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Philippe Martinez dans une interview au Monde : « Le syndicalisme est par essence réformiste ». Il a choisi son camp ! par Alain Casale

Le journal Le Monde daté du 22 septembre 2015 contient une interview de Philippe Martinez par Michel Noblecourt qui lui pose plusieurs questions générales sur la stratégie de la CGT dans le contexte politique marqué par les déclarations de Valls et Macron, après « l’affaire Lepaon », avant le congrès confédéral d’avril.

Le nouveau secrétaire général de la CGT y affirme notamment que « le syndicalisme est par essence réformiste », formule que Noblecourt a choisi – certainement pas par hasard – comme titre. Comme d’autres éléments de l’interview, elle pose question à des camarades syndiqués, elle les choque. Le changement de dirigeant national ne met pas fin au processus de mutation de la CGT qui l’entraîne dans une période de flottement sur ses orientations fondamentales et dans son organisation.

Pour alimenter le débat, nous reprenons ci-dessous la réaction d’Alain Casale, longtemps militant et responsable syndical CGT à La Poste et à l’interpro (UL CGT Paris 15). En bas de page, nous reproduisons également l’interview du Monde.

Réformiste ! : Philippe Martinez a choisi son camp. par Alain Casale

 

Dans un entretien avec Michel Noblecourt, Philippe Martinez affirme : « le syndicalisme est par essence réformiste ». Situés à une époque où les dégâts humains et sociaux, dans notre pays et au delà sont considérables ; où, au plan syndical, la masse de la CGT a refusé la collaboration avec le patronat (qui consistait à accentuer ces effets) par son rejet, notamment, du pacte de responsabilité ; où les déboires immobiliers de son ancien secrétaire général ont, légitimement, troublé les adhérents et les salariés, ces propos ne sont pas anodins. Disons qu’il aurait été, pour le moins, plus logique que le secrétaire général de la première centrale, et syndicat historique, de la France réaffirme la vocation inscrite dans ses statuts de répondre aux intérêts matériels et moraux des travailleurs et de participer à la transformation de la société.

S’agit-il d’une simple question de sémantique ?

Lorsque l’on parle de syndicalisme en France, on est bien obligé d’entendre qu’il s’agit là de la CGT, premier syndicat, créé, et de très loin : 1895. Dès lors, annoncer péremptoirement que « le syndicalisme est par essence réformiste » est une contre-vérité historique, innocente ou volontaire. En effet, le congrès de Limoges de 1895 regroupe les fédérations, d’orientation plutôt réformiste et les Bourses du travail dont l’orientation était plutôt celle des syndicalistes révolutionnaires. Depuis cette époque, une lutte d’influence existe, et c’est logique. Depuis cette époque, parallèlement, patronat et gouvernement n’ont eu de cesse de chercher à diviser le mouvement syndical, de peser sur la CGT (qui comprend dans ses statuts le volonté de changer la société) pour la rendre présentable et ne plus empêcher les profits de tourner en rond.

Constatons que Thierry Lepaon, avait lui aussi pris une large autonomie vis à vis des statuts qu’il était sensé respecter et faire vivre, sans que cela ait ému alors les dirigeants de la centrale, dont Philippe Martinez. Dans une interview au nouvel économiste en 2014, il affirme : « Il n’existe à la CGT aucune opposition de principe face au patronat. L’entreprise est une communauté composée de dirigeants et de salariés – là encore, je regrette que les actionnaires fassent figures d’éternels absents – et ces deux populations doivent pouvoir réfléchir et agir ensemble dans l’intérêt de leur communauté. »

Examinons les statuts de la CGT :

« Prenant en compte l’antagonisme fondamental et les conflits d’intérêts entre salariés et patronat, entre besoins et profits, elle combat l’exploitation capitaliste et toutes les formes d’exploitation du salariat. »

