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Hommage à Georges Séguy : Aimé Halbeher, secrétaire en 1968 de la CGT-Renault-Billancourt

Aimé Halbeher, secrétaire de la CGT de Renault-Billancourt en 1968, a rendu public cet hommage à Georges Séguy dans lequel il tient à rétablir la vérité sur une page importante de l’histoire de la CGT et de l’action dirigeante de Georges Séguy. Contrairement à ce qu’assènent de nombreux politiciens et historiens bourgeois [dont les gauchistes], Georges Séguy n’a pas été hué par les gréviste le 27 mai 1968, au petit matin suivant les discussions de Grenelle.

Aimé HALBEHER  Le 19 Août 2016

Notre camarade G. Séguy nous a quittés. Son décès provoque la plupart du temps des réactions positives et élogieuses à son égard mais aussi des calomnies inadmissibles. En tant que secrétaire général du syndicat CGT à l’usine Renault-Billancourt en 1968, je tiens à rétablir la vérité sur l’une des nombreuses falsifications de l’histoire qui sont encore reprises par des médias, hommes politiques ou historiens. Elle concerne l’attitude de la CGT et de son secrétaire national G Seguy durant la grande grève qu’à connu la France en mai et juin 1968.

Selon eux, G. Séguy serait venu le 27 mai 1968 chez Renault à Billancourt à la fin des discussions de Grenelle pour appeler à la reprise du travail. Il aurait été hué et sifflé par les grévistes.

Cette grève a concerné 9 millions de salariés. Elle fut victorieuse et elle modifia le rapport des forces social pendant de longues années en faveur des salariés qui en profitèrent pour augmenter le nombre d’acquis sociaux obtenus en 1968.

La première moisson des succès notamment l’augmentation générale des salaires de 10% (+ 35% pour le SMIC), la réduction du temps de travail sans perte de salaire, la reconnaissance du droit syndical dans les entreprises, le paiement des jours de grève, etc… s’est concrétisé au cours des discussions de Grenelle réunissant le 26 et 27 mai les centrales syndicales ouvrières, le gouvernement gaulliste et les dirigeants du patronat.

Lorsque les discussions se sont terminées, il est environ 6h du matin. Je suis informé par les radios du constat des discussions. Nous avions convoqué la totalité des salariés de l’usine à un rassemblement dans l’Ile Seguin pour les informer de ces résultats et décider ensemble de la conduite à tenir concernant notre grève avec occupation qui dure depuis 10 jours. A l écoute des résultats, j’apprécie leurs portées positives pour des millions de salariés notamment dans les PME mais aussi le tremplin qu’ils nous offrent chez Renault pour imposer l’ouverture des discussions sur la plate forme revendicative votée le 17 mai par 25000 salariés lors de leurs décisions d’engager une grève générale avec occupation.

Je prends contact avec mes camarades de la direction du syndicat qui sont unanimes pour estimer que les salariés qui occupent l’usine, eux aussi informés par leurs radios dans les piquets de grève, pensent que le constat de Grenelle avec ses importants acquis mais aussi ses insuffisances ne répondent pas, loin s’en faut, aux exigences formulées par le personnel de Renault Billancourt lors de leur décision d’engager la grève générale.

Quelques exemples parmi d’autres :

-nous demandions que pas un revenu mensuel ne soit inférieur à 1000 frs par mois dans le groupe Renault or, malgré son augmentation de 35 %, le salaire minimum mensuel en France, après Grenelle, atteindra 650 frs

-nous exigions la suppression des contrats provisoires (déjà du CDD !), la suppression des sanctions anti grève sur les primes, la suppression des déclassements en cas de changements de poste et du système de salaire liés à la machine.

Autant de questions très sensibles pour des milliers d’employés et d’ouvriers.Ce n’est pas à Grenelle que l’on pouvait régler cela mais à Billancourt !

Le rassemblement a lieu à 9h du matin. J’apprends que G. Séguy viendra rendre compte du constat de Grenelle avec Benoit Frachon aux 25000 salariés présents. Il n’était évidemment pas question pour eux d’appeler les salariés de Renault à cesser ou poursuivre leur grève.

En les attendant je suis chargé par la direction du syndicat CGT de l’usine, et en accord avec la CFDT et FO de présenter brièvement les principaux résultats de Grenelle que nous connaissions mais surtout de fustiger la direction de l’usine et le gouvernement qui refusent d’ouvrir les discussions. En conséquence, je propose au vote des travailleurs la poursuite de la grève reconductible avec occupation aussi longtemps que ces négociations ne se seront pas tenues.L’immense majorité des salariés présents acclame et vote la poursuite de la grève.

G. Séguy apprend cette décision lors de son arrivée en voiture à Billancourt.

Par conséquent la poursuite de la grève s’est décidée avant l’arrivée de G. Seguy.

Cette décision n’a pas concerné le résultat de Grenelle mais l’obstination de la direction et du gouvernement à refuser toute discussion. Les grandes entreprises, notamment dans l’automobile, Renault, Peugeot, Citroën ne négocieront que vers le 20 juin 1968.

G. Séguy avec B. Frachon présentent aux salariés de Renault les conditions dans lesquelles se sont déroulées les discussions et déplorent au passage, que contrairement à 1936, l’unité syndicale a cruellement fait défaut. G. Séguy précise qu’aucun accord signé n’est intervenu. Il s’agit d’un constat de discussion qu’il faut améliorer dans chaque entreprise.

Il présente les acquis sociaux obtenus sous les applaudissements nourris et les revendications insuffisamment satisfaites ou totalement insatisfaites sous les huées adressées au patronat et au gouvernement.

G Séguy déclare : « il appartient aux travailleurs en France de se prononcer démocratiquement sur la suite à donner à leur grève comme vous venez de le faire tout à l’heure ». En tout cas ajoute t-il, « cette grande et magnifique grève appartient aux travailleurs. Comme nous n’avons pas donné de mot d’ordre de grève générale, il n’est pas question pour nous d’appeler à une quelconque reprise du travail ».

Pour ce qui est de la suite de la grève à Renault Billancourt, à Cléon, Le Mans, Flins, Sandouville, il faudra attendre 33 jours de grève pour aboutir à un constat de fin de grève chez Renault améliorant