Révision constitutionnelle en Algérie : quelques concessions de pure forme pour masquer le renforcement du caractère de classe antipopulaire et antinational du régime de la bourgeoisie – Article du PADS
Le pouvoir algérien a fait voter une réforme constitutionnelle le 7 février 2016. Le Parlement l’a adoptée par 499 voix contre 2 et 16 abstentions. Un résultat qui ne semble guère refléter l’état de l’opinion publique. Nos camarades du PADS ont analysé et dénoncé la manœuvre politique. Nous reproduisons leur analyse ci-dessous.
Révision constitutionnelle: quelques concessions de pure forme pour masquer le renforcement du caractère de classe antipopulaire et antinational du régime de la bourgeoisie
Publié le 2 Février 2016 par Lien-pads in Algérie: déclarations du PADS
« Le régime a choisi de faire avaliser son projet de révision de la Constitution par le Parlement qui se réunira le 3 février. Il a évité le référendum par crainte d’une désapprobation massive à travers l’indifférence de la population à son projet.
Les amendements décidés n’apporteront en soi rien de positif aux intérêts des travailleurs et des masses populaires, à la préservation de l’indépendance du pays.
Seule la reconnaissance de tamazight comme langue officielle, reconnaissance arrachée par des années de luttes des citoyens, peut dans certaines limites être considérée comme une avancée relative.
Des droits consignés de façon catégorique par exemple dans la Constitution de 1976, en matière d’emploi, de logement, de soins à la population, de soutien aux personnes vulnérables ou démunies, etc., sont transformés dans cette révision en vagues promesses. Des concessions sont faites aux courants dits d’opposition telle que la limitation à une seule fois de la reéligibilité du chef de l’Etat. Cette question est un faux débat. Dans un régime présidentiel la vraie question n’est pas le nombre limité ou illimité des mandats mais celle de la nature des intérêts de classe représentés par le chef de l’Etat, celle de savoir quelle cause il sert.
Quelques amendements positifs significatifs sont proposés mais leur application est systématiquement renvoyée à des lois. Par exemple l’amendement portant sur la règlementation de la détention préventive, une procédure qui a permis de jeter en prison dans l’arbitraire le plus total des milliers de personnes innocentes puis de les relaxer après des années de geôle. De même, l’emprisonnement d’auteurs d’articles de presse est proscrit. Mais, étant donné qu’une loi doit préciser les conditions d’exercice de la liberté de presse, on peut être sûr que le Code de l’information sera une fois de plus retouché pour transformer les peines de prison en étranglement financier par la voie des amendes.
On sait aussi que nos gouvernants ont l’habitude de faire passer des lois vidant de leur contenu les droits constitutionnels qui protègent les citoyens contre l’arbitraire. Et de plus que valent vraiment les droits et les libertés démocratiques garantis dans la Constitution ou dans les lois quand ils sont impunément piétinés par le régime et ses appareils d’Etat?
De très nombreux amendements introduits ne portent que sur des questions de détails. Ils l’ont été pour faire plaisir à tel ou tel groupement satellite des classes au pouvoir. La plupart de ces amendements n’ont pas leur place dans une constitution digne de ce nom. Ils ne reflètent pas les préoccupations des masses populaires face aux attaques contre leur pouvoir d’achat, alors que les plus riches ne sont pas touchés par les mesures d’austérité, face aux exigences actuelles de mobilisation contre les ingérences impérialistes, face aux activités des courants ultra-réactionnaires agissant sous le masque de la religion, de concert avec l’impérialisme, aux dangers liés à l’exploitation par l’impérialisme et la réaction bourgeoise interne des conséquences de la chute des recettes pétrolières.
En fait la multiplicité des amendements cache les véritables objectifs de l’opération:
1-Le régime veut donner, sous couvert de « politique de paix et de réconciliation nationale », un socle pseudo-constitutionnel à l’alliance nouée avec les courants réactionnaires de la société qui utilisent l’Islam pour camoufler leurs intérêts de classe;
2-Il confirme, sans s’en cacher derrière des artifices verbaux, sa volonté de transformer l’Etat en instrument au service des appétits insatiables de la bourgeoisie et des multinationales. Cette caractéristique économique et sociale d’Etat bourgeois et pro-impérialiste, renonçant à une politique d’indépendance réelle, est transcrite de façon franche jusqu’à la caricature dans les amendements introduits dans l’article 37 : « L’Etat œuvre à améliorer le climat des affaires. Il encourage, sans discrimination, l’épanouissement des entreprises … La loi interdit le monopole … »
Le régime ne se contente pas d’annoncer qu’il fera tout pour concrétiser les caprices des exploiteurs locaux et étrangers à la recherche du profit maximum. Il prohibe le monopole en faisant croire que la prohibition visera à freiner la tendance de certains oligarques, jusqu’ici choyés par l’Etat, à placer l’économie sous leur domination exclusive, qu’il s’agisse de Rebrab ou de Haddad, ou d’autres moins médiatisés. En réalité les concepteurs de cette révision ligotent dans une camisole de force les représentants du peuple qui tenteraient de protéger l’économie nationale et le pouvoir d’achat des masses populaires par le recours au monopole étatique contre les convoitises, les activités désorganisatrices et les tendances monopolistes des multinationales et des importateurs, y compris dans des domaines aussi sensibles que l’électricité, l’eau, l’exploitation des hydrocarbures, la sécurité, etc. Ils veulent interdire toute politique d’appui sur un puissant secteur public, régi par des principes économiques particuliers, hors de la recherche du profit immédiat, en tant qu’instrument de construction d’une vraie économie productive, quand bien même elle serait capitaliste.