Remontons un peu plus loin dans le temps. 2004, lors du débat sur la future Constitution européenne, Bernard Thibault, devant la CES, avait affirmé : « il n’est pas certain que nous (la CGT) prenions position ». Là aussi, cet avis est discutable aux yeux des statuts de la CGT. Il avait alors initié un large débat dans le syndicat en excluant de faire prendre position à sa commission exécutive (ce qui est pourtant son rôle). De fait les militants avaient alors accompli leurs missions, c’est à dire réuni leurs instances, fait débattre leurs syndiqués et fait un choix. Ainsi Les unions locales, départementales, les fédérations, au travers, de congrès, comités généraux, comités nationaux fédéraux avaient décidé du Non à toute Constitution européenne, décision qui avait été logiquement reprise par le CCN de début 2005. Or, à la suite de ce CCN, on ne peut plus représentatif, les trois principaux dirigeants de la CGT avaient poussé sur toutes les ondes de radio et de télévision des cris d’orfraie vitupérant à l’absence de démocratie (!). Le résultat électoral du 29 mai 2005 fut ce que chacun sait traduisant ainsi avec éclat la qualité des militants de la CGT (la baaase), leur prise avec le réel et de fait, il faut bien le reconnaître la coupure avec sa direction, qui, nous le constatons, ne s’est pas démentie par la suite. Observons, en illustrant au travers de ce scrutin sur la constitution européenne, que le Sénat et l’Assemblée Nationale réunis en congrès avaient approuvé à 85% cette constitution et l’on aura un aperçu des réels problèmes de notre pays. On  pourra ainsi chercher les solutions du bon côté.

C’est aussi ce conseil que l’on pourrait donner à Philippe Martinez. Et alors le contenu des réponses données à Michel Noblecourt aurait un parfum différent.  Tant sur la cause des revers électoraux dans les grandes entreprises, que sur les accords d’entreprise ou sur les journées d’action.

Ainsi ces militants de la CGT qui sont en phase, eux, avec le peuple seraient insuffisamment attentifs à la diversité du salariat dans leur entreprise et à la situation des jeunes ? Les jeunes qui gagnent 900€ par mois [en réaction à une réponse de P. Martinez ci-dessous - NdlR] sont à même de juger de leur travail, de son intérêt, de jauger qu’évidemment 900 € ce n’est pas assez, qu’il leur faudra payer un loyer, leur nourriture, leurs vêtements, leur transport, leurs loisirs… Ils sont capables de donner eux-mêmes le qualificatif adéquat à leur activité sans que le militant de la CGT intervienne. Au contraire, celles et ceux qui acceptent de représenter la CGT dans l’entreprise doivent-ils leur apprendre la soumission ou, avec la défense de leurs intérêts immédiats, la nécessité de changer une société qui exploite et exclut ?

Ce seraient donc eux les responsables des échecs électoraux et non la stratégie de syndicalisme rassemblé avec ceux qui prônent ouvertement la compromission avec le patronat, dont rappelons-le les statuts de la CGT rappellent l’antagonisme fondamental ? En fonction de cela il faudrait laisser les accords d’entreprise (lieu où il y a inégalité de fait à l’avantage de l’employeur) prendre le pas, sous prétexte de s’adapter, sur le Code du travail ? C’est ainsi que construit de manière pragmatique le recul social. Les délégués dans les entreprises signent ce qu’ils peuvent en fonction du rapport des forces mais aussi du sens et du poids que donne la confédération et de l’aide qu’elle peut apporter.

Ces hommes et ces femmes, délégués du personnel, représentants syndicaux, militants évoluent dans un environnement hostile. Ils sont la force et l’honneur de la CGT. S’il faut passer d’une CGT « donneuse de leçons » à une société un peu plus humble, qui écoute plus, c’est à toi Philippe Martinez que ces recommandations doivent s’adresser !

