Analyse reprise par vivelepcf.fr, 24 avril 2013

 

Membres du Conseil national du PCF, nous faisons connaître notre refus d’appeler à manifester derrière Jean-Luc Mélenchon le 5 mai 2013 et notre réflexion dans le débat.

Cette position n’est pas uniquement justifiée par la priorité que nous accordons à la préparation du 1er mai, date importante pour la convergence des luttes contre la poursuite par le gouvernement de la politique de casse économique et sociale, sous l’égide de l’UE.

L’appel pour la manifestation du 5 traduit la stratégie erronée du Front de gauche. Sous les mots d’ordre de Mélenchon, elle est même dangereuse. Court-circuiter les manifestations syndicales du 1er mai (CGT) et leur contenu social, pour faire écho aux manifestations réactionnaires sur le « mariage », à la manifestation du FN, sur les mêmes thèmes que ceux qu’exploite l’extrême-droite, est dangereux.  

Le compte-rendu dans l’Humanité de la réunion du Conseil national du 13 avril ne traduit pas, loin s’en faut, l’état d’esprit des échanges auxquels nous avons assisté. On est très loin de la « transparence et du débat démocratique à tous niveaux dans le Parti » présentés par Pierre Laurent comme une « évidence » au Conseil national du 9 mars pour justifier la suppression de la publication des résumés d’intervention au CN dans le journal.

Si nous avons été les seuls orateurs au CN à dénoncer explicitement l’initiative du 5 mai, beaucoup ont exprimé des désaccords avec les déclarations et des doutes sur la tactique de Mélenchon. Quasiment aucun n’a exprimé d’enthousiasme…

Faut-il se ranger derrière Mélenchon et se taire parce que l’on ne peut pas faire autrement, sous peine de casser le Front de gauche ? En constituant le Front de gauche avec Mélenchon, en l’érigeant candidat à la présidentielle, la direction du PCF a choisi de lui donner les rênes. La colère grandit chez les communistes, attisée par l’arrogance et les insultes d’adhérents du PG et de leur chef à l’encontre de notre Parti (municipales, amnistie sociale etc.). La cause du « Front de gauche » ne vaut pas de continuer à subir.

Mélenchon proclame seul aux médias son initiative, le jeudi 4 avril, sans même informer ses partenaires du Front de gauche réunis le même soir. Ce fait accompli est inacceptable. Pour quelqu’un qui prétend rompre avec le pouvoir personnel de la 5ème République !

Le Conseil national du PCF est convoqué en urgence. Mais non pour décider ! C’est fait, la question de suivre Mélenchon est déjà entérinée. Le Conseil national est réuni pour l’enregistrer et servir de courroie de transmission pour faire passer l’initiative dans le Parti, malgré les réticences.

Ce n’est pas notre conception de la démocratie dans le PCF.

La discussion du CN a porté particulièrement sur les moyens de donner un autre contenu à la manifestation du 5 que celui porté par les déclarations de Mélenchon. C’est peine perdue. Mélenchon est le dépositaire médiatique de son initiative. Tout au plus, et cela fait partie du calcul (Mélenchon sait adapter son discours), on arrivera à donner des arguments pour persuader une frange « politisée » qu’ils manifesteront davantage contre l’austérité plutôt que contre Cahuzac.

Le message de masse sera celui de Mélenchon, le « coup de balai », « l’épuration éthique »… Au CN, nous avons tous analysé sa surenchère avec le FN comme une stratégie politique choisie et assumée. Elle est désastreuse !

L’expérience d’Hénin-Beaumont n’a donc pas suffi. A essayer de se servir de Le Pen comme faire-valoir, Mélenchon réussi surtout à servir de faire valoir à Le Pen. Notre Parti ne peut plus cautionner.

En ce qui nous concerne, nous pensons que le PCF doit se désolidariser de la stratégie politicienne de Jean-Luc Mélenchon, celle qu’il étale dans ces « formules » dont il se vante dans les médias.

L’injure, la grossièreté, « pour faire peuple » reflètent un mépris profond du peuple. Les appels à la haine, contre Moscovici (même si nous combattons sa politique) ont des relents écoeurants. Dire de Marine Le Pen qu’elle est « semi-démente », c’est lui permettre de montrer le contraire.

Imaginons un instant le tollé qui aurait suivi si l’un des Le Pen avait utilisé une seule de ces formules!

Mélenchon se défend d’instrumentaliser le « tous pourris ». Pourtant le titre de son livre, devenu son mot d’ordre, est « qu’ils s’en aillent tous ! ». Maintenant, Mélenchon préfère parler de « système intrinsèquement pourri » pour appeler à l’éradiquer. Le sénateur PS honoraire, ex « cacique du PS », comme il le dit lui-même, tente de se préserver des attaques. On mesure le danger du déballage qui s’annonce.

