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Elections en Espagne : le système canalise habilement la volonté de changement vers de nouveaux partis pro-UE (dont Podemos)

ML pour Vivelepcf, 21 décembre 2015

Les élections législatives du 20 décembre 2015 en Espagne se traduisent, comme prévu, par une sanction des deux partis traditionnels de l’alternance, qui viennent, tour à tour, d’appliquer de dures politiques antisociales au nom de la crise. Le Parti Populaire (PP) et le Parti Socialiste (PSOE) restent en tête mais le premier, au pouvoir actuellement, avec 28,7% perd 16% sur 2011, et le second, son prédécesseur, avec 22% cède 6,7%.

Les deux gagnants sont de nouvelles formations politiques qui n’existaient pas en 2011.

Le parti « Ciudadanos » (« Citoyens ») se définit comme de centre droit : le Modem de Bayrou est son correspondant politique en France. Il obtient 13,9%, un peu moins que prévu par les sondages.

De son côté, le mouvement « Podemos » (« Nous pouvons », d’après le « Yes, We Can » de la campagne d’Obama) atteint 20,7%, en comptabilisant le résultat des coalitions dans lesquelles il se présentait à Barcelone, Valence et en Galice. Podemos se laisse présenter comme un parti de « gauche radicale » tout en réfutant le clivage traditionnel gauche/droite.

Ciudadanos et Podemos ont plusieurs points en commun. Partis neufs, ils ont pu mettre en avant la condamnation de la corruption qui gangrène leurs anciens des partis dominants. Leurs dirigeants, trentenaires, posent, parfois même ensemble, en hommes nouveaux symbolisant le renouvellement de la vie politique.

Mais il n’y a pas qu’en termes d’image que les deux nouvelles formations politiques présentent des affinités. Elles sont toutes les deux opposées, du moins réticentes à l’éclatement de l’Etat espagnol (Podemos demande la tenue d’un référendum en Catalogne mais ne se prononce pas pour l’indépendance). On peut en déduire un attachement plus grand à la bourgeoisie nationale qu’aux bourgeoisies régionalistes. Ciudadanos et Podemos sont aussi et surtout totalement opposés à toute rupture avec l’Union européenne du capital.

Autant dire que le résultat des élections, s’il bouleverse l’influence des partis, n’annonce aucun changement fondamental de politique économique et social, notamment malgré l’émergence de Podemos.

Il n’y avait pas, il n’y a pas d’illusions à se faire. Podemos et son chef Pablo Iglesias n’ont cessé d’afficher, tout au long de cette année encore, leur affinité avec Syriza et Alexis Tsipras. En fait de changement avec Syriza et Tsipras, suivant logiquement leur acceptation de l’UE, les Grecs n’ont connu qu’une nouvelle et terrible aggravation de la politique antiéconomique et antisociale.

Podemos peut et doit être comparé aussi, dans le refus de la forme « parti » notamment, au mouvement « Cinq étoiles » de Beppe Grillo, qui a également fait brusquement irruption dans la vie politique, obtenant 25% aux élections italiennes de 2013. L’un comme l’autre promeuvent une démocratie directe, « participative », notamment via internet et les « réseaux sociaux ».

On pourrait dire que les dirigeants de Podemos, des politologues et communicants professionnels, sont allés plus loin et ont atteint l’opportunisme politique 2.0. Ils ont modélisé, optimisé suivant une « théorie des jeux », avec logiciels informatiques et outils de diffusion internet, le populisme politique, notamment en direction des couches jeunes, éduquées, déclassées, susceptibles de relayer leur propagande vers de plus pauvres. Ils ont surfé sur toutes les vagues et les lunes du moment, notamment celle de « l’indignation » plus ou moins spontanée d’après la crise, ou celle de l’écologie durable etc.

« Les instigateurs de Podemos prônent un mode de démocratie directe novateur. En réalité, dans leur nouvelle organisation, celui-ci comporte trois échelons de représentation. Le premier, ce sont les braves gens qui sont tirés au sort par internet pour causer toujours et s’exprimer en votant par internet… C’est la terre. Le deuxième, ce sont ces nouveaux notables qui se cooptent en direction inamovible pour contrôler l’expression du mouvement pseudo-spontané. C’est le ciel. Le troisième, c’est le leader, l’icône médiatique, Pablo Iglesias. C’est Dieu. »

Voilà ce que nous écrivions en mars 2015 à l’occasion des élections régionales en Andalousie. Podemos n’a pas changé mais sa stratégie s’est affinée en fonction de ses objectifs de pouvoirs. Pablo Iglesias applique le machiavélisme 2.0 tandis qu’il se revendique, sans aucune modestie (c’est sa marque aussi), dans un livre, de la série télévisée américaine à succès, « Games Of Thrones », qui traite de la conquête du pouvoir et qui est appréciée de la clientèle qu’il privilégie.

Si, c’est sérieux ! D’ailleurs le programme de Podemos pour ces législatives le montre. Il a été savamment ajusté dans cette perspective opportuniste.

Il comprend des propositions sociales symboliques (de « gauche ») dont certaines sonnent très concrètement aux oreilles des victimes de la crise comme les interdictions de coupures d’électricité et d’eau ou des expulsions.

