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A 90 ans, l’Unita cesse de paraître

Brève, vivelepcf, 1er août 2014

« Ils ont tué l’Unita » : voilà le titre à la une choisi par la rédaction du numéro du célèbre quotidien italien du 30 juillet. Le 1er août, il a cessé de paraître, placé en liquidation judiciaire. Il y a très peu de chances pour qu’un repreneur se présente.

C’est une dernière étape – post mortem – de la liquidation du Parti communiste italien par autodissolution en 1991.

L’Unita meurt à 90 ans après une douloureuse agonie. Le journal a été fondé par Antonio Gramci le 12 février 1924. Il est resté l’organe central du PCI jusqu’en 1991, suivant déjà toutes les dérives de sa direction. On sait que l’appareil de l’ex-PCI a muté le Parti, par étapes, en « Parti démocrate ». Le PD aujourd’hui au pouvoir, avec le président du conseil Matteo Renzi, se revendique à mi-chemin entre la social-démocratie européenne et le Parti démocrate américain.

L’Unita a été embarquée dans cette évolution. Elle a été privatisée tout en restant en fait sous le contrôle de la mouvance dirigeante du Parti. Son déclin politique et économique a été organisé. Ces derniers temps, elle tirait à 21.000 exemplaires. Vu l’histoire et le prestige du titre, l’Unita a été destinée à représenter plutôt l’aile « gauche » du nouveau parti.

Il semble que la direction du PD ne trouve plus d’intérêt à maintenir le journal, du moins en tant que quotidien, d’autant plus dans un contexte de crise aigüe de la presse.

Pour les communistes, le deuil a commencé depuis longtemps mais les conditions de la reconstruction du Parti et de son journal restent confuses.

Elections en Italie : la colère populaire détournée, le mouvement communiste au plus bas.

Elections en Italie : le capitalisme réussit, pour l’instant, à stériliser la colère populaire !

Le mouvement communiste entraîné encore plus bas avec la « révolution citoyenne » d’un Front de gauche à l’italienne (2%).

Vivelepcf, 26 février 2013

Au nom de la « crise » et d’une dette héritée des années 80 et 90, le capitalisme italien et européen fait subir aux travailleurs et au peuple les pires reculs sociaux depuis la Libération. Mais la bourgeoisie italienne réussit, pour l’instant, à détourner la colère populaire, comme l’illustrent les résultats des élections générales des 24 et 25 février.

Mario Monti sacrifié sur l’autel de l’austérité

Le capital a trouvé en 2011 l’homme qu’il fallait pour mettre en œuvre et surtout pour assumer sa politique : Mario Monti, l’ancien président de la commission européenne et l’ancien collaborateur du groupe financier américain Goldmann Sachs.

L’idéologie dominante est parvenue à le faire passer, sinon pour un homme providentiel, pour un « monsieur propre ». Elle a mis en scène le contraste, facile, entre la dépravation morale et politique étalée de Berlusconi et l’austérité et la compétence présumée du technocrate, familier des marchés financiers internationaux.

Dans le désarroi politique général et la dramatisation de la pression de la finance, le « professore » Monti, devenu président du conseil, est arrivé à faire passer les pilules les plus amères : la « flexibilisation » du marché du travail, la retraite à 66 ans, sans indexation sur les prix, l’asphyxie des services publics etc. Au total, 130 milliards d’euros pris au peuple. Il a bénéficié d’une longue période d’atonie, sinon de bienveillance, des organisations syndicales, prêtes à tout négocier.

Maintenant, le mal est fait. Personne ne songe à revenir sur ces contre-réformes antisociales. Exit Monti !  Aux élections générales, sa coalition politique enregistre un désaveu cinglant : moins de 10% des voix. Rien de plus logique.

70% pour les partis de l’austérité !

10% seulement pour Monti mais 30% pour le Parti démocrate et 30% pour la coalition de Berlusconi ! L’idéologie dominante a incroyablement réussi ce premier tour de force de rassembler plus de 70% des suffrages derrière les formations politiques qui ont soutenu sa politique.

Avec subtilité, les media ont insisté sur le fait que Monti n’avait pas porté au pouvoir par le suffrage universel. C’était pour mieux masquer qu’il était soutenu par une majorité parlementaire, bien  élue, unissant de la droite berlusconienne et de la gauche conduite par le PD.

