Bertolt BRECHT – Poèmes de Noël

Paul Gauguin - Images de Noël

 

MARIE (1922)

La nuit de ses premières couches avait été

Froide. Mais, les années passant,

Elle oublia complètement

Le gel dans les poutres branlantes, le poële qui fumait

Et les douleurs de la délivre sur le matin

Mais surtout elle oublia la honte amère

De n’être pas seule,

Cette honte des pauvres.

Voilà surtout pourquoi,

Les années passant, on en fit une fête, où

Rien ne manquait.

Les propos grossiers des bergers se turent.

Par la suite on en fit des rois dans l’histoire.

Le vent, qui était très froid,

Devient un chœur angélique.

Et du trou dans le toit par où entrait le gel,

On ne garda que l’étoile et son clignement.

Tout cela vint du regard de son fils, qui était aimable,

Aimait le chant,

Invitait à lui les pauvres

Et avait accoutumé de vivre au milieu des rois

Et de voir dans la nuit une étoile au-dessus de lui.

 

LEGENDE DE NOËL (1923)

1

En cette veillée de Noël

Sommes assis, nous pauvres gens,

Dedans une chambre où il gèle

Et où on sent entrer le vent.

Viens, doux Jésus, sous notre toit,

Car avons grand besoin de toi.

2

Nous restons là à nous morfondre

Comme les pires des infidèles

La neige tombe et nous transit

Elle veut rentrer à tout prix.

Viens, neige, entre sans dire mot,

Puisqu’on te chasse aussi du ciel.

3

Nous allons faire une eau-de-vie

Qui nous réchauffera le cœur,

Une eau-de-vie bien brûlante.

Dans la cour il rôde une bête.

Viens, pauvre bête, entre bien vite :

Vous autres n’avez pas non plus de gîte.

4

Nous jetons au feu nos habits,

Car ainsi nous aurons plus chaud.

La maison flambe, ou peu s’en faut,

Nous ne gelons qu’en fin de nuit.

Viens, pauvre vent, sous notre abri :

Tu n’as pas non plus de patrie.

 

LA BONNE NUIT (1925)

C’était un jour déraisonnable,

Un jour âpre et bien lamentable,

Où naquit le grand Christ Roi.

Ses parents, qui cherchaient un toit,

Redoutaient fort son arrivée

Qu’ils attendaient pour la soirée :

Car elle tombait dans les froids de décembre.

Cependant tout se passa sans encombre.

L’étable enfin trouvée au terme de leur course

Etait chaude et ses linteaux calfeutrés de mousse.

Sur la porte, à la craie, il était précisé

Que cette étable était occupée et payée.

Et ce fut à tout prendre une fort bonne nuit :

Le foin lui-même était plus chaud qu’on aurait dit.

Le bœuf et l’âne étaient présents,

Afin que chacun soit content.

D’une crèche l’on fit une table. En secret

Un poisson vint l’orner par les soins du valet.

(Car il est certain que dans cette affaire

Tout réclamait la ruse et le mystère).

Mais ce poisson fut un délice, et fort copieux,

Et Marie se moquait de son époux anxieux,

Car vers le soir on vit tomber le vent,

Et il soufflait moins froid qu’en d’autres temps.

Pendant la nuit ce devint un vent chaud

Et l’étable était tiède et l’enfant était beau.

A peine pouvait-on en souhaiter davantage :

Et voici que l’on vit arriver les rois mages.

Marie et Joseph étaient forts satisfaits

Et c’est fort satisfaits qu’ils allèrent se coucher :

Pour le Christ, le monde avait bien fait les choses.

Poèmes traduits de l’allemand par Bernard Lortholary (Brecht – Poèmes – tome 2 – éditions L’Arche – 1965)