De la conférence de presse d’Emmanuel Macron, le 25 avril 2019, il ressort que le Président entend ne rien changer et poursuivre, sans inflexion d’un iota, son train de contre-réformes antisociales. Ce n’est pas une surprise. Mais c’est bien une provocation à l’encontre du monde du travail.

Macron s’est livré à un interminable numéro d’autosatisfaction (150 minutes !). Il a vanté, sans nuance, le bilan des deux premières années de son quinquennat. Non sans excès de coquetterie, il a adressé au peuple de France un message qu’on pourrait résumer dans la formule : « Je vous ai compris » mais ça n’y changera rien. Au contraire. Il n’a cessé de répéter la formule la plus creuse du discours politicien actuel : « L’humain au centre », « l’humain d’abord ».

Le président peut d’autant mieux déployer son aisance qu’il se choisit des interlocuteurs de complaisance. Ce jeudi, les journalistes des médias dominants les plus en vue ont rivalisé de flatteries et d’inconsistance pour mieux faire valoir le prince, éventuellement se faire valoir.

Il a fallu attendre la 127ème minute, dans les prolongations, pour qu’une journaliste, celle de l’Express (à saluer !), pose enfin la question des salaires et des responsabilités du patronat dans la crise du pouvoir d’achat. Macron a répondu  clairement que le gouvernement ne ferait aucun geste pour les salaires, laissant ce sujet au « dialogue social ». Il a insisté sur le cadre concurrentiel et la course à la compétitivité qui oblige à modérer les salaires et à couvrir les patrons de cadeaux [traduction libre]. Pour le pouvoir d’achat des travailleurs, pour le « retour au plein emploi » ( !), il a insisté sur les dispositifs, comme la « prime d’activité » qui permettent de faire payer les rémunérations du travail par les autres salariés et retraités, via l’impôt, et non par les capitalistes qui en profitent.

Mais, de toute la conférence de presse, ça été quasiment la seule question pertinente. Aucun journaliste n’a eu la parole pour demander au Président ce qu’il pensait de la liquidation d’Alstom-Turbines, et des centaines de suppressions d’emploi après la reprise par General Electric qu’il a favorisée au sein de la Banque Rothschild, puis du gouvernement Hollande. Aucun pour mentionner l’explosion des dépenses d’armement et demander des justifications. Aucun, même, pour questionner sur la privatisation d’ADP. Personne pour demander des comptes sur le double scandale du CICE transformé cette année en coupe sombre dans les cotisations sociales patronales dues à la Sécurité sociale. Personne encore pour évoquer les grands mouvements de grèves et de mobilisation dans les hôpitaux et les écoles contre les projets Blanquer et Buzyn que Macron a lourdement congratulés.

Au-delà des journalistes, Macron s’est adressé au partenaire privilégié qu’il s’est trouvé depuis des mois : les Gilets jaunes. Il joue à prendre cet ensemble hétéroclite pour une pratique « voix du peuple ». En conclusion du « Grand débat », qui leur a été dédié, Macron trouve les mots pour exprimer sa compréhension des « souffrances ». Face aux « ultra-jaunes », et aux groupuscules qui les infiltrent, dont la proportion augmente dans les défilés à mesure que le mouvement s’épuise et dégénère, Macron arrive à jouer la posture d’autorité (complémentaire de la répression). Il n’a pas échappé aux observateurs que les manifestants des samedis, soutenus aussi bien par Le Pen, Besancenot, Dupont-Aignan, Mélenchon, Hollande et Wauquiez, ne mettaient pas en cause le patronat et le capital mais, avant tout, l’Etat et l’impôt républicain. Voilà qui ne contrarie pas fondamentalement les contre-réformes du gouvernement. Macron a rappelé que, dans son intervention du 10 décembre 2018, il avait concédé 10 milliards d’euros aux revendications des GJ. Il se trouve encore des politiciens et journalistes même « de gauche » à y voir une efficacité de ce mouvement, qu’ils opposent à l’impasse des luttes sociales et syndicales. Mais la réalité est autre : les vraies-fausses concessions de Macron servent toutes ses contre-réformes, notamment le renforcement de la »prime d’activité ». Il s’agissait pour lui, précisément, de flatter les GJ pour mieux écraser la lutte des classes.