La coalition menée par le PD de Luigi Bersani est arrivée en tête. Elle obtient la « prime » majoritaire à la chambre des députés. Elle a engrangé, au « centre-gauche », les voix de l’alternance. Le dégoût de larges milieux pour le repoussoir Berlusconi l’a servie, du moins par défaut. Mais la performance du PD est décevante : 29,54% à l’élection législative, 31,66% à la sénatoriale. Le PD visiblement a payé son soutien à Monti et son engagement pour l’euro et l’UE.

De l’autre côté, en à peine quelques mois, le système est parvenu à réaliser l’inimaginable. Il a  remis en selle Silvio Berlusconi. Sa coalition réalise 29,13% à la législative et 30,73% à la sénatoriale. Au Sénat, c’est elle qui dispose du plus d’élus grâce au scrutin à base régionale.

Le succès de ce nouveau lifting politique est aussi incroyable qu’inquiétant. Le système a réussi à faire passer Berlusconi pour un opposant à la politique qu’il a lui-même engagée puis soutenue, pour un opposant à l’UE. Dans le positionnement d’extrême-droite, Berlusconi est allé jusqu’à mouiller sa chemise brune vantant l’héritage économique et social de Mussolini, suppléant son allié, la Ligue du Nord, engluée dans des scandales financiers.

Les Cinq étoiles de Beppe Grillo : un populisme de « gauche » sans lendemain ?

L’idéologie dominante a réussi un deuxième tour de force : celui de diriger une grande part de la protestation populaire vers une incongruité politique: Beppe Grillo.

Avant d’en venir à lui, nous n’oublions pas les 25% d’abstention, taux non négligeable dans un pays où le vote était encore obligatoire il y a peu.

La Parti de Grillo, « les Cinq étoiles », obtient 25,5% à la législative et 23,8% à la sénatoriale. Il ressort premier en voix en tant que Parti, Bersani et Berlusconi étant à la tête de coalition.

Où situer politiquement Grillo, humoriste de profession ?

On ne peut pas classer Grillo à l’extrême-droite néofasciste et racisante, créneau laissé à Berlusconi, même si, dans la diversité de ses déclarations à l’emporte-pièce, on retrouve une mise en cause du droit du sol et des insultes aux Roms.

Il semble que les listes « 5 étoiles » aient surtout rassemblé des électeurs habituels de gauche. Au lendemain du scrutin, c’est Bersani et son allié de gauche post-communiste, Nichi Vendola, qui lui tendent la main, ainsi qu’à ses élus, pas Berlusconi.

Le cœur de son fonds de commerce politique tient dans sa condamnation virulente des élites, des institutions nationales et internationales. Cette fonction tribunitienne fonctionne d’autant mieux après la suite de scandales politico-financiers et la cure d’austérité technocratique.

Il est souvent comparé en France à Coluche. Ce n’est pas si déplacé. Il partage avec lui la grossièreté, les logorrhées antisystème, incluant, privilégiant, sinon l’anticommunisme (qui a moins de raison d’être en Italie aujourd’hui), l’anti-syndicalisme primaire. Son populisme rejoint (et dépasse) celui auquel un Jean-Luc Mélenchon aime à s’identifier. Il affiche le même mépris des media pour mieux en jouer. Il reprend le « Qu’il s’en aille tous » du sénateur honoraire français mais le précise, dans le style de Coluche : « Qu’ils aillent tous se faire enc… ».

Beppe Grillo n’est pas un candidat sérieux au pouvoir. C’est pourquoi comme héraut de la contestation, il convient si bien au système qu’il prétend combattre.

Il ne dispose pas vraiment de parti organisé sur une ligne politique cohérente et ne cherche pas à en construire. Le groupe des 163 nouveaux parlementaires de son « association libre », néophytes inconnus, révèle déjà, en quelques jours, son hétérogénéité. Certains se prononcent déjà pour l’acceptation de l’alliance avec le PD. Les motivations de leur engagement, au-delà d’une volonté de changement, semblent aussi discordantes que les discours de leur animateur. La liberté d’internet, le féminisme (38% d’élues, un record), l’écologie « durable » : tout est mélangé sans hiérarchie. Sur ce type de base, les mouvements « pirates » ont fait long feu en Allemagne ou en Suède.

Incohérent, fantaisiste, lourdement démagogique, Beppe Grillo est l’homme qu’il faut pour déconsidérer et stériliser des positions fortes correspondant à la colère des travailleurs et la colère populaire. Ce ne sont pas ses élus qui les porteront.

Pourtant, elles aussi, ont incontestablement fait leur succès électoral. Et ce n’est pas le moins intéressant de l’analyse de la situation italienne.

