Jules Ferry : le bourgeois colonialiste… A chacun son Panthéon !

 

Rappels historiques par JV pour vivelepcf, 15 mai 2012

 

François Hollande a placé son investiture sous la figure tutélaire de Jules Ferry. Déclarant faire de « la jeunesse » et de « l’Ecole » des priorités de son mandat, il entend ainsi honorer le promoteur des lois scolaires de la IIIe République.

Invoquer « l’Ecole de Jules Ferry », se référer à lui comme à un père fondateur de la République, est un lieu commun des politiciens de « gauche » comme de droite.

C’est avoir la mémoire sélective.

L’œuvre de Ferry ne peut être dissociée de la politique de la bourgeoisie républicaine au pouvoir en France à partir de 1879, dont il fut un des principaux idéologues et promoteurs. Au-delà du mythe du vertueux républicain, c’est la nature de classe de sa politique qui doit être étudiée.

Il ne s’agit pas de nier l’importance de l’obligation, de la gratuité et de la laïcité de l’enseignement primaire introduites par

les lois de 1881 et 1882, qui prolongent la politique initiée par les gouvernements bourgeois précédents. Elles représentent une indéniable avancée démocratique, contribuant à leur manière à élever le niveau intellectuel de la masse de la population et à faire reculer l’influence de l’Eglise catholique et des notables réactionnaires – en particulier dans les campagnes.

Avancée démocratique n’est cependant pas démocratie. « L’Ecole de Jules Ferry » conserve en effet toutes les caractéristiques d’une école de classe : les élèves des écoles communales se voient ainsi interdire l’accès aux lycées, qui restent de toute façon payants, et réservés aux enfants de la bourgeoisie. L’enseignement dispensé dans les écoles communales vise par ailleurs, à travers les cours de morale et d’éducation civique, à entretenir un chauvinisme revanchard anti-allemand – après la défaite de 1870/1871. Aspect peu connu aujourd’hui, les Républicains, à partir de Jules Ferry, mettent sur pied dans les écoles les « bataillons scolaires », censés inculquer aux enfants une formation militaire dès leur plus jeune âge. Les cours d’histoire et de géographie sont l’occasion d’exalter le « génie de la France », d’illustre et défendre la colonisation et l’impérialisme français.

Le rôle de mobilisation idéologique assigné à l’école prend tout son sens si on le relie à la politique extérieure portée par Jules Ferry et les Républicains modérés. Continuant l’action des régimes précédents, qui ont conquis et colonisé l’Algérie et le Sénégal, ils donnent une nouvelle impulsion à l’impérialisme français. En son temps, Jules Ferry, surnommé « Ferry-Tonkin », est l’homme de la mise sous tutelle de la Tunisie, de la conquête du Congo, de Madagascar, de l’Indochine.

Ferry justifie dans un discours à l’Assemblée Nationale du 28 juillet 1885 la politique coloniale de la France (nous surlignons en gras quelques expressions) :
« Ce qui manque à notre grande industrie, que les traités de 1860 ont irrévocablement dirigée dans la voie de l’exportation, ce qui lui manque de plus en plus, ce sont les débouchés (…) La concurrence, la loi de l’offre et de la demande, la liberté des échanges, l’influence des spéculations, tout cela rayonne dans un cercle qui s’étend jusqu’aux extrémités du monde. C’est là un problème extrêmement grave.

Il est si grave (…) que les gens les moins avisés sont condamnés déjà à entrevoir, à prévoir et à se pourvoir pour l’époque où ce grand marché de l’Amérique du Sud, qui nous appartenait de temps en quelque sorte immémorial, nous sera disputé et peut-être enlevé par les produits de l’Amérique du Nord. Il n’y a rien de plus sérieux, il n’y a pas de problème social plus grave ; or, ce problème est intimement lié à la politique coloniale (…) »

 

La crise économique qui touche l’Europe des années 1870 aux années 1890 avive d’autant plus les tensions entre Etats qu’à partir de 1860 de nouveaux pays s’engagent sur la voie de l’industrialisation – Allemagne et Etats-Unis notamment. Leurs gouvernements n’hésitent pas à mener une politique commerciale agressive pour ouvrir des marchés extérieurs à leurs industriels. Pour contrecarrer l’insuffisance de la demande intérieure, et devant la menace de saturation des marchés extérieurs, les gouvernements anglais et français amplifient à partir des années 1880 les conquêtes coloniales. Ils seront bientôt suivis par l’Allemagne. Il s’agit pour eux, comme l’expose ici Jules Ferry, de se tailler en Afrique et en Asie des zones économiques exclusives, où les industriels nationaux pourraient écouler leurs produits à l’abri de la concurrence étrangère. C’est également le moyen, en mettant au travail une main-d’œuvre à bon marché dans de grandes exploitations agricoles ou minières, de s’assurer d’approvisionnements en matières premières à bas coût. Par la conquête militaire, les gouvernements offrent ainsi aux bourgeoisies nationales des marchés réservés, qui leur permettraient de rétablir leurs taux de profit.

En cette fin de XIXe siècle, l’impérialisme et la colonisation, l’exploitation de pays plus pauvres et moins développés, sont un des aspects de la politique de la bourgeoisie pour maintenir sa prééminence – alors que partout en Europe se développe et commence à se structurer le mouvement ouvrier.

De manière plus ou moins hypocrite, l’asservissement des peuples d’Afrique et d’Asie se drape de vertus civilisatrices, confortées par les conceptions racistes de la science du temps. Dans le même discours, Ferry déclare :

 

« Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures … »

 

Un peu plus tard, en Angleterre, Rudyard Kipling parlera du « fardeau de l’homme blanc » pour qualifier cette « obligation morale » des Occidentaux.

En fait de civilisation, les conquêtes sont dures et sanglantes … Une fois celles-ci achevées, les activités productives traditionnelles sont désorganisées, les pays conquis remodelés au bénéfice exclusif des colonisateurs, les populations bien souvent assujetties à des formes de travail forcé et soumises à un statut juridique inférieur.

 

Non, décidément, Jules Ferry n’est pas au panthéon des communistes !