Echange policé Gattaz/Lepaon dans Marianne : quelles convergences ?
Vivelepcf, 4 août 2013
L’hebdomadaire Marianne aime habituellement à forcer le trait.
Dans son édition du 20 juillet (en lien), il titre « CGT-MEDEF : on a trouvé des convergences » le compte-rendu de la rencontre qu’il a suscitée entre Pierre Gattaz et Thierry Lepaon, nouveaux premiers dirigeants des deux organisations. Le journal n’hésite pas à ajouter : « Riche de convergences inédites, ce face-à-face laisse espérer un tournant dans notre histoire sociale ».
La rédaction de Marianne prend-elle ses rêves pour des réalités ? A la lecture, il y a quelque chose de très dérangeant dans le dialogue entre les représentants de deux organisations que toute la lutte des classes devrait séparer. Et ce n’est pas que le ton policé de l’échange.
Comment le secrétaire de la CGT peut-il tomber d’accord avec le président du Medef même sur des formules certes aussi générales que la « revalorisation du travail » ou l’objectif de la baisse du chômage, alors que tout ce que le patronat entend par là, c’est davantage d’exploitation ?
D’autant que Gattaz est loin d’être vague dans ses propos. Il se félicite du CICE, ces 20 milliards d’euros par an de remboursement de salaires par l’Etat aux patrons. Mais il trouve que cela ne va pas assez loin. Il vise explicitement à faire main basse sur les 30 milliards d’euros de cotisations de la branche famille de la Sécurité sociale, etc.
Rien de tout cela ne semble émouvoir Thierry Lepaon.
Les milliards d’euros d’aides publiques aux entreprises ne semblent pas scandaliser le secrétaire de la CGT. « Il y a des années, on nous a dit : « pour maintenir l’emploi, favoriser l’investissement, il faut alléger les contributions patronales des boîtes en difficulté. Et je pense qu’on a bien fait ». Ce qui dérange Lepaon aujourd’hui, c’est que cette manne ne soit pas assez « ciblée » et que l’efficacité des aides ne soit pas évaluée.
Gattaz applaudit et complète avec d’autres revendications patronales. On le comprend. Son interlocuteur reconnaît la légitimité des aides publiques aux entreprises qui reviennent pourtant, in fine, au profit capitaliste. A son tour, Lepaon se réjouit de ce qu’il entend, que Gattaz accepte l’idée du contrôle des aides publiques. Est-ce de l’ironie ?
Gattaz trouve aussitôt un autre sujet d’accord avec Lepaon : l’UE.
Lepaon vante la résolution de la Confédération européenne des syndicats réclamant « l’harmonisation des bas salaires en Europe et un changement de cap économique ». « Là-dessus, je suis aussi en partie d’accord », répond Gattaz, « il faut harmoniser l’Europe sur le plan économique et social aussi rapidement que possible ».
Gattaz sait bien que la perspective illusoire « d’harmonisation » sociale européenne ne fait que légitimer la mise en concurrence généralisée des travailleurs européens par l’UE. De quelle « harmonisation » peut-on parler sinon d’un alignement global par le bas, notamment des salaires ? Les « jobs à trois euros de l’heure » en Allemagne se répandent. Le salaire minimum mensuel est de 157 euros en Roumanie…
En matière de « dialogue social », Gattaz est presque dépassé, lui qui se dit « apolitique » et souhaite des « partenaires sociaux dégagés des dogmes et postures politiques ».
Le journaliste demande : « Peut-on embarquer patrons et salariés sur un même navire, dans le même cordée, sans inventer une démocratie sociale ? ». Thierry Lepaon répond : « Il faut avoir le courage de s’engager. », puis « Les groupes allemands mobilisent leurs personnels en leur accordant un droit de regard sur leur stratégie et leur plan de formation. Et lorsque chez nous, des patrons, grands ou petits, font l’effort de communiquer avec leurs salariés, cette transparence leur permet de mieux traverser des difficultés comprises par tous ».
En bref, Lepaon reproche aux patrons de ne pas jouer assez le jeu du dialogue social, de la communication d’entreprise. Il en veut plus.
Son propre exemple est pourtant préoccupant en la matière. Plus le patronat dialogue avec lui, avec les qualités de communicant d’un Pierre Gattaz, plus il glisse vers ses positions, du syndicalisme de négociation au syndicalisme consentant…
Dès le 1er mai, le nouveau secrétaire de la CGT invitait à dépasser la divergence avec la CFDT sur l’ANI, après une lutte avortée. Quelle forme de lutte, quel contenu faut-il attendre de la CGT avant les grandes batailles qui s’annoncent à l’automne contre la politique gouvernementale ? Ce que les syndiqués imposeront !
la CGT subit les effets de la mutation de Robert Hue. La mise en cause de la propriété a disparu. Certains militants rappellent les statuts de 1905, dans lesquels figurait l’appropriation collective, la nationalisant de l’ensemble de l’économie. Aujourd’hui cette attitude relève de la politique et non du syndicalisme. Le patronat a réussi à faire en sorte que le syndicalisme se contente de négocier la laisse qui lie les prolétaires à leur capitaliste; que cesse le rôle de courroie de transmission entre le PCF et la CGT. Bernard Thibault s’y est employé avec détermination.
Pourquoi le syndicat de classe devrait-il s’abstenir d’exiger l’appropriation collective de l’économie, des moyens qui permettent de produire les marchandises, les produits, les services nécessaires à la vie des gens ? C’est un peu comme si les exploités se coupaient un bras. Au nom du respect d’une exigence de l’idéologie dominante. Un théorème en forme de diktat, bien répété par les syndicats de collaboration de classe : Cfdt, Fo, Cgc, et d’autres. Certains s’en glorifient: « on ne fait pas de politique ». Ils ont tort et ne réfléchissent pas. La légitimité de la propriété de moyens de production doit être mise en cause. Elle est obtenue par la force, soit physique,soit législative, soit bancaire.
Osons penser autrement. Marx nous aide; il a déjà tout analysé.