Ce 25 avril, Macron s’est à nouveau focalisé sur les Gilets jaunes, mais plutôt pour rembarrer les quelques revendications qui leur sont associées. C’est la meilleure façon de maintenir centraux, le repère GJ, son caractère superficiel, son invitation à la démagogie, dans les débats politiques à venir, dans un premier temps, d’ici les Européennes. Macron n’a rien redit sur la fiscalité des carburants et la limitation à 80 km par heure. Macron a exclu l’établissement du référendum d’initiative citoyenne et le rétablissement de l’ISF. Autant de grain à moudre pour les politiciens soucieux de séduire l’esprit GJ.

En fait de geste sur le « pouvoir d’achat », Macron a annoncé une nouvelle attaque sur l’impôt socialement le plus juste, l’impôt progressif, l’impôt sur le revenu, déjà remis en cause par le prélèvement à la source. 5 milliards d’euros de réduction devront être gagés par de nouveaux étranglements de dépenses publiques et sociales.

Aux retraités, Macron promet de les racketter un peu moins qu’il ne l’avait imaginé lui-même. L’indexation des pensions sur les prix serait rétablie au 1er janvier 2020 pour les retraites en-dessous de 2000 euros, au 1er janvier 2021 pour les autres. Il n’y a pas à y voir de cadeau ! Quand rien n’a encore été décidé pour 2020, l’annonce de Macron signifie, au contraire, un nouveau prélèvement exceptionnel sur les retraites de plus de 2000 euros. Rappelons, en outre, plus que jamais, que l’indexation sur l’indice officiel des prix, ne signifie pas maintien du pouvoir d’achat ! Comme Macron l’a rappelé lui-même, la hausse des dépenses contraintes, et pas seulement, pèse très lourdement sur le budget des ménages retraités.

C’est contre le système de retraites que Macron a été le plus précis dans sa feuille de route. Il annonce un nouveau nivellement par le bas de toutes les prestations annexes des régimes généraux, spéciaux et de la fonction publique. Il annonce, avec l’établissement d’un système par points, une augmentation générale de la durée de cotisation prises en compte rendant illusoire, impossible, pour la plupart, un départ à 62 ans. Pour les quelques-uns qui auront toutes leurs annuités, avec de bas salaires, ce sera un minimum contributif à 1000 euros à 62 ans. Pour une masse de salariés mal payés, aux carrières en dents-de-scie, se sera le minimum vieillesse à 65 ans.

Sur la disparition des services publics de proximité, Macron lance l’idée des « Maisons France service » à l’échelle des (grands) cantons. On ne s’y trompera pas. L’annonce future accompagne l’accélération en cours de la suppression des accès à tous les services publics, trésoreries, bureaux de poste, guichets de gare, centres de l’assurance maladie, etc. Rien n’indique que les salariés éventuels de ces « maisons des services publics » au rabais ne seront pas des emplois précaires (voir le précédent du périscolaire).

Quand Macron prétend renoncer à l’objectif des 120.000 suppressions de poste de fonctionnaire, là encore, on ne s’y trompe pas. Le projet de loi Dussopt poursuit la remise en cause du statut et l’extension de la précarité dans l’emploi public.

D’après Macron – autre annonce importante pour la fin de quinquennat -, les collectivités locales vont voir leurs prérogatives chamboulées avec un vaste plan de nouvelle décentralisation et déconcentration des services de l’Etat. Saignées à blanc financièrement, elles ne pourront pas maintenir le niveau d’emploi public. Les promesses de Macron de moratoire sur les fermetures d’école (sauf accord du maire) et d’hôpital ne valent pas cher. Des centaines d’écoles, surtout rurales, ont été fermées ces dernières années sous Belkacem, puis de façon accélérée, au nom du dédoublement à moyens constants des CP en zones prioritaires, sous Blanquer. Macron parle quand cette phase de la purge est à peu près finie. Le projet de loi Buzyn laisse envisager qu’on continuera le processus de casse, quitta à appeler « hôpital », de « proximité », des établissements n’ayant plus rien à voir avec la définition commune.