Ainsi, du flot de paroles de Grillo émergent parfois la revendication de l’établissement d’un salaire minimum à 1000 euros, dans un pays où il n’y en a pas, celle d’une restructuration de la dette publique, surtout celle, fondamentale, d’une libération de l’Union européenne, de ses traités et de l’euro.

C’est ce qu’entre autres, seul un véritable parti communiste pourrait et devrait défendre de façon conséquente. L’Italie est le pays d’Europe occidentale, où avec la France, où a existé le parti communiste le plus influent. Son absence est accablante.

Les élections de 2013 marquent encore une nouvelle étape dans la disparition du mouvement communiste.

Où est passé le Parti communiste italien ? Mesurons-le gravement en regardant les acteurs de ces dernières élections !

Bersani, futur probable Président du Conseil,  comme le président Giorgio Napolitano, sont issus de l’ancien PCI. Suivant Gorbatchev à partir de la fin des années 80, la majeure partie de l’appareil du PCI a engagé la transformation en parti social-démocrate puis en PD, Parti démocrate à l’américaine. Le PD se situe dans la sujétion loyale au capitalisme et son organisation européenne, l’UE.

En 1991, un nouveau parti a rassemblé une partie des communistes qui refusaient la trahison de la direction du PCI : le Parti de la Refondation communiste (PRC). A son tour, la direction de Refondation s’est engagée dans la voie du réformisme européen jusqu’à, notamment appuyé le gouvernement social-libéral de Romano Prodi. Les élections de 2008 ont marqué l’élimination des communistes du Parlement après l’échec de la coalition hétéroclite et réformiste « Arc-en-ciel » (3,5%). Le PRC a, à son tour, une nouvelle fois scissionné (mal scissionné !).

Avec la bénédiction du dirigeant historique du PRC et du PGE Bertinotti, une grande partie des élus ont fondé un nouveau parti, se dégageant de toute référence communiste, le SEL, « gauche, écologie, liberté », derrière le Président de la région des Pouilles, Nichi Vendola. Pour 2013, le SEL s’est rallié au PD, participant à ses primaires puis à sa coalition électorale. Il a des élus. Il tient peu ou prou le rôle que Robert Hue en France voudrait jouer avec son MUP.

Ce qui reste de mouvement communiste organisé a renoncé à se présenter sous ses couleurs. Le reste de Refondation communiste et le Parti des communistes italiens, issu d’une scission précédente (1998) se sont rangés derrière une personnalité, l’ex-juge Antonio Ingroia, qui fut engagé dans des procès contre la mafia. 55% des candidats présentés appartiennent à la « société civile » (s’organiser dans un parti, est-ce une tare ?). Le résultat électoral est catastrophique, en dessous de toute imagination : 2,26% à la législative, 1,79% à la sénatoriale.

La « Révolution citoyenne » d’Ingroia est directement apparentée au PGE en Europe et au Front de gauche en France et a reçu le soutien de leurs dirigeants dont Mélenchon et Pierre Laurent.

Elle s’est trouvée écrasée entre le vote utile pour le PD pour barrer la route à Berlusconi et le vote pour Grillo bien plus efficace pour exprimer sa contestation. Ingroia n’a pu jouer le Mélenchon à l’italienne parce que la place était prise, sans doute aussi parce que sa conception de la politique l’écartait d’une posture de bateleur.

On l’a écrit plus tôt, Grillo s’est également emparé des problématiques sociétales, féministes, écologiques etc. au centre de la « Révolution citoyenne ». Il a mieux incarné le rejet de la corruption, allant jusqu’à proposer d’élire l’ex-juge Di Pietro, précurseur d’Ingroia, comme Président de la République.

Là où Grillo a porté un rejet total de l’UE, même d’une manière démagogique, face à Monti et sa politique, Ingroia et ses alliés défendaient l’Europe sociale et des propositions euro-compatibles illusoires comme la réorientation des missions de la Banque centrale européenne.

« Peser à gauche » sur le PD est un slogan qui, en toute logique, n’a pas profité à Ingroia.

Quelle action et organisations communistes dans la situation politique instable qui s’annonce ?   

Les élections n’ont pas dégagé de perspective d’alternative politique. La protestation a été contenue et canalisée par le système. Pour autant, les semaines et mois qui viennent restent incertains et la crise politique n’est pas résolue.

Fort de sa petite majorité, le PD a une chance d’accéder au pouvoir, comme moindre mal, mais ce sera pour poursuivre la politique de casse sociale. Le mouvement 5 Etoiles peut exploser tout de suite ou non.

Les luttes sociales demeurent à un haut niveau.

