Article, vivelepcf, 19 mai 2013

Thierry Le Paon était interviewé dans le quotidien gratuit « Direct matin » du 30 avril 2013 sur l’état des relations entre la CGT et la CFDT. Extrait :

Q : Faut-il oublier les divergences sur l’accord sur l’emploi ?

T. Le Paon : Oui, il le faut. De grands rendez-vous arrivent. La réforme des retraites, celle des allocations chômage ou la conférence sociale en juin. Chacun a ses positions, mais faisons un vrai débat sur l’accord sur l’emploi, discutons. Il faut se réunir. La défense des salariés ne se fera qu’avec l’unité syndicale.

La direction de la CGT avait déjà appelé avec insistance la CFDT à revenir sur sa décision de ne pas participer au défilé du 1er mai en raison des différends sur l’ANI.

Le 17 mai, Thierry Le Paon a rencontré son homologue de la CFDT, Laurent Berger pour, particulièrement, « préparer ensemble la conférence sociale » des 20 et 21 juin.

La direction de CGT applique résolument sa stratégie dite du « syndicalisme rassemblé », autrement dit de la priorité à la recherche de l’unité syndicale, notamment avec les syndicats réformistes aux côté desquels elle siège dans la Confédération européenne des syndicats (CES).

Au récent 50ème congrès de la CGT, la direction n’a pas voulu rouvrir le débat en tant que tel dans la confédération sur ce « syndicalisme rassemblé ». Elle a ainsi refusé un vote séparé sur cette question, noyée dans une résolution assez consensuelle.

 Le « syndicalisme rassemblé » n’en est pas moins fortement contesté parmi de nombreux cégétistes, partant de leur expérience militante.

Leurs divergences avec la CFDT sont fondamentales et pas uniquement sur « l’ANI ». Elles le sont aussi notamment sur les retraites depuis la trahison de 2003. La CFDT accepte l’allongement de la durée de cotisation, la non-indexation des complémentaires, veut l’établissement d’un système par points etc. Après la conférence de presse de François Hollande du 16 mai, la secrétaire générale adjointe de la CFDT, Véronique Descacq, salue le : « le volontarisme affiché en matière de politique européenne qui va dans le bon sens comme la définition de filières d’avenir ».

Partant de là, une position commune CFDT/CGT pour la « conférence sociale » est inconcevable hors d’une position d’accompagnement des mauvais coups gouvernementaux.

Dans la pratique, dans l’organisation des mouvements, la primauté accordée à la recherche de l’unité syndicale a montré qu’elle nuisait au rassemblement dans les luttes et à leur efficacité.

Reprenons deux exemples récents.

En janvier 2009, en réponse à la nouvelle phase de la politique d’austérité, l’intersyndicale a produit une « plateforme commune » et appellent à une série de journées nationales de manifestation. La mobilisation est d’abord massive, à la hauteur de la colère et des attentes. Puis elle s’est dégonflée peu à peu, tant les journées d’action étaient espacées et dénuées de revendications immédiates convergentes.

La « plateforme commune » listait des revendications très générales, assimilables à des têtes de chapitre des programmes électoraux de « gauche ». C’est ce qui s’est produit : aucune autre perspective n’est finalement apparue que le départ de Sarkozy en 2012. Les autocollants de certains politiciens ont poussé caricaturalement cette logique démobilisatrice: « Casse-toi, pov’con ! ».

Malgré l’échec, en 2010, l’intersyndicale a géré de la même façon la mobilisation sur les retraites.

Les journées d’action, sans appel à la généralisation de la grève, se sont succédées à un ou deux mois d’espacement, malgré l’absence d’avancées et même de négociations.  Les mots d’ordre et positions sont restés imprécis, sans point de focalisation du rapport de force. La question de la fixation du nombre d’annuités est restée vague, sans lien la retraite à 60 ans. L’intersyndicale a même fait le choix de ne pas appeler au retrait du projet de loi Woerth mais à une « autre réforme » (sous-entendu avec un autre gouvernement).

Le résultat a été le même qu’en 2009. Le mouvement, malgré l’ampleur des manifestations sur une question aussi symbolique, a fini par s’essouffler, sans aucun résultat. A nouveau, la seule perspective laissée aux travailleurs a été le changement aux élections de 2012, « devant l’obstination de Sarkozy ».

La direction de la CGT a été conséquente. Elle s’est investie résolument dans la campagne électorale des présidentielles en faveur de la gauche et pour l’élection de François Hollande. Elle a, entre autres, le 31 janvier 2012 – un après-midi de semaine – rassemblé 5.000 responsables syndicaux au Zénith de Paris pour un meeting avec les représentants des candidats de gauche, une nouvelle fois, pour les retraites.

Le président et le gouvernement ont changé. Loin des illusions propagées, sans surprise, sa politique économique et sociale poursuit la précédente. Quelle perspective de changement, sinon de rupture, la direction de la CGT offre-t-elle ? Elle s’affiche déçue de Hollande dans son texte de congrès mais ne regrette pas de s’être engagée pour lui. La nouvelle échéance pour un « changement » hypothétique doit-elle être renvoyée à 2017 ou bien à un remplacement de premier ministre comme les dirigeants du Front de gauche l’envisagent. Ce Front de gauche fournit une référence complémentaire à la ligne de la direction de la CGT, pour ceux qui veulent exprimer plus de radicalité.

Devant de tels horizons, on peut légitimement se demander si la rupture est réellement l’objectif de la nouvelle conception du syndicalisme recherchée par la direction de la CGT.

