Vivelepcf, 23 novembre 2014

Les candidats Essebsi et Hammami

Les élections présidentielles en Tunisie se dérouleront le 23 novembre 2014 pour le 1er tour et le 28 décembre pour le second, s’il y a lieu de l’organiser.

La nouvelle constitution accorde un pouvoir restreint au Président de la République. Mais pour la première fois depuis le renversement du dictateur Ben Ali, elles ont lieu au suffrage universel direct. Le symbole sera fort. Surtout, le scrutin présidentiel vient compléter les élections législatives d’octobre qui n’ont pas dégagé de majorité à l’Assemblée nationale. Il influencera la composition de la future coalition au pouvoir.

Pour beaucoup de progressistes et, parmi eux, de communiste tunisiens, la participation aux élections n’a pas d’autre sens que d’éviter le pire, en choisissant le moindre mal, du moins au 2nd tour.  

Le pire pour la société tunisienne dans son ensemble, c’est les islamistes, à la fois ultracapitalistes et ultraréactionnaires.

Leur parti Ennahdha a enregistré un recul notable aux dernières législatives par rapport à 2011, passant de 37 à 28%. Trois ans de gouvernement ont entamé les illusions que sa démagogie populiste et ses réseaux ont répandues notamment dans les catégories les plus pauvres. Ils ont mis en évidence sa politique inspirée officiellement des islamistes turcs : une politique de casse sociale, de protection et d’extension des intérêts et des pratiques des possédants, d’alignement sur les directives du Fonds monétaire international et de l’impérialisme. L’obscurantisme social et culturel propagé au nom de la religion est apparu comme le complément et le vecteur de cette politique. Au plan international, les islamistes ont poussé la Tunisie à s’aligner sur les dictatures du Golfe. L’anarchie régnant et le développement de groupes islamistes surarmés dans la Libye limitrophe peuvent légitimement susciter de plus grandes craintes encore sur ces soi-disant « islamistes modérés ».

Soucieux de ne pas faire subir un vote sanction à leur leader, les islamistes d’Ennahdha ont décidé de ne pas présenter de candidat aux présidentielles. Mais ils soutiennent en sous-main la candidature du président sortant Moncef Marzouki. En peu de temps, l’ancien opposant droit-de-l’hommiste s’est déconsidéré par son amour visible des ors et honneurs et par ses combinaisons politiciennes, au point que son parti est tombé à 2% aux législatives. Il n’est plus que le fantoche des islamistes.

Le moindre mal pour beaucoup de camarades tunisiens, c’est le candidat des revenants de l’ancien système, de ceux qui ont été les moins impliqués dans les pires dérives du Ben Ali finissant, de ceux qui représentent les quelques bons souvenirs de la période Bourghiba. L’âge du candidat choisi par ce camp, Beji Caïd Essebsi ne doit donc rien au hasard : bientôt 88 ans ! Le programme de la coalition électorale hétéroclite qu’il conduit et qui a emporté les élections législatives (avec 38%), Nidaa Tounes, ne tranche pas avec la politique « libérale » en cours, la remise en cause des acquis sociaux suivant les exigences du FMI, la protection des oligarchies locales, l’affiliation à l’impérialisme occidental. Mais elle s’affirme et apparaît, notamment en matière d’éducation, de liberté civique et de défense des droits des femmes et de la laïcité comme le principal rempart aux prétentions islamistes.

Il n’est pas du tout impossible que Nidaa Tounes et Ennahdha participent ensemble à une coalition gouvernementale au sortir de la présidentielle, avec l’un ou l’autre en chef de file. On comprend que la perspective n’a pas de quoi enthousiasmer les progressistes.   

La gauche « antilibérale », à défaut d’être anticapitaliste, n’offre pas pour l’instant de véritable débouché politique, encore moins électoral. La coalition dans laquelle les héritiers du Parti communiste tunisien ont choisi de se ranger est passée à côté des élections législatives, disparaissant du Parlement. Le parti Al Massar, dans ses instances à tous les niveaux, étudie les raisons de son échec : trop de compromis peu compréhensibles voire contradictoires, une orientation tombant trop (ou pas assez) dans la social-démocratie ? Il ne présente pas de candidat à la présidentielle.

Certains camarades ne donnent aucune consigne de vote. D’autres, sans illusion, ne voit d’utilité que dans le vote pour Essebsi pour contrer les islamistes. Le dirigeant historique Ahmed Brahim appelle à voter au 1er tour pour le candidat du « Front populaire » (4% aux législatives) Hamma Mammami.

Ce choix n’est pas une évidence pour les communistes qui gardent en mémoire les effets très contreproductifs pour la classe ouvrière tunisienne des agissements des maoïstes et trotskystes sous Bourghiba. Après le renversement de Ben Ali, Hammami et son parti ont manifesté une sous-estimation totale du danger islamiste et des liens entre islamistes et bourgeoisie. Hammami a été un marche pied des Frères musulmans lors des rassemblements dits « Kasbah 2 ». Depuis, en quête de respectabilité internationale, Hammami a participé à l’abandon de la référence « communiste » du nom de son parti, l’ex « Parti communiste des ouvriers tunisiens ».

Pour autant, l’histoire mouvementée et ingrate du Parti communiste tunisien depuis deux voire trois décennies, incite à relativiser ces jugements.

Il est clair que la candidature à la présidentielle de Hamma Hammami et son élan réel sont seuls à porter des revendications sociales et politiques de rupture avec la soumission aux possédants et potentats nationaux, à la dépendance à l’impérialisme. Ils portent maintenant aussi sans ambiguïté une ligne d’opposition ferme aux islamistes en Tunisie et ailleurs. Hammami demande par exemple le rétablissement des relations avec le gouvernement syrien interrompues sous pression des islamistes.

Communistes français, la situation tunisienne retient évidemment toute notre attention. Nous ne pouvons qu’assurer nos camarades tunisiens de tout notre soutien politique, moral et matériel en France s’il le faut et de notre conviction, partagée avec eux, que tôt ou tard, la classe laborieuse tunisienne qui a su se soulever contre la dictature trouvera les voies de la constitution de son parti de classe pour son émancipation complète.

Même si avec les élections présidentielles, on vérifiera que l’on en est encore très loin.