La force de la contestation, notamment de l’UE du capital, même détournée, s’est affirmée. Même s’ils essaient de se faire petits, les technocrates européens ou, par exemple, des politiciens allemands peuvent aiguiser encore la colère contre elle.

Les communistes italiens, l’histoire du PCI, représentent une référence et une force potentielle de résistance considérables. La crise, le désarroi s’approfondissent encore au sein du PRC et PdCI.

Dans toutes ces conditions, différentes mais si parallèles à la situation française, communistes français, nous porterons toute notre attention sur les analyses et les choix de nos camarades.

En ce qui nous concerne, notre conviction est renforcée qu’il faut faire vivre et développer les organisations communistes marxistes et léninistes, en privilégiant le terrain de la lutte des classe, en se libérant des stratégies d’intégration au système mises en œuvre par le Parti de la gauche européenne et ses « Fronts de gauche » nationaux.

Le processus de « transformation » du PCF 1994-201? au miroir de la liquidation du PCI 1989/1991, par E. Dang Tran

par Emmanuel Dang Tran

 

Nous reproduisons ci-dessous la préface d’Emmanuel Dang Tran au livre de Guido Liguori, « Qui à tué le Parti communiste italien » (éditions Delga – 2011). Liguori analyse les conditions historiques, les idées, les actes, qui ont servi à la direction du PCI pour saborder le plus grand parti communiste d’Europe occidentale. Dang Tran montre les mêmes discours, les mêmes motivations alimentent le processus, toujours poursuivi, jamais complètement réalisé, aujourd’hui encore, de « mutation-transformation » du PCF par sa direction depuis le début des années 90.

« Le nom et la chose ». Ce titre de chapitre de Guido Liguori cerne le dilemme qui a concerné et concerne tous les appareils dirigeants des partis communistes qui ont fait ou font le choix du réformisme.

Les mots « communiste », « partis communistes » sont des signifiants politiques et historiques extrêmement forts. Ils sont indissociablement liés à la théorie marxiste et léniniste, aux expériences issues de la Révolution d’Octobre qui a fécondé les mouvements ouvriers nationaux. Après la chute du Mur de Berlin et la victoire de la contre-révolution à l’Est, ces références fondamentales deviennent définitivement disqualifiantes pour les dirigeants communistes qui ne voient plus d’autres perspectives que de s’intégrer encore davantage dans la démocratie bourgeoise.

Mais leur problème est que ces « noms », « communisme », « partis communistes », sont aussi des identifiants politiques extrêmement forts des « choses » que cette théorie et cette histoire ont permis de développer. A la fin des années 80, le Parti communiste italien ou le Parti communiste français (le PCF encore de façon atténuée aujourd’hui) sont des réalités très fortes. Leur notoriété est générale. Ils constituent un repère dans la vie politique nationale, dans l’inconscient collectif du pays. Leurs organisations sont encore nombreuses et structurées. Ils disposent d’un acquis électoral, institutionnel, patrimonial considérable.

Comment garder l’héritage de la « chose » pour la transformer, la liquider, en la coupant du sens du « nom » : voilà la préoccupation des « communistes » réformistes. Comment donner tout son sens au « nom » pour défendre l’existence de la « chose », la renforcer : telle est la préoccupation des communistes qui considèrent que les partis communistes marxistes et léninistes conservent toute leur raison d’être et qui entendent assumer l’histoire du mouvement communiste international sans jeter le bébé avec l’eau du bain.

La bataille pour ce que représentent le nom et la chose « PCF » est encore tout à fait d’actualité en 2011. Pour les communistes français, l’histoire de la liquidation du PCI présente un grand intérêt.

« Comment s’appeler Parti communiste quand on n’est plus un Parti communiste » ? Guido Liguori retrace le déroulement du coup de force qui a amené en 1989 et 1990 à l’abandon du nom « Parti communiste italien » et la transformation en « Parti démocrate de gauche » (PDS). Ce dernier est maintenant devenu Parti démocrate tout court après son regroupement avec des pans de feu la démocratie chrétienne. Liguori en reprend les étapes dans le détail, les ultimes congrès, les dernières réunions du comité central, les discussions entre intellectuels sur l’identité du Parti, sur l’identité communiste.

Le lecteur communiste français est évidemment frappé par les similitudes avec les stratégies des directions du PCF et les débats en France, sinon en 1989, du moins à partir de 1994 et la « Mutation » lancée par Robert Hue. Les termes du débat italien d’alors sont étonnement restés les mêmes qu’aujourd’hui dans un PCF dont les dirigeants cherchent, avec la même obstination, les voies de la « transformation », de l’intégration dans une autre « gauche ».