En ce début d’année 2013, la CGT a dénoncé – arguments à l’appui – l’ANI comme un « coup de poignard dans le code du travail ». Elle en a fait son principal cheval de bataille, parmi les multiples mesures antisociales du pouvoir. Elle a lancé plusieurs actions. Les quelques journées de manifestation ont montré une amorce de reprise d’un mouvement d’ensemble. Mais, à peine entamée, il est clair que la mobilisation n’ira pas plus loin par manque d’impulsion de sommet. La direction de la CGT passe à  autre chose. Avant même que la loi soit votée, Thierry Le Paon estime (voir  supra) qu’il faut « oublier les divergences avec la CFDT » sur la question. « On verra qui de la CGT ou de la CFDT a eu raison » a-t-il ajouté sur LCI le 16 mai.

Une fois de plus se concrétise la nouvelle conception du syndicalisme de proposition, de négociation et de compromis avancée, plus ou moins ouvertement, depuis plusieurs congrès. La mobilisation, la gestion des luttes, n’ont pas pour but de tenter de mettre en échec l’adversaire mais de faire pression dans les négociations, tout en servant de soupape à la pression des travailleurs. Dans un rapport de forces donné, que l’on juge d’emblée improductif de bouleverser, on recherche le meilleur aménagement possible des « réformes », des « accords », dans une démarche toujours « constructive ». Avec les « partenaires » sociaux…

Des cheminots ont été choqués par cette logique en découvrant que Thierry Le Paon, alors vice-président du Conseil économique et social (CESE), a été l’auteur, avec un élu UMP, d’un rapport sur « l’ouverture à la concurrence des services ferroviaires régionaux de voyageurs », rendu en juillet 2012… alors que la réforme ferroviaire n’a pas été votée et que la lutte monte en puissance…

En 2008, un « accord » a été beaucoup plus unitaire que l’ANI en 2013, celui sur la « représentativité syndicale ». Sarkozy, Medef, CFDT, CGT, FO… sont tombés d’accord pour institutionnaliser les rapports sociaux suivant la voie de la démocratie politique bourgeoise représentative, pour supprimer  les « anomalies » (selon la classe dominante) de l’histoire du syndicalisme révolutionnaire en France, les acquis du syndicalisme de lutte. La gauche parlementaire avait approuvé sans débat, jugeant à cette époque qu’elle n’avait pas à remettre en cause un accord social paritaire…

Sous tous ces aspects, le modèle de la mutation de la CGT se révèle être le syndicalisme européen, d’essence réformiste. La direction de la CGT s’investit entièrement dans la Confédération européenne des syndicats, la CES, pilier de l’Union européenne, propagandiste influente de Maastricht, du projet de constitution, de Lisbonne. On apprend que la CGT, au nom des syndicats français de la CES (dont la CFDT), négocie et se réjouit de signer bientôt un accord européen sur l’emploi des jeunes avec l’homologue patronal de la CES, « Business Europ ». Le syndicalisme réformiste européen comme modèle ? La marche vers l’intégration dans l’UE du capital, au nom de l’Europe social, comme projet réformiste en France ?

La direction de la CGT s’efforce de gérer la contradiction entre son projet de transformation d’un côté, l’histoire et l’image de syndicat de classe, révolutionnaire. En 2005, Bernard Thibault et Jean-Christophe Le Duigou n’ont pas pu aller jusqu’au bout de leur approbation au TCE, même de l’absence de consigne de vote au référendum. Avant le 50ème congrès, dans plusieurs tribunes, ils ont prétendu que la CES avait évolué vers les positions de la CGT et non l’inverse… Ah bon !

Entre le « syndicalisme rassemblé », l’abandon de positions historiques, l’alignement politique sur la « gauche », l’investissement dans l’UE et la CES réformiste, la pratique du syndicalisme de négociation et de compromis : quel positionnement découle de l’autre ? Ils sont les expressions d’une même ligne stratégique.

Beaucoup de camarades syndiqués sont sortis frustrés du processus du 50ème congrès tant cette cohérence stratégique leur a semblé noyée dans des généralités empêchant les discussions essentielles.

Dans son interview à Direct Matin, Thierry Le Paon affirme encore : « Notre division [CGT et CFDT] ne sert que les patrons et le Front national ». Ne serait-ce plutôt les positions de la CFDT qui sert le patronat et les défaillances du syndicalisme révolutionnaire qui laissent un espace à la démagogie populiste.

Pendant 6 mois, la direction de la CGT a étalé de façon déconcertante des divergences internes sur le nom du successeur qu’elle désignerait à Bernard Thibault. Pourtant, Eric Aubin, Nadine Prigent, Agnès Naton et la personnalité de conciliation finale, Thierry Le Paon partagent tous le processus de transformation de la confédération. Ces rivalités affichées de personne ne sont-elles pas aussi un symptôme de ce changement de fond de son mode de fonctionnement?

Communistes, le monde du travail, l’entreprise sont une priorité de notre engagement. Les syndicats et d’abord la CGT sont à tous les niveaux l’objet de notre attention et de nos préoccupations. Combien de camarades le disent ainsi : un militant révolutionnaire a besoin de deux pieds pour marcher : le Parti et le syndicat. Il n’a qu’une seule tête qui produit une seule analyse, la même, sur l’un comme sur l’autre. Militants communistes, nous défendrons partout, suivant la raison d’être de chacune, les organisations révolutionnaires historiques dont les travailleurs et le peuple ont besoin.