 

 

LE MONDE – 22 SEPTEMBRE 2015

Philippe Martinez « Le syndicalisme est par essence réformiste »

Le numéro un de la CGT, Philippe Martinez, estime « déplacés » les propos de M. Macron sur les fonctionnaires

Propos recueillis par Michel Noblecourt

Elu il y a huit mois à la tête de la CGT après la démission de Thierry Lepaon, Philippe Martinez définit la stratégie de sa centrale. Il refuse, pour l’heure, de dire s’il va participer à la conférence sociale du 19 octobre. La CGT tiendra son prochain congrès à Marseille en avril 2016.

Vous avez été élu à la tête de la CGT à la suite d’une crise qui a conduit à la démission de son secrétaire général. La CGT est-elle sortie de cette crise?

La CGT est sortie de la crise. On reparle plus de nos orientations et de nos activités que de nos affaires internes, même s’il y a encore quelques soubresauts. Involontairement, et à tous les niveaux, on avait un peu lâché la réflexion sur notre conception du syndicalisme. Dès février, on a repris cette démarche visant à rééquilibrer nos tâches institutionnelles et le lien avec les salariés.

La CGT aurait perdu, en 2014, entre 50 000 et 75 000 adhérents…

C’est faux. Il y a eu un retard dans le paiement des cotisations entre la fin 2014 et le premier trimestre 2015. Aujourd’hui, on a complètement rattrapé le retard et on est même en légère progression. Par rapport à la fin août 2014, on a 2 618 adhérents de plus. Le nombre exact d’adhérents sera connu en fin d’année.

La CGT a subi une série de revers électoraux dans de grandes entreprises publiques. Cela vous inquiète?

Oui. Il y a des raisons qui sont dues à la crise mais on a aussi une part de responsabilité. Il faut qu’on soit plus attentif à la diversité du salariat dans les entreprises et à la situation des jeunes. Dire à un jeune qui a été au chômage pendant quatre ans et qui décroche un contrat où il va gagner 900 euros que c’est pas assez, que son boulot est pourri, alors qu’il n’a jamais gagné autant, ce n’est pas la bonne attitude. On peut l’encourager à venir avec nous et, une fois entré dans l’entreprise, on milite ensemble pour améliorer sa situation. Il faut passer d’une CGT « donneuse de leçons » à une CGT un peu plus humble, qui écoute plus.

Vous inscrivez-vous dans la mutation de la CGT, engagée par Louis Viannet et poursuivie par Bernard Thibault, qui conduisait à une certaine adaptation de votre syndicalisme?

Ce n’est pas la lecture que j’en ai. Cette démarche a réaffirmé l’indépendance par rapport aux partis politiques. Ce serait une bêtise de revenir en arrière. Il faut la réaffirmer haut et fort. Il faut réfléchir sur le syndicalisme rassemblé lancé par Louis Viannet en 1995. Le besoin d’unité syndicale demeure, mais il ne faut pas faire semblant d’être d’accord quand on ne l’est pas. Notre priorité, c’est le lien avec les salariés. Il n’y a donc pas de rupture. On s’inscrit dans la continuité mais en prenant en compte la situation actuelle.

Vous estimez que vous passez « trop de temps dans les bureaux des ministres et des patrons », cela signifie-t-il que vous allez être hors du jeu institutionnel?

Non, c’est une question de rééquilibrage. Il faut du dialogue. La négociation, c’est une des finalités du syndicalisme qui, par essence, négocie. Mais, depuis quelques années, il peut se passer huit mois entre le début et la fin d’une négociation, parce qu’on multiplie les groupes de travail préparatoires et les bilatérales. On passe notre vie sur un sujet qui ne mérite pas autant de temps. Je connais des militants et des dirigeants qui passent quatre jours par semaine avec leur patron mais quand est-ce qu’ils vont voir les salariés?

Est-ce du temps perdu de rencontrer le président de la République, le premier ministre ou le président du Medef?

Ce n’est pas du tout inutile. Il ne faut pas les voir pour discuter entre gens de bonne compagnie mais pour leur remettre les pieds sur terre et leur parler de la vraie vie. Je veux bien aller visiter une entreprise avec le président de la République ou un ministre.