Ils restent aussi terriblement d’actualité en Italie même, parmi les organisations, issues du PCI, qui n’ont pas renoncé au nom « communiste » mais qui n’ont toujours pas tranché la question de l’identité communiste, au point de ne cesser de s’émietter et de quasiment disparaître de la scène politique nationale.

La majorité de la direction du PCI est parvenue à trancher la chose vite, à clore l’histoire glorieuse d’un parti de 69 ans en 18 mois. Le résultat de cette expérience donne une idée du point de chute, vertigineux, des développements sur l’évolution de « l’identité communiste » soutenus par les partisans du changement de nom. L’organisation de masse s’est désagrégée. C’était le prix à payer. Le PDS n’a récupéré que moins du quart des adhérents et la moitié de ses électeurs. Mais le PDS, puis ce qu’il est devenu, héritier du grand PCI, est bien devenu un parti de gouvernement dans l’Italie capitaliste.

Massimo D’Alema, que l’on revoit « centriste » au sein de la haute direction du PCI en 1990, se proclamant attaché à cette décidément flexible « identité communiste » est devenu un bon président du conseil de « centre-gauche » (1998-2000) avant de seconder le libéral Prodi (2006-2008). Ambition réussie aussi pour le communiste droitier Giorgio Napolitano : il est aujourd’hui président de la République alors qu’au Parlement ne siège plus aucun communiste. La rupture avec l’histoire communiste a été vite consommée. Le terrain était préparé.

Le 9 novembre 1989, la chute du Mur trouve Napolitano à Bonn avec Willy Brandt et Achille Occhetto, secrétaire général du PCI depuis 1988, à Bruxelles avec le travailliste anglais Neil Kinnock en pleine négociation pour l’entrée du PCI dans l’Internationale socialiste. Le symbole est parlant. Pour un PCI « qui n’est déjà plus un parti communiste », la défaite du camp socialiste est une aubaine. Le changement de nom avait déjà été sérieusement envisagé, mais toujours reporté. Là le coup devient possible. Occhetto hésite puis se lance dans l’achèvement de sa mission liquidatrice.

Ironie de l’histoire ? Le PCI a été, de tous les partis communistes, celui qui s’est démarqué le plus systématiquement de l’URSS et des pays de l’Est. On le retrouve dans les débats de 1989/90 : c’est même une part essentielle de son identité. Elle est mise en avant aussi bien par les dirigeants et intellectuels qui prônent ou acceptent le changement du nom que par certains de ceux qui le refusent.

Pourtant, des grands partis communistes occidentaux, le PCI sera le seul à ployer et à rompre sous le mauvais vent de l’histoire. Il se retrouvera précisément dans la situation des directions des partis « frères » de l’Est, qu’il avait si violemment critiqués et qui se sont sabordés au même moment (à l’exception notable du Parti communiste de Bohème-Moravie en République tchèque).

La contradiction n’est peut-être qu’apparente. Elle montre comment, même pour le PCI, l’existence du « camp socialiste » restait une donnée identitaire fondamentale. Mais n’y avait-il pas aussi une similitude avec les appareils des partis de l’Est qui sont passés, avec plus ou moins de succès selon les pays, d’une administration d’un socialisme sans conviction à la gestion de la restauration capitaliste ? Le niveau d’insertion de l’appareil du PCI dans les institutions de la démocratie bourgeoise italienne les en rapprochait, plus qu’aucun autre parti communiste d’un autre pays capitaliste. Liguori constate : «  les années passées dans le cadre du pouvoir local avaient formé un “parti d’administrateurs” trop enclins au compromis ». Cette évolution n’avait pas atteint le même stade dans le PCF.

La comparaison de la situation du PCI et de celle du PCF en 1989/90 montre, au-delà de réelles contradictions, plutôt un décalage qui annonce déjà un processus allant dans le même sens en France mais pas aussi loin. La direction du PCF, derrière Georges Marchais, rejette l’hypothèse du changement de nom après la chute du Mur. Le bureau politique condamne les éléments « reconstructeurs » ou « refondateurs » qui essaient de transposer l’exemple italien. Le 27e congrès de 1991 confirme ce choix. Il demeure décisif aujourd’hui. Malgré toutes les tentatives depuis 20 ans, la différence fondamentale persiste. En 2011, le PCF, même très affaibli sur tous les plans, continue à exister et à être le dépositaire de l’histoire du mouvement communiste en France.