Grave est aussi l’amendement de l’article 131*. L’ambiguïté calculée de sa formulation met sur le même plan traités et accords internationaux. Elle laisse entendre que la défense impérative de la souveraineté économique nationale ne primera plus sur les accords de libre-échange, d’associations et d’intégration économiques. Les traités internationaux ratifiés par le président de la République sont déclarés supérieurs à la loi nationale, que ce soit des traités de paix par exemple ou de simples traités économiques. Il faut croire que pour les auteurs de cette révision constitutionnelle, l’accord d’association avec l’Union européenne, un accord néfaste et irréformable pour les intérêts du pays et pour ses travailleurs, ne devrait plus être remis en cause par les représentants de la nation, bien qu’il ait été signé 10 ans avant cette révision constitutionnelle. Les proclamations contenues dans d’autres articles de la Constitution sur la défense de l’indépendance du pays ne sont que formules de style destinées à leurrer ceux qui veulent bien l’être.
A travers une opération menée sans débat populaire, les bandes sans foi ni loi régentant le pays pour le compte des classes exploiteuses et parasitaires cherchent à codifier leur programme de domination économique et politique. Rien de plus trompeur que de chercher à faire croire que cette Constitution révisée ne traduit que des calculs de clans préparant l’après-Bouteflika. Cette Constitution exprime dans son essence la tendance des classes exploiteuses et parasitaires à la domination absolue sur le peuple, à la capitulation devant l’impérialisme, à leur besoin de conclure un nouvel arrangement avec lui pour piller ensemble les richesses du pays, pour soumettre ensemble les classes laborieuses à une exploitation féroce. Cette révision confirme que ces bandes sont prêtes à remettre les clés du pays aux Etats impérialistes et aux multinationales pour protéger leurs intérêts mesquins. Il ne fait pas de doute que leur projet de révision a été soumis à l’approbation préalable des cercles impérialistes interventionnistes. Toutes les mesures économiques prises ces derniers mois à la grande satisfaction de la bourgeoisie interne et des multinationales trouvent leur traduction dans ces amendements.
Le pouvoir compte sur le fait que sa révision de la Constitution passera comme une lettre à la poste devant le Parlement. Mais que représentera vraiment le vote d’un Parlement élu par un pourcentage insignifiant de la population? Et même s’il pouvait se prévaloir d’une quelconque légitimité, les travailleurs, les masses populaires, n’observeront pas de pause dans la poursuite de leurs luttes pour l’avènement d’un régime démocratique populaire au service des travailleurs, de ceux qui vivent du fruit de leur force de travail manuelle et intellectuelle, qui veulent s’affranchir de l’exploitation et de l’oppression de classe.
Leurs luttes ne s’inscrivent pas dans une simple révision constitutionnelle, pour ou contre elle, mais dans un combat pour des transformations révolutionnaires en vue de l’instauration d’un véritable régime de démocratie populaire préparant la société socialiste.
PADS, 31 janvier 2016
*Voici la nouvelle formulation de l’article 131. L’article 132 n’est pas modifié. Le passage signalé en gras été rajouté dans le cadre de cette révision :
ARTICLE 131 : Les accords d’armistice, les traités de paix, d’alliances et d’union, les traités relatifs aux frontières de l’Etat, ainsi que les traités relatifs au statut des personnes et ceux entraînant des dépenses non prévues au budget de l’Etat, les accords bilatéraux ou multilatéraux relatifs aux zones de libre échange, aux associations et aux intégrations économiques, sont ratifiés par le Président de la République, après leur approbation expresse par chacune des chambres du Parlement.
ARTICLE 132 : Les traités ratifiés par le Président de la République, dans les conditions prévues par la Constitution, sont supérieurs à la loi.