Il contient une bonne dose de démagogie sociale avec des intentions de type « on rasera gratis » : « revenu garanti contre la pauvreté » ou bien « emplois décents pour tous ». Le patronat n’est jamais visé pas plus qu’au sujet du vague « développement d’un nouveau modèle industriel », seule une finance abstraite l’est.

Le programme reprend évidemment tout ce qui, malheureusement, hors de toute perspective de classe, se réduit à des poncifs sociétaux (dans leur formulation même) : « égalité de genre », « transition énergétique »…

Il avance les principes d’une politique de relance réformiste capitaliste (« keynésienne »), compatible avec des orientations socio-démocrates et négociables immédiatement avec le PSOE, dans un éventuel contrat de gouvernement : politique d’investissement public, réforme fiscale etc. Podemos et ses alliés collaborent déjà avec des élus du PSOE dans les municipalités de Madrid ou de Barcelone.

Enfin, Podemos finit d’apporter tous les gages de bonne conduite aux classes dirigeantes espagnoles et européennes en affirmant sa foi dans l’UE et son acceptation de l’OTAN. Ces anticonformistes de façade réclament plus d’intégration dans l’UE du capital, avec la constitution d’un « Parlement de l’euro », la mise en place d’une armée européenne. Le recrutement dans les listes Podemos en Aragon, de l’ancien chef d’état major de la défense par Iglesias, le général Jose Julio Rodriguez symbolise l’alignement de Podemos sur l’OTAN et l’impérialisme.

Avec Podemos, il y en a pour tout le monde suivant son degré de conscience et son importance dans la quête du pouvoir. On est aux antipodes des intérêts de la classe ouvrière et de ses luttes.

L’autre point marquant des positionnements d’Iglesias est son anticommunisme. Sa volonté, sinon sa mission pour le système, semble être de liquider tout ce qui reste du Parti communiste espagnol (et du syndicalisme révolutionnaire).

Aux propositions de coalition, avancées profil bas, par Izquierda Unida (IU, organisation de « gauche unie » dans laquelle la direction du PCE s’est diluée), Iglesias a répondu en juillet 2015 avec violence et mépris, traitant les communistes de machine à perdre électorale, de fossiles, de « cendres politiques ». Il était prêt à prendre quelques individualités comme forces d’appoint dans son « mix » électoral mais il était hors de question pour lui de s’allier avec IU ou le PCE… Pour notre gouverne, communistes français, nous noterons que Mélenchon a aussitôt abondé dans le sens d’Iglesias !

IU n’avait plus d’autre choix que de constituer des listes à part à ces législatives. Elles ont obtenu un très mauvais résultat : 3,67% pour les listes « d’Unité populaire » contre 6,91% en 2011 pour les listes « IU/Gauche Unie ». De 11 députés, IU tombe à 2 seulement à cause du mode de scrutin.

Devant le rouleau compresseur médiatique de Podemos, ces résultats étaient très prévisibles. Mais on peut penser que les démarches continues, relancées encore à l’automne, d’IU vers Podemos (même si certaines réalités régionales sont moins tranchées) n’ont pas aidé à identifier le sens du vote IU. Egalement, dans la même logique, la nouvelle étape de dilution du PCE, toujours dans IU mais maintenant, à ces élections, dans une encore plus floue « Unité populaire » avec des régionalistes et des transfuges de la social-démocratie n’a pas clarifié les choses pour l’avenir non plus.

Le phénomène Podemos pousse à la clarification de la stratégie du PCE, parti historique suscitant un intérêt renouvelé dans le monde du travail et la jeunesse.

Un premier choix consiste à poursuivre le processus de dilution du PCE dans un bloc qui se situerait institutionnellement à la gauche de la gauche, dans le cadre pro-européen du PGE. L’expérience d’IU, malgré des soubresauts électoraux, s’est traduite par un affaiblissement sans précédent du Parti. Mais certains peuvent continuer à miser sur des rassemblements encore plus vagues, en vue d’autres échéances électorales, notamment pour le moment où Podemos retombera et laissera un espace à occuper.

Un second choix serait d’utiliser la caricature que représente Podemos des choix sociétaux, faussement « radicaux », vraiment de collaboration, pour ressourcer le PCE sur des bases marxiste et léninistes, et tourner le parti vers le rassemblement dans les luttes.

Nous savons par nos camarades espagnols qu’enfin le débat commence à se poser en ces termes. Il est décisif pour le Parti mais aussi pour les travailleurs et le peuple espagnols.

Dans l’immédiat, à défaut de changement sur le fond, la situation politique issue des élections est incertaine quant au futur gouvernement. Il n’y a pas de majorité absolue parlementaire pour une coalition de droite ou pour une coalition de gauche. L’une ou l’autre serait à la merci des députés régionalistes ou de la bienveillance de certains dans l’autre camp. Podemos, en essor, n’a pas intérêt à gâcher ses cartouches dès à présent en se mouillant dans une majorité. Un gouvernement « d’union nationale » coalisant les deux grands partis traditionnels, PP et PSOE, suivant l’exemple allemand, risquerait de coûter cher à chacun des partenaires et pourrait finir de ruiner le système d’alternance. Mais il aurait 5 ans devant lui, y compris pour régler les questions institutionnelles avec le soutien tacite des deux nouveaux partis.

