoccupations des travailleurs se confondent : elles doivent converger. Exigeons des hausses de salaires ! Refusons les hausses de CSG, la CSG elle-même, le prélèvement à la source ! Non au CICE (« crédit d’impôt compétitivité emploi » de Hollande), transformé par Macron en baisse de cotisations patronales à la Sécurité sociale : c’est 40 milliards d’euros détournés pour la seule année 2019 (doublement) !

Voilà les sujets de lutte vers lesquels nous voulons, communistes, développer la colère légitime contre la hausse des carburants. Le mouvement des « Gilets jaunes » et le pouvoir s’efforcent de faire l’inverse, d’évacuer les questions politiques de classe.

Nous avions dénoncé les précédentes agressions du gouvernement contre les automobilistes pauvres et/ou ruraux. Nous comprenons mieux aujourd’hui dans quelle offensive idéologique elles se situent. La hausse exorbitante du contrôle technique massacre des centaines de milliers de ménages pauvres dépendant de la voiture, pour aucun bénéfice sinon pour les garagistes. La décision d’Edouard Philippe de réduire à 80km/h la limite de vitesse sur les routes secondaires a interloqué. La justification par la baisse du nombre d’accidents est incertaine, vu l’allongement des temps de parcours. Plus crédible est apparue la nécessité de limiter les risques d’accident devant la politique de sape des dépenses (décentralisées) d’entretien des routes et la multiplication exponentielle des nids de poule. Mais politiquement, cette mesure secondaire, symbolique, a ciblé une partie de la population : les ruraux, les habitants des « périphéries », les plus pauvres, ceux qui réagissent légitimement le plus aujourd’hui à la hausse des carburants. Les mêmes, plus ou moins, sont frappés par les politiques élitistes de la municipalité de Paris qui exclut de la circulation en centre-ville les véhicules plus anciens, encore ceux des plus pauvres et au prétexte de l’écologie.

La focalisation du débat sur les taxes sur les carburants permet politiquement au pouvoir, outre d’éluder le clivage de classe, de mettre en avant un vrai-faux clivage « écologique ».  Les travailleurs, suivant leur degré d’exploitation, leur lieu d’habitation, leurs besoins de transports, sont invités à s’opposer, entre eux,  sur le niveau des sacrifices à consentir au nom de l’écologie au capitalisme peint en vert.

Evacuons tout de suite – nous serons amenés à le refaire souvent et mieux – toute ambiguïté sur notre position « écologiste » : Communistes, nous faisons une priorité de la préservation et l’amélioration du cadre de vie de l’humanité, en France et dans le monde. Pour autant, nous n’entendons pas gober la propagande du capital sur l’apocalypse climatique au nom de laquelle les travailleurs devraient accepter tous les sacrifices. Des idéologues patronaux ne cachent pas que le capitalisme « vert » et la propagande qui l’accompagne sont une voie de sortie à la crise globale du capitalisme, un moyen de reconstitution du taux de profit par une surexploitation accrue et consentie.

Sur le plan politicien, ce débat, dangereusement biaisé, peut profiter à l’extrême-droite et aux autres populistes qui ne sont pas rentrés dans le consensus des taxes écologiques et l’écologie moraliste personnifiés par l’ex-ministre Hulot.

Certains de nos camarades s’impliquent dans la mobilisation des « gilets jaunes ». Nous comprenons et même partageons leurs motivations. Mais, après réflexion, nous pensons qu’ils font erreur. L’absence, sur ce sujet comme sur quasiment tous les autres dans la préparation du 38ème congrès, de position nationale claire du PCF, mise en débat largement, les malheureuses positions électoralistes de certains dirigeants, handicapent l’expression et l’action collectives des communistes, si nécessaires. Les syndicats de tradition révolutionnaire ont clairement refusé de cautionner les « Gilets jaunes ». Cette position nous rassure mais pose aussi la question principale. Pourquoi n’a-t-on pas cherché à développer les convergences d’intérêt et de luttes, parfois évidentes, autour de la lutte des cheminots : contre les directives UE de concurrence, pour le droit à la mobilité, pour la défense des statuts du travail ? Quelles convergences de lutte va-t-on créer contre la CSG et la nouvelle étape de la casse du financement de la sécurité sociale ? Quelle mobilisation, militants progressistes, construisons-nous contre la politique de guerre et de surarmement (sabrant, au passage, le « pouvoir d’achat ») répétée par Macron le 11 novembre?

L’organisation des « Gilets jaunes » ne sent pas bon. La perspective ne peut être de se mettre à la remorques de ce populisme ni, en même temps, de remettre en selle une « gauche » d’alternance et de collaboration d’ici 2022, en passant par les élections européennes de 2019. La question centrale, pour nous communistes, est, plus que jamais, le développement des luttes de classe et de leur convergence.