L’outrance de Mélenchon est-elle gauchiste ? Droitiste plutôt, du moins sur certaines conceptions ! Le débat a été amorcé au CN. Plusieurs intervenants ont exprimé leur dégoût devant ses déclarations à Alger qualifiant la guerre d’Algérie de « Guerre civile »… Nous ne nous étendons pas ici sur les basses attaques de Mélenchon et de son PG à l’encontre de notre propre parti (à propos de l’amnistie sociale, des municipales, des finances du Front de gauche etc. )

Ces vérités, il vaut mieux les dire le plus tôt possible, arrêter de se bander les yeux, sous peine d’un résultat final grave pour notre parti et pour le peuple !

L’occasion saisie pour convoquer la manifestation du 5 enferme l’initiative dans la stratégie de Mélenchon.

L’affaire Cahuzac a suscité une réaction logique et saine de rejet dans la population, rejet de l’hypocrisie d’un politicien qui prétendait combattre la fraude fiscale en la pratiquant lui-même et en prêchant l’austérité pour les autres. Communistes, avec nos parlementaires, nous avons raison, à cette occasion, de demander de véritables mesures et les moyens humains et financiers, pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscales. Nous avons raison de souligner les collusions entre le pouvoir, le patronat et le capital.

Mais nous n’avons pas à rentrer dans le jeu politicien développé depuis. Il atteint le niveau d’une cour de récréation, avec pour résultat de faire diversion sur l’essentiel.

Avec Cahuzac ou sans Cahuzac, la politique du gouvernement Ayrault reste la même, la même que celle du gouvernement Fillon. Elle n’est pas assimilable à l’affaire Cahuzac. La plupart des hommes et des femmes qui la mènent restent dans les clous de la légalité. Des affaires, et des pires, il n’en éclate pas davantage aujourd’hui que du temps de Tapie et des avions renifleurs.

En appelant à manifester à partir de l’affaire Cahuzac, Mélenchon organise, de fait, une manifestation contre une équipe gouvernementale et non, d’abord, contre la politique qu’elle mène.

La droite ne se gêne pas pour récupérer l’affaire Cahuzac. Un an à peine après qu’elle a été chassée du pouvoir, l’idéologie dominante arrive à faire croire que Sarkozy ferait mieux que Hollande face à la crise. Il n’est pas étonnant que la surnommée « Frigide Barjot » s’engouffre dans le 5 mai. Elle aussi, elle combat le gouvernement. Elle aussi, elle réclame des référendums d’initiative populaire. Elle aussi, elle s’indigne des votes bloqués au Parlement.

Quant à Mme Le Pen, elle boit du petit lait. Elle bénéficiera d’une médiatisation maximale le 1er mai, lors de sa contre-manifestation indécente. Elle reprendra à son compte la condamnation des « tous pourris ». Dans la compétition sur ce thème avec Mélenchon, elle aura beau jeu de dire que  celui-ci  a appelé à voter, sans conditions, « comme si c’était pour lui-même », pour Hollande, 5 minutes après les résultats du 1er tour des présidentielles.

Communistes, pourtant, nous ne pouvions nous faire aucune illusion sur la politique de Hollande.

Même le gouvernement actuel peut trouver un intérêt dans le 5 mai. Elle peut l’aider à faire une diversion cachant le fond de sa politique, évacuant les moyens de rompre avec. Il continue à attiser les manœuvres des anti-mariage. Comment interpréter son retournement sur l’amnistie sociale qu’il avait lâchée aux sénateurs communistes ?

Le 5 mai indique une perspective politique dans laquelle, communistes, nous ne pouvons pas nous placer.

Le choix de la date est très significatif. Mélenchon a appelé à manifester à l’occasion de l’anniversaire de l’élection de Hollande : tout dans les institutions. Il fixe son défilé à proximité et en concurrence avec les manifestations syndicales du 1er mai. Ce n’est pas sur les luttes et leur convergence pour commencer à faire reculer la politique du pouvoir que Mélenchon et l’ensemble du Front de gauche, misent, mais dans une perspective de recomposition politique.

Que le gouvernement, après des dizaines d’heures de débat à l’Assemblée, coupe court au débat sur l’ANI au Sénat, c’est une manœuvre déplorable. Mais pour faire échec à l’ANI, ce n’est pas la longueur des débats au Sénat et l’organisation du travail parlementaire qui sont déterminantes mais le rapport de force dans les entreprises. Contre l’ANI, c’est le 1er que l’on doit manifester !

Le fossé est béant entre la prétention à une nouvelle République, à « changer de régime », et le contenu des propositions institutionnelles du Front de gauche (voir le programme l’Humain d’abord).

La « 6èmeRépublique », c’est un slogan tarte à la crème que successivement Mitterrand en 1979, Le Pen en 1995, Montebourg et maintenant Mélenchon ont mis à leur sauce.