Les raisons de ce choix différent en 1989 sont multiples. Elles sont en lien les unes avec les autres. Il serait essentiel d’analyser le maintien plus solide de l’organisation de classe, de la cellule, de la cellule d’entreprise dans le PCF et la dérive institutionnelle dans le « compromis » plus avancée du PCI. La composition des directions du PCI est déjà marquée par la sous-représentation criante des militants issus de la classe ouvrière, ce qui allait devenir le cas au PCF dix ans plus tard.

Les positions du PCF et du PCI avaient aussi depuis longtemps divergé. Le PCF n’a pas suivi le PCI dans la condamnation répétée de l’URSS (jusqu’à accepter la légitimité de l’OTAN !). Le PCF n’a pas suivi jusqu’au bout l’expérience « eurocommuniste » initiée par le PCI. La conversion à la défense de l’intégration européenne est aussi très précoce dans le PCI.

Les différences, loin d’être entièrement contradictoires, se posent aussi en termes de perspective politique nationale.

Dans un pays comme dans l’autre, dans les années 70, elle est d’abord institutionnelle. Mais la stratégie du PCI (que Liguori appelle « Berlinguer I ») est en 1976 de rechercher un « compromis historique » avec la Démocratie chrétienne. En France, dans les conditions nationales, la stratégie du PCF reste l’Union de la gauche, avec un rôle sinon prépondérant, du moins incontournable, du Parti dans son alliance avec le PS. Elle vise une « démocratie avancée », étape vers le socialisme.

Malgré son échec rapide, la logique du « compromis historique » a marqué. La stratégie « Berlinguer II » n’a pas le temps de corriger selon Liguori. Dans les années 80, l’obsession de larges franges des directions et des élus du PCI est de rechercher des accords avec le PSI pour une coalition gouvernementale. En France, l’échec du Programme commun en 1977 puis de la participation gouvernementale de 81 à 84 amène le Parti à redonner la priorité au mouvement populaire, laissant la perspective d’Union de la gauche en sourdine.

A la fin des années 80, l’écart s’est creusé. La direction du PCI en est à solliciter l’adhésion à l’Internationale socialiste. Le PCF exclut de participer au gouvernement Rocard, ouvert au centre-droit, après 1988.

L’affaiblissement électoral parallèle ne laisse pas non plus les deux partis dans la même situation en 1989. Le PCI reste largement le parti dominant à gauche, deux fois le PSI en voix. Le PCF est à 10%.

Les opportunistes du PCI peuvent rêver au pouvoir dans la démocratie bourgeoise, en allant juste un peu au-delà de la perspective de « compromis historique ».

Les plus opportunistes du PCF ne peuvent envisager n’être qu’une force d’appoint du PS, ce qui allait se passer entre 1997 et 2002 avec la participation au gouvernement Jospin. Le PCF en sortira considérablement affaibli alors qu’il s’était maintenu électoralement (malgré l’Est) à 10% en 1997. En 2002, il tombe à 3%.  Le même sort attendait le parti italien de la Refondation communiste. Le nom « communiste » ne se prête vraiment pas au compromis avec les gestionnaires loyaux du capitalisme.

Pour des raisons tenant à la fois des positions politiques antérieures, de l’état de leur structuration, de la conjoncture politique, les équilibres dans la direction du PCI et du PCF et à la base de ces partis ne sont pas les mêmes. La question du nom du parti, sinon de la rupture avec son essence, ne se pose pas de la même façon, surtout pas au même moment.

En 1990 en France elle est tout simplement inconcevable. Mais en quelques années, les éléments, l’idéologie et la perspective réformistes l’emportent dans la direction du PCF. En 1994, Georges Marchais part et Robert Hue engage le processus dit de « mutation ». Mais dans les conditions de la France, le changement forcé de la « chose » n’a toujours pas aujourd’hui réussi à avoir raison du « nom » et continue, encore aujourd’hui, de s’y heurter.

Le militant du PCF qui aura résisté aux multiples campagnes de « mutation », « transformation », « recomposition » de son parti jusqu’à aujourd’hui se reconnaîtra sans mal dans les méthodes et dans les termes du débat italien de 1989/1990. L’offensive de l’idéologie dominante s’effectue par les mêmes voies, avec une grande cohérence. « Théorie des droits plutôt que lutte des classes, horizon démocratique plutôt que finalité socialiste, Révolution française plutôt que Révolution russe », voilà comment un journaliste résume brutalement la pensée d’Occhetto.

Hue, tout comme Occhetto, veut marquer une rupture avec la tradition communiste. Comme lui, il recourt à une « communication » tapageuse, qui se veut moderne. Avec la même insistance, Hue et ses successeurs se lancent dans l’auto-flagellation, le dénigrement et même la criminalisation de l’histoire du mouvement communiste.