Vous avez rencontré Pierre Gattaz?

Je dois le rencontrer cette semaine. C’est normal de voir le patronat, ce n’est pas du temps perdu. Ce qui est inutile, c’est de passer sa vie avec les patrons et de décider du sort des salariés sans que les salariés s’en mêlent.

Le rapport Combrexelle donne la priorité aux accords d’entreprise, qui devront être majoritaires. Or la CGT signe 85 % de ces accords. Avez-vous peur de la négociation d’entreprise?

On n’est pas contre la négociation d’entreprise, mais il ne faut pas inscrire dans la loi une dérogation généralisée au code du travail. Ce n’est pas la peine de diminuer le volume du code s’il est fait pour décorer une vitrine. Le code du travail, c’est la loi et elle doit être la même pour tous les salariés. Le respect de la hiérarchie des normes est indispensable. Après, dans les branches puis dans les entreprises, il faut des négociations parce qu’il y a besoin d’adapter. L’organisation du travail n’est pas la même dans un service public et dans une entreprise.

Tout est-il à rejeter dans ce rapport?

On ne rejette pas tout. Les accords majoritaires, on est pour. Mais on ne veut pas de négociations où le patronat fait du chantage en disant ou vous acceptez ce qu’on propose, ou on ferme et on délocalise.

Vous récusez la ligne de partage entre syndicats réformistes et contestataires?

Je préfère dire qu’on n’a pas la même conception du syndicalisme. Il y a des syndicats qui considèrent que le rapport de forces n’est plus d’actualité. Ils sont plus dans la délégation de pouvoir que dans le lien avec les salariés. C’est leur droit. Nous, on ne veut pas qu’on nous impose du dehors notre conception du syndicalisme. Nous sommes pour des réformes – les 32 heures, c’en est une – à condition qu’elles ne signifient pas un recul des acquis sociaux. Le syndicalisme, par essence, est réformiste. Mais gouvernement et patronat ont dévoyé le mot réforme.

Vous organisez une nouvelle journée d’action le 8 octobre. Mais les précédentes journées ont eu peu d’écho.

La précédente journée du 9 avril était plutôt réussie. Il y a beaucoup de luttes dans les entreprises, souvent gagnantes. Au plan national, un des rôles de la confédération est d’essayer de coordonner ces luttes. On a besoin de plus de batailles « idéologiques » parce que la crise pèse sur les revendications. Tout le monde est d’accord pour dire que ça ne va pas, mais tout le monde n’est pas d’accord sur le comment faire autrement. Il est important que la CGT appelle plus souvent à des mouvements pour peser dans le débat.

Mais à l’arrivée le gouvernement ne bouge pas…

La politique du renoncement ne date pas d’aujourd’hui. Le gouvernement a choisi son camp. Par rapport aux promesses du candidat Hollande, il y a un décalage qui pèse forcément dans les mobilisations. Ce n’est pas parce qu’on est à contre-courant qu’on a tort.

Entre Hollande et Sarkozy, il n’y a pas de différence?

Sur les questions économiques, il n’y a pas beaucoup de différence. Sur le rapport Combrexelle, les éloges sont venus du parti des Républicains.

Que pensez-vous de la déclaration d’Emmanuel Macron mettant en cause le statut des fonctionnaires?

Ces propos sont déplacés et contribuent à la campagne de dénigrement des fonctionnaires et du service public. Ils consistent à opposer les salariés entre eux pour éviter de parler des vraies raisons de la crise.

 

 

Crise à la direction de la CGT – « Affaire » Lepaon – récapitulatif

Vivelepcf, 9 janvier 2015

La situation à la direction de la CGT préoccupe, au-delà des militants syndicalistes, les militants communistes (souvent les deux à la fois), alors que la poursuite de la feuille de route de Hollande, Valls et du Medef appelle à élever, chacun suivant la raison d’être de son organisation, la riposte.