6ème république: un slogan vide pour toutes les sauces.

Mélenchon est aussi crédible que Mitterrand, auteur en son temps du « Coup d’état permanent » sur la remise en cause de l’élection du Président de la République au suffrage universel. Les ministres de la Gauche plurielle, dont lui-même, n’ont pas combattu l’établissement du quinquennat sous Jospin. Depuis 5 ans, la pratique politique du Front de gauche, c’est celle de négociations interminables pour la répartition des places de candidat et d’élu avec le PG. De mauvais augure pour la 6ème « République ». Pour la stabilité d’un régime parlementaire, Mélenchon se réfère à la conduite parlementaire de la guerre 14-18 sous Clémenceau… (droitiste ?).

Communistes, nous défendons depuis longtemps de solides propositions pour une refondation des institutions, souvent bien plus avancées que le programme « l’Humain d’abord », comme la généralisation de la proportionnelle, la suppression du Sénat, celle du Conseil constitutionnel, des droits nouveaux aux salariés etc. Mais, aucun d’entre nous ne peut penser réellement faire converger le mouvement populaire de façon décisive aujourd’hui sur ces seules questions, ou sur la parité… Des batailles sérieuses s’engagent aussi contre la « décentralisation ».

Pour tous ceux qui prétendre défendre la souveraineté populaire, il y a une rupture institutionnelle essentielle, directement liée aux luttes contre les politiques d’austérité : c’est la rupture avec la soumission à l’Union européenne du capital, à ses directives, règlements, aux instruments de sa domination comme l’euro. Voilà précisément à quoi le Front de gauche, sous la gouvernance du Parti de la gauche européenne, évite soigneusement de s’attaquer !

Sur ce point aussi, mesurons le champ laissé à la démagogie d’extrême-droite et au nationalisme !

Il se vérifie que la véritable perspective politique développée par Mélenchon comme par l’ensemble du Front de gauche est ailleurs, masquée par les rodomontades et la « Révolution citoyenne » du premier.

Les tenants du Front de gauche préparent une recomposition politicienne. Ils multiplient les gestes de rapprochement avec l’aile « gauche » du PS, sur le TSCG, sur l’ANI. La politique du PS au pouvoir laisse un espace politique à gauche, notamment dans les organisations syndicales, qu’il s’agit de canaliser. Non pour l’amener vers les positions révolutionnaires d’un Parti communiste, mais pour constituer un ensemble de « gauche », une social-démocratie de remplacement (étouffant le PCF).

Les élections européennes seront l’occasion de développer ce projet, avec des listes de contestation superficielle de l’UE, ne remettant surtout pas en cause la nature de l’UE et l’euro. Le dernier congrès du PG vient d’inventer l’objectif de « l’euro des peuples » !!!

Dans le contexte, l’importance des élections municipales pour le PCF constitue une entrave à ce plan.

En juin 2012, Mélenchon annonçait le changement pour les élections de 2017. A l’automne, il se voyait premier ministre de Hollande, à la place d’Ayrault. Il a déjà annoncé sa candidature aux européennes, sans en référer à ses partenaires.

Ces derniers jours, un échange, par télévision interposée, s’est produit entre Mélenchon et Montebourg. Mélenchon juge que si Montebourg devenait premier ministre, il pourrait y avoir des ministres Front de gauche. Montebourg acquiesce tout en récusant la personne de Mélenchon. Dans le même temps, le député de Paris, de l’aile « gauche » du PS, Pascal Cherki,  appelle à l’entrée de ministres Front de gauche pour un nouveau cours gouvernemental.

Quand le gouvernement Ayrault/Sapin aura fini le charcutage des droits sociaux, une « gauche » de remplacement viendrait assurer les « soins de suite », comme on dit à l’hôpital.

Vraiment, telle ne peut pas être notre perspective !

La lutte pour le changement, sur des positions de rupture, c’est maintenant !

Au CN, nous avons fait à nouveau des propositions de grandes campagnes nationales du PCF, partant des luttes, visant à transformer le rapport de force de 2009 et 2010, maintenant que l’illusion électorale est tombée :

- Pour l’abrogation de l’ANI, et du « Crédits d’impôt compétitivité », 20 milliards d’euros par an donnés au patronat. Une campagne pour les salaires !

- Pour la défense et le rétablissement du financement de la Sécurité sociale par la cotisation, notamment le retour aux 37,5 annuités pour la retraite (on voit les lourdes conséquences de l’abandon de cette revendication en 2010).

- Pour un programme vaste de nationalisations, de l’automobile, de la sidérurgie etc.

- Pour la rupture avec l’Union européenne et l’euro.

Le 1er mai est la prochaine étape importante pour cela. Pas le 5 !