On retrouve les mêmes réflexions sur le « dépassement » de la « forme parti », au regard de nouvelles exigences « démocratiques ». Elles justifient la déstructuration du Parti de classe et de masse dans les années 90 en France comme en Italie. L’abandon du centralisme démocratique (PCF – 1994) a fait sauter un verrou, comme au PCI, aux transformations. Les directions enchaînent les coups de force, jouant à la fois du légitimisme des adhérents, de leur mainmise sur l’appareil et de la dégradation du débat démocratique dans le parti, notamment dans la préparation des congrès. La suppression des cellules au congrès de Martigues en 2000, doublée de la participation au gouvernement social-libéral, entraîne une hémorragie des effectifs et accélère la déstructuration à la base. Le recul démocratique réel est aussi à placer sur ce plan.

On retrouve presque mot à mot les développements sur la fin de la centralité de la lutte des classes – avec le développement des technologies et des communications – mise au même niveau que les questions de société. La protection de l’environnement, le féminisme sont instrumentalisées, de façon également pesante, pour accompagner la fin du PCI comme ensuite les transformations du PCF. Dans le même temps, les cadres ouvriers disparaissent des organigrammes du PCF. Au congrès de Martigues, la priorité est ouvertement donnée à la présence dans les institutions sur l’action dans les luttes. La participation à un gouvernement de gestion loyale des affaires du capitalisme est ainsi validée théoriquement ainsi que l’institutionnalisation du Parti, qui devient un « parti comme les autres ».

Parallélisme total aussi des discours sur « l’ouverture » du Parti. Occhetto s’adresse à la « gauche des clubs », à la « société civile », aux non-communistes pour constituer son nouveau parti, de la même façon qu’en France sont justifiées la constitution de la liste « Bouge l’Europe » aux élections européennes de 1999 (50% de non-communistes), puis les Collectifs antilibéraux (2006) ou maintenant le Front de gauche. En fait d’ouverture, c’est le renoncement à l’engagement politique des classes laborieuses et la porte ouverte à la « petite gauche » où prédominent petite bourgeoisie et réformisme.

Ces similitudes sont d’autant plus importantes à souligner en France aujourd’hui que l’on voit maintenant le point d’arrivée des héritiers de la majorité du PCI.

Les directions du PCF ont « réussi » à profondément changer la « chose », à la dénaturer mais ils ne cessent de buter sur le « nom ». Leur stratégie, constante depuis 1994, est une suite ininterrompue d’échecs dont un recul électoral sans précédent. L’inadéquation entre le « nom » et la « chose » en est une explication. Même au bout de 20 ans, on n’attend pas du PCF qu’il s’aligne sur la social-démocratie ou sur l’UE du capital. Un parti qui a tant de mal à défendre (à réécrire) son histoire se tire des balles dans le pied alors que l’anticommunisme sévit plus que jamais. La persistance du fait PCF vaut parmi ses adhérents mais aussi ses partenaires et ses adversaires. Un parti communiste qui n’est plus communiste est condamné.

Les directions du PCF ont essayé de changer le nom du parti à deux reprises. Avant le congrès de rupture de Martigues, l’idée de lancer le « nouveau parti communiste » a été lancée mais n’a pas pris et a été rapidement abandonnée. En 2007, après la débâcle de l’élection présidentielle (1,9%), Marie-George Buffet remet en cause l’existence même du PCF dans son rapport au conseil national lançant les hypothèses suivantes : « celle de décider la création d’un nouveau parti, de le dépasser pour en fonder un avec d’autres à l’exemple de Die Linke, d’affirmer l’existence du PCF comme préalable à tout débat sur cette question, ou bien de réfléchir à partir du potentiel du Parti communiste, à ce que pourrait être une force communiste aujourd’hui… ».  Les dirigeants enchaînent pendant quelques mois les déclarations sur l’épuisement de la raison d’être du PCF. Mais une vague de fond dans ce qui restent des effectifs du parti (levée notamment par l’appel « Pas d’avenir sans PCF » dont nous étions à l’origine) a mis en échec cette opération. La direction a dû s’y résoudre en s’efforçant de réduire la réaction des communistes à un « attachement » sentimental au parti.

Puisqu’on n’arrive toujours pas à changer le « nom », restent deux solutions : l’effacer peu à peu et en changer le sens.

