Vivelepcf, 21 décembre 2014

Le second tour des élections présidentielles a lieu aujourd’hui en Tunisie. C’est peu de dire que le 1er tour n’a pas suscité un intérêt populaire massif. Il y a eu officiellement 37% d’abstention par rapport aux inscrits. Mais cela ne représente que 3,3 millions d’électeurs sur une population en âge de voter de 7,5 millions, sans compter 800000 émigrés.

Ce manque d’enthousiasme s’explique par les désillusions depuis le renversement de Ben Ali, par les faibles différences dans le programme économique et social des deux principaux candidats et des clans affairistes qui les supportent, par le rôle secondaire conféré par la Constitution au Président.

Toutefois, l’élection présidentielle pèsera sur la composition de la future coalition gouvernementale. Les élections législatives du 26 octobre, bien que marquées par un recul et une sanction électorale des islamistes (27% pour le parti Ennahda), n’ont pas dégagé de majorité. L’enjeu principal de la présidentielle, encore davantage du 2nd tour, est la place qu’occuperont les islamistes, leurs prétentions liberticides, leur volonté d’alignement sur les dictatures du Golfe. Sachant que la Libye en chaos est limitrophe.

La démagogie sociale des islamistes en direction des catégories les plus pauvres a perdu beaucoup d’efficacité après leur passage au pouvoir. Ils se sont démasqués par leur défense zélée des intérêts des possédants (dont eux-mêmes), leur politique de relais de l’austérité, de la casse sociale et de l’exploitation voulue par la bourgeoisie locale de concert avec le FMI et les impérialismes américain et européens.

Pour s’épargner une deuxième sanction électorale, la pieuvre islamiste a préféré ne pas présenter de candidat en son nom mais soutenir le président fantoche sortant, le droit-de-l’hommiste, Moncef Marzouki. Le parti de ce dernier a enregistré une déroute aux législatives avec 2,1% des voix. Marzouki s’est pourtant qualifié pour le second tour des présidentielles avec 33,4%, résultat de l’activisme des réseaux islamistes, notamment dans l’émigration en France.

En tête du premier tour, avec 39,5% des voix, est arrivé Béji Caïd Essebsi qui se veut représentant du camp laïque. M. Essebsi représente assez ouvertement l’ancien régime, mais plutôt sa phase historique bourguibiste avec ses quelques avancées sociales et culturelles notables, notamment l’émancipation citoyenne des femmes. Essebsi met en avant son âge pour rassurer devant tout risque d’instauration d’une dictature personnelle. 88 ans, c’est 20 de plus que De Gaulle en 1958 et même 4 de plus que Pétain en 1940… Son parti hétéroclite, Nidaa Tounes, était arrivé en tête en octobre avec 37,6%. Il se place clairement au service des capitalistes et du FMI.

Entre deux maux, il ne reste aux Tunisiens qu’à choisir le moindre. Une élection de Marzouki sonnerait le retour, déjà, des islamistes, doperait leur activisme réactionnaire, sinon fasciste. Une élection d’Essebsi les maintiendrait à distance, du moins relativement, puisque Nidaa Tounes n’exclut pas une coalition avec Ennahda comme partenaire second…

Le mouvement Al Massar, où se retrouvent les communistes, a appelé dès le 25 novembre à voter pour Essebsi, pour « éviter la domination des courants qui favorisent la violence ».

Le candidat du « Front populaire » a fini par faire de même. Hamma Hammami est arrivé en 3ème position au 1er tour avec 7,8% des suffrages.

Sa candidature était la seule susceptible d’exprimer un rejet des politiques de régression sociale, d’inféodation aux intérêts impérialistes. Cependant, Hammami, « communiste » (en fait gauchiste maoïste), repenti en socio-démocrate de « gauche », n’a pas toujours été très clair avec les islamistes. Après le 1er tour, il a laissé en suspens sa position. Le 18 décembre, il appelait encore les fascistes d’Ennahda à se « tunisifier », à « s’inspirer du mouvement réformiste tunisien ». Finalement sa position pour le 2nd tour est d’appeler à voter Essebsi mais en ciblant le fantoche, l’ambulance, Marzouki qu’il qualifie de « président raté ». Concernant les islamistes, il appelle seulement le favori Essebsi et son parti à les tenir à l’écart du gouvernement. Est-ce pour mieux préparer leur retour ?

De bons connaisseurs de la vie politique tunisienne se demandent combien Hammami, celui que le système a laissé incarner une contestation relative de « gauche », a marchandé avec un camp et avec l’autre, avec le « bonnet blanc » et le « blanc bonnet », pour arriver à cet arbitrage.

La force du mouvement populaire tunisien, telle qu’elle s’est manifestée contre l’exploitation et l’oppression en 2010, se trouve dans une impasse politique et institutionnelle. Les communistes peinent à se réorganiser sur une base de classe, en partie discrédités par le trop long compagnonnage de certains de leur dirigeants avec le régime de Ben Ali, ou trop déformés par les réformismes des partis européens. Dans le syndicat UGTT, malgré le poids de la bureaucratie, une avant-garde parvient à s’exprimer, à organiser des luttes. Là réside l’espoir.

Dans l’immédiat, on ne peut que souhaiter avec nos camarades que le spectre de la dictature fasciste islamiste soit repoussé, pour laisser ouverts d’autres possibles.   

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