La réunion de la Commission exécutive confédérale de la CGT des 6 et 7 janvier, si on en croit les analyses des camarades plutôt que la presse (beaucoup trop bien informée pour être honnête !), n’a pas abouti à une clarification sur le fond. La démission annoncée de l’ensemble du bureau confédéral va-t-elle y conduire ? On ne peut que l’espérer.

Louis Viannet est intervenu pour demander le départ de Lepaon

Le sort de Thierry Lepaon était scellé depuis la révélation de la prime qui lui a été octroyée lors de son transfert au poste de secrétaire confédéral. Sa tentative de contre-attaque personnelle fin décembre, pour conserver sa place ou pour obtenir un meilleur reclassement, a rajouté au malaise. D’autant plus que l’enquête interne confirme qu’il n’a cessé de mentir sur son cas. Un doute hautement préjudiciable pèse sur la probité des cadres dirigeants.

L’affaiblissement de la parole de la direction de la CGT ouvre la porte à des spéculations tout aussi préjudiciables. Comment interpréter la proposition par Thierry Lepaon d’un successeur, Philippe Martinez, actuel secrétaire général de la fédération de la métallurgie, présenté dans Le Figaro par le lobbyiste patronal, ancien conseiller de Sarkozy, Raymond Soubie, comme un « syndicaliste très respectable avec lequel on peut discuter » ? Cela ressemble à un baiser empoisonné. D’autres journaux n’hésitent pas mettre en avant la possibilité d’une promotion de Sophie Binet, connue pour son appartenance au PS (frondeuse ?), passée en 3 ans de la direction de l’UNEF à celle de la CGT. Prennent-ils leur rêve pour une réalité ? Ils veulent en tout cas influencer le débat.

On se retrouve dans la même climat de confusion, de rivalités personnelles et d’intrigues que lors de la succession de Bernard Thibault.

Une chose frappe. Tous les prétendants hier, les voix principales aujourd’hui, se sont tous accordés sur l’orientation des derniers congrès poussant la CGT à être un syndicat de négociation, de compromis, à rechercher le « syndicalisme rassemblé », orientation qui a conduit de façon inédite à s’impliquer dans la campagne électorale de 2012 et à nourrir de graves illusions sur le PS et Hollande, qui pèsent toujours lourdement aujourd’hui.

Des dizaines de contributions sont remontées des organismes de la CGT, de tous niveaux. Certaines dépassent les circonstances personnelles. Puissent-elles pousser au débat de fond sur les orientations du syndicat ! Puisse la démission collective du bureau y contribuer ! Dès le CCN du 13 janvier?

Nos précédents articles sur la question en lien:

 

La contestation de la ligne de la CGT Lepaon/CGT : corriger l’erreur de casting mais aussi le scénario !

Lepaon ne peut pas se faire sur la question de son appartement !

Résultats électoraux de la CGT : premières analyses et hypothèses

Vivelepcf, 9 décembre 2014

Des élections professionnelles ont eu lieu ces dernières semaines dans les fonctions publiques, dans plusieurs grandes entreprises publiques (RATP, Poste, France-Télécom) et privées (Airbus). Les résultats définitifs sont maintenant connus intégralement. Il apparaît que la CGT enregistre un recul assez général, de 2,3% dans la fonction publique.

La CGT reste néanmoins l’organisation syndicale la plus représentative dans la fonction publique comme à La Poste et à la RATP. Le rappeler, ce n’est pas se consoler, c’est souligner une réalité décisive.

Pour autant, il ne peut pas être question d’ignorer la tendance négative que connaît le syndicat révolutionnaire historique de la classe ouvrière. Et c’est une nécessité d’en analyser les causes. Après de premiers échanges avec des camarades de plusieurs entreprises, nous soumettons quelques premières hypothèses au débat.