Comme c’était prévisible, Le Président a consacré un passage important au climat et anticipe un vaste plan de dépenses publiques pour soutenir les investissements et profits privés au nom de cette priorité proclamée. Mais, il n’en a pas moins laissé de beaucoup de marge de surenchère pour entretenir le débat politique sur cette question dramatisée, faisant la part belle au capitalisme vert. C’est aussi le seul sujet – le climat – sur lequel Macron a évoqué la possibilité d’un référendum, qui pourrait venir valider les conclusions du groupe de 150 citoyens, tirés au sort, et invités à y travailler, en lien avec le Conseil économique social et environnemental (nous notons, sans détailler ici, que Macron ressert toute la « réforme » constitutionnelle remisée en juillet 2018, à cause de l’affaire Benalla).

Une nouvelle fois, Macron a distillé des éléments pour exciter le débat sur l’immigration. On notera qu’en conclusion de son « grand » débat, il sera intervenu, en réalité, trois fois : outre cette conférence de presse du 26/04, par le texte supposé de sa première intervention avortée qu’il a laissé fuiter, puis par sa courte allocution télévisée après l’incendie de Notre-Dame où il s’est permis, outrageusement, de déraper sur « l’identité nationale ».

En janvier, il avait déjà feint des hésitations sur l’insertion ou non, de l’immigration dans les sujets officiels du « grand » débat.  C’est la question de réserve pour quand il faudra faire dégénérer le débat public, comme dans les pays voisins. Avec la loi « immigration maîtrisée et droit d’asile effectif », adoptée en octobre 2018, le pouvoir avait déjà réussi à déchaîner les anti-immigration avec l’extension du regroupement familial, et les militants de la solidarité avec les migrants, avec le durcissement de la rétention et du renvoi des déboutés. Macron a continué sur ce double-jeu politicien en appelant à des modifications des accords de Schengen.

C’est un des seuls sujets où il a parlé, de lui-même, de l’Union européenne. Sa position archi-intégrationniste coule de source. Il n’a eu qu’à la rappeler en réponse à une journaliste d’un grand quotidien allemand : il est encore plus pro-européen que Merkel. A quelques semaines des élections européennes, le débat sur les responsabilités de l’UE du capital dans la politique antisociale en France est totalement éludé.

Pour nous communistes, la question ne saurait être de se lamenter devant l’arrogance de Macron et le déroulé tranquille de sa politique capitaliste. Sur l’Europe, accepter l’intégration, renoncer à contester l’euro, se contenter de postures amènent les syndicats et les partis descendant de l’ex « gauche plurielle » à laisser passer les mauvais coups. Ils semblent d’ailleurs plus préoccuper à courir derrière les Gilets jaunes, à se disputer leur part de marché électoraliste, et à préparer la recomposition politique de la gauche réformiste pour 2022 qu’à développer les luttes des travailleurs.

C’est seulement par-là que l’arrogance narquoise du Président, tour à tour lénifiante ou répressive, la complaisance tranquille de ses médias, seront contrecarrées.  Les annonces contre les retraites vont frapper tout le monde du travail, et non seulement les « régimes spéciaux » et les fonctionnaires. La casse des entreprises productives, dont les actionnaires sont gavés d’argent public, soulève des mouvements de protestation dans tout le pays. Les travailleurs rejettent massivement l’Europe du capital, sa monnaie et sa BCE de sangsues et ses directives de voyous.

Fin 2018, les lycéens et étudiants, renforcés largement par les enseignants contre le projet de loi « confiance », ont fait trembler le bon élève Blanquer. Dans la santé, Buzyn ou Hirsch craignent que l’étincelle des grèves dans les services d’urgences et dans de très nombreux hôpitaux de provinces ne soient l’étincelle qui embrase toute la plaine.

Macron nous a confirmé le chemin à suivre !