Dans le même temps, les luttes, les grèves se multiplient contre la poursuite de la baisse des salaires, de la casse des acquis sociaux – on est loin de la « sortie de crise » – dans les transports, à Airbus, dans les usines PSA à Vigo etc. Le patronat se plaint d’une recrudescence des grèves en novembre 2015 de 8% – 9,2 millions d’heures – avec plus d’un quart de millions de grévistes.

De la rencontre de ce mouvement et d’un parti communiste dépend beaucoup de l’avenir. Toutes nos salutations fraternelles à nos camarades espagnols !

Lire aussi: Elections Espagne 2015 : Podemos a recruté un ancien général sur ses listes ! Et pas n’importe lequel !

Elections Espagne 2015 : Podemos a recruté un ancien général sur ses listes ! Et pas n’importe lequel !

Repris de Solidarité internationale PCF, 19 décembre 2015

Le général Rodriguez en Afghanistan, chef d'état major de Zapatero, recruté quelques années plus tard défendre les mêmes positions sous les couleurs de la "gauche radicale" Podemos

La rupture avec les appareils politiques traditionnels, l’ouverture à la « société civile », fait partie des slogans de Podemos (« nous pouvons » suivant le « Yes, we can » d’Obama), mouvement espagnol présenté comme de « gauche radicale ».

En la matière, Podemos et son chef, le politologue Pablo Iglesias, font fort. En fait de société « civile », ils ont recruté une personnalité de choix, placée en position éligible en Aragon, le général Jose Julio Rodriguez.

Le personnage n’est pas un obscur général de brigade repenti sur le tard dans l’antimilitarisme. Pas du tout ! Jose Julio Rodriguez, 67 ans, général d’aviation, jeune retraité, n’est autre que l’ancien chef d’état major de la Défense, le plus haut poste militaire du pays, exercé sous le gouvernement Zapatero.

Rodriguez a débuté sa carrière dans l’armée de Franco qu’il a servie dans l’ancienne colonie du Sahara Occidental. Puis, comme on dit, il a gravi tous les échelons jusqu’à commander le corps expéditionnaire espagnol envoyé en Afghanistan en supplétif de l’armée américaine. En lien direct avec le commandement de l’OTAN, il a été en responsabilités pour l’armée espagnole dans les guerres d’Irak et encore de Libye en 2011.

La droite crie à la trahison. Mais Rodriguez ne se renie pas. Ce serait plutôt Podemos qu’il faudrait accuser de trahison, du moins de tromperie. Pendant un temps, ce mouvement attrape-tout a voulu suivre les mouvements d’opinion hostiles aux interventions militaires espagnoles à l’étranger (maintenant réduites) et à la présence de bases de l’OTAN dans le pays. Aujourd’hui, l’équipe menée par Iglesias nourrit une aspiration plus élevée, celle de l’accession au pouvoir. Pour cela, il faut se ménager l’électorat de droite, qu’elle convoite aussi, mais surtout les puissants d’Espagne, de l’UE et de l’OTAN.

Podemos veut donner des gages à l’OTAN et à l’UE. Rodriguez est explicite : « Nous allons respecter les décisions de l’OTAN. Nous nous engageons pour une défense européenne globale car là est l’avenir » (Journal El Pais – 5 novembre).

En cas d’avènement au pouvoir, Pablo Iglesias a annoncé qu’il nommerait Rodriguez ministre de la défense : ce serait la première fois depuis Franco qu’un militaire exercerait un tel poste politique !

Décidément, les affinités entre Podemos et Syriza, entre Iglesias et Tsipras, que certains politiciens français érigent en modèle de « gauche », sont grandes. Dès son élection en Grèce, Tsipras a nommé ministre de la défense son partenaire d’extrême-droite Pammenos. Des manœuvres aéronavales inédites avec les Etats-Unis et même Israël ont été organisées. Etc.

Le Parti communiste espagnol continue, quant à lui, de revendiquer la sortie de l’Espagne de l’OTAN.

Mais il n’est pas sûr que ce point de vue se fasse beaucoup entendre dans ces élections. En juillet, Podemos repoussait vertement toute alliance électorale avec le PCE et la « Gauche unie » (Izquierda Unida) dans lequel la direction du PCE est intégrée. Résumé en une phrase : Iglesias voulait bien de l’appoint de quelques personnalités communistes mais pas d’une alliance électorale avec une machine à perdre les élections car trop liée à l’image du communisme. Refoulée par l’ultra-médiatisé Iglesias, la direction du PCE n’avait plus d’autre choix que de constituer d’autres listes. L’occasion existait de retrouver une identité communiste affirmée. Le choix a été fait d’aller dans une nouvelle dilution du PCE en passant d’Izquierda Unida à des listes « d’Unité populaire » avec des régionalistes et des transfuges de la social-démocratie.

Electoralement, politiquement, en Espagne, le changement, ce n’est malheureusement pas pour maintenant.