L’activité des sections et syndicats locaux a permis aux représentants de la CGT de conserver de nombreuses positions qui seront très importantes pour la défense des salariés et les luttes à venir. Mais elle n’a pas empêché, dans la plupart des cas, des reculs, au profit de l’abstention ou d’organisations syndicales de collaboration, pourtant parfois complètement absentes des bureaux et des ateliers et encore plus des mobilisations. Nous comprenons et partageons l’amertume des camarades.

Il est indiscutable que les affaires Lepaon ont lourdement pesé sur le vote en assimilant, à tort, la CGT aux basses pratiques politiciennes dominantes. Ce facteur est d’abord conjoncturel, même s’il a des origines plus profondes. Nous ne pouvons manquer de dénoncer les responsabilités des « corbeaux » qui ont livré ainsi ces informations en pleine période de préparation des élections, alors qu’elles leur sont connues de longue date.

Des facteurs objectifs ont pesé en défaveur de la démocratie professionnelle en général et de la CGT en particulier. Les patrons des administrations et des entreprises publiques ont choisi d’étendre les votes dématérialisés, par internet, ou les votes par correspondance, même dans les grands sites. Eloigner le vote du lieu de travail, des collègues, des syndiqués, c’est tendre à le transformer en un vote désincarné, sorti de son contexte, soumis à l’idéologie dominante. Syndicat de militants, la CGT a été la première pénalisée.

A la Ville de Paris, la municipalité de « gauche » a décidé pour la première fois de sous-traiter au privé l’organisation du vote par correspondance. Le résultat a été désastreux : mélange des enveloppes, envois multiples, confusion générale ! Des boîtes privées, surexploitant une main-d’œuvre précaire, se sont fait de l’argent aux dépens de la démocratie.

Dans certaines entreprises, notamment à France Telecom, et même à La Poste, depuis quatre ans, les suppressions d’emploi, les externalisations ont été opérées à un tel train que la composition du personnel en ressort changée. La surreprésentation des cadres et catégories intermédiaires, moins directement sensibles à leur exploitation et leur condition sociale de classe, affaiblit presque mécaniquement la CGT dans ces grandes entreprises.

Les stratégies de répression antisyndicale, de harcèlement des militants, se sont encore développées en 4 ans, visant en premier lieu les militants de la CGT. On doit le prendre en compte.

Tous ces éléments sont vécus et réels. Mais nous ne pouvons pas nous y arrêter pour autant dans l’analyse du recul de la CGT ou de la FSU.

En ce qui concerne l’éducation nationale, la dématérialisation du vote en 2011 avait entraîné directement une chute de 15% de la participation. La FSU avait reculé de 6%. En 2014, malgré la familiarisation du monde enseignant à l’outil internet, la participation s’est à peine redressée, de 38,5% à 41%. La FSU recule à nouveau de 5% tout en demeurant en tête avec 35% des exprimés.

Quelque chose n’est passé inaperçu à personne. Entre 2010, 2011 et les élections de cette fin d’année 2014 se sont produites les élections de 2012 et l’alternance au pouvoir.

Avant 2012, de façon inédite, CGT et FSU se sont inscrites dans la campagne électorale de la présidentielle, pour la « gauche » et en définitive pour François Hollande. La CGT a organisé, par exemple, début 2012 un rassemblement national, réunissant 4000 cadres CGT du pays, au Zénith de Paris avec les représentants des candidats de gauche. Les grandes mobilisations de 2009, sur un programme très général et donc très politique, le renvoi des immenses manifestations pour les retraites de 2010 à une perspective de changement électoral, avaient déjà manifesté cette stratégie syndicale d’affiliation à la « gauche » politique.

Aujourd’hui, nous sommes en droit de supposer que la CGT fait les frais de ce choix. Directement, certains le lui reprochent ou se sont écartés du syndicat. L’ensemble des organisations CGT, même malgré elles, ont perdu en crédibilité. Indirectement, les désillusions alimentées conduisent aujourd’hui les salariés, notamment du public, vers la résignation, la recherche de solutions individuelles, en contradiction avec les valeurs de la CGT.