Dans la suite de « Bouge l’Europe », les initiatives de la direction du PCF d’intégrer le parti dans des « Collectifs antilibéraux », en 2006, avec cette « petite gauche » et la « société civile », maintenant dans un « Front de gauche » vont dans le sens de la dilution du Parti. Il pourrait être peu à peu supplanté par cette nouvelle organisation « chapeau », comme, au niveau européen, dans le Parti de la gauche européenne. Les prochains mois avant l’élection présidentielle de 2012, où le PCF s’aligne derrière le social-démocrate Jean-Luc Mélenchon seront décisifs pour le succès ou l’échec de cette nouvelle tentative. Les correspondances avec les débats italiens de 1989 sont à nouveau nombreuses, mais autant avec les réflexions de partisans que d’adversaires du tournant historique. Voilà qui fait sans doute comprendre pourquoi les autres organisations issues du PCI, celles qui ont conservé le nom communiste, en premier lieu le Parti de la Refondation Communiste (PRC), ont suivi depuis lors un parcours très parallèle à celui du PCF.

Il est frappant que la plupart des dirigeants et intellectuels qui se sont opposés au changement de nom se placent quand même dans une forme de consensus pour une révision de « l’identité communiste », pour une « refondation » du PCI. La motion d’opposition au congrès final s’intitule : « Pour une vraie rénovation du PCI et de la gauche ». Le PRC, « refondateur », est constitué d’emblée, en rupture avec la continuation du PCI, avec des éléments anciennement socialistes ou trotskystes. Au contraire, c’est le PDS qui prend garde de se placer dans la continuation du PCI en conservant, momentanément, le vieux sigle avec la faucille et le marteau sous le nouveau, un chêne… Comme au sein du PCF, les débats de 1989/90 se reproduisent en boucle sur les mêmes questions jusqu’à aujourd’hui dans le PRC ou dans le Parti des communistes italiens (PdCI – issu d’une scission du PRC). Une sorte de processus infini de scissions, divisions, auto-liquidation semble engagée.

Dans ces processus, la question de l’identité communiste n’est jamais tranchée. La tentation est forte de tordre le sens du « nom », de le dévaluer, en Italie comme en France. De façon récurrente depuis les années 80, on retrouve, aussi à la fin du PCI, cette citation de Marx de L’Idéologie allemande, mise en avant et décontextualisée par Lucien Séve, qui permet de valider toutes les révisions : « nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel des choses ». La « visée communiste » propagée dans le PCF au tournant des années 2000 fait écho à « l’horizon communiste » discuté dix ans plus tôt en Italie. Certains en sont au « post-capitalisme » quand ce n’est pas à « l’altercapitalisme » (le dirigeant du PCF Parny en octobre 2009). Elle permet d’éliminer la notion d’étapes, de ruptures, le socialisme et tout bonnement la perspective révolutionnaire. En juin 2008, Marie-George Buffet affirmait à propos du Congrès de Tours : « Nous sommes au 21ème siècle, le monde a changé, les modèles se sont écroulés. Aussi, dans cette belle ville de Tours, si nous ne retenions de son célèbre congrès qu’une seule chose : le formidable espoir, cette énorme volonté politique de la part de nos camarades de construire une société meilleure. » À quoi fait écho l’actuel secrétaire national du PCF, président du PGE, Pierre Laurent. Sur France Inter, en juin 2011, il ne se formalise pas d’être taxé par un journaliste de « social-démocrate de gauche » et affirme que ce qui « distingue » le PCF, c’est : «  une détermination, quand même farouche, qui reste notre identité, ou ce pourquoi nous existons, à penser qu’il va falloir passer à autre chose que le système capitaliste. [Autre chose de quel genre ?] Il faut que la solidarité devienne le système d’organisation de la société, à la place de la concurrence… ». La « solidarité comme projet de société » : C’est court comme identité communiste !  

L’enseignement de l’expérience italienne de 1990 est peut-être qu’il faut aux communistes qui veulent le rester défendre à la fois et « nom » et la « chose », toute la « chose », assumer l’histoire du mouvement communiste international, se ressourcer dans les fondamentaux marxistes et léninistes, faire vivre et renforcer les organisations de nos partis suivant leur raison d’être dans la lutte des classes. Des partis communistes, en Grèce, au Portugal, en Afrique du Sud… ont fait ce choix. En Italie, des communistes développent une base dans ce sens pour « reconstruire le Parti communiste ». En France, nous sommes des dizaines de milliers à défendre le PCF. Il y a 20 ans, l’actualité dominante était la « chute du communisme ». Aujourd’hui, c’est la « crise du capitalisme ».

Emmanuel Dang Tran, membre du Conseil national du PCF