Globalement la participation recule de 1,8% dans l’ensemble de la fonction publique (de 4% dans la fonction publique territoriale, frappée frontalement par la « réforme » territoriale).

Les syndicats ouvertement réformistes, CFDT, UNSA, CGC, gagnent légèrement, en se disputant, entreprise par entreprise, les parts de marché. Ils gagnent sur la résignation et le clientélisme et profitent du soutien patronal et étatique. Logique.

Cette organisation syndicale improbable, née de l’anticommunisme, qu’est FO, progresse dans de nombreux endroits. Pratique de collaboration, discours avec quelques accents radicaux, direction à composante trotskyste, sympathisants plus marqués à droite, avec le soutien ponctuel du FN, FO a joué son rôle de vote poubelle antisocial.

Sud-Solidaires a progressé légèrement, surtout dans les administrations, où elle est héritière directe de la CFDT, réformiste avec un vernis gauchiste (hôpitaux), ou de syndicats autonomes (Impôts). Mais Sud recule fortement là où il s’est montré, même à sa façon gauchiste, le plus contestataire, comme à France-Télécom et à La Poste. Tailler des croupières à la CGT ne lui rapporte plus. Ses militants honnêtes et combatifs affrontent la même réalité que les syndiqués CGT.

Ces résultats, contrastés mais globalement négatifs pour la CGT, doublés des polémiques justifiées issues des affaires Lepaon peuvent et doivent amener à une redéfinition de la ligne de la CGT nationalement. Beaucoup d’entre nous ont été choqués des efforts des directions et en particulier de Lepaon pour éteindre la grève des cheminots en juin contre la « réforme ferroviaire ».

C’est pourtant à partir de telles luttes, pour les services publics, pour la défense et la reconquête des monopoles publics, pour la défense du financement et des prestations de la sécurité sociale, contre la casse du droit du travail, contre l’extension du travail du dimanche, pour faire obstacle à la liquidation de l’industrie par des nationalisations conséquentes – automobile, sidérurgie -, contre l’Union européenne, ses directives, ses règlement et sa domination monétaire au service du capital, que peuvent se construire les perspectives de résistance, de rupture avec la politique du capital.

Ces perspectives qui renforceront les syndicats CGT, les syndiqués, les salariés, le pays dans leur entreprise, dans la lutte des classes.   

Les formules qui laissent s’infiltrer le réformisme (suite): « L’Entreprise appartient aussi aux salariés »

 « L’Entreprise appartient aussi aux salariés » ? Ah bon ?

Le tract national de rentrée de la CGT nous surprend. Nous approuvons complètement l’initiative d’une journée d’action le 16 octobre pour la Sécurité sociale. La condamnation de la politique de Valls II s’impose, même s’il n’y a pas de différence avec Valls I ou Ayrault 0. L’expérience du soutien de la CGT à Hollande en 2012 devrait la détourner de nouvelles illusions pour 2017. Mais comment comprendre le titre du tract : « L’entreprise appartient aussi aux salariés » ? En système capitaliste, ce n’est pas vrai ! Les principaux moyens de production et d’échange appartiennent aux capitalistes et cette propriété est décisive dans leur dictature. Les coopératives, même si elles peuvent parfois se réfugier dans des niches comme les entrepreneurs indépendants, sont dépendantes du système dominant établi par la propriété capitaliste. Les entreprises nationales sont, notamment en France, le reflet, dans leur gestion, d’un rapport de force historique, qui a à quelques heures glorieuses, été favorable à la classe ouvrière, permettant des acquis durables. Le secteur étatique n’en est pas moins sous contrôle du capital. Il est bien dangereux d’utiliser une formule comme « appartient aussi aux salariés ». Cela ouvre à la comédie de la participation et de la collaboration de classe, avec par exemple le piège de l’actionnariat salarié. Cela détourne de la perspective de rupture nécessaire avec la propriété capitaliste, celle qui fait peur et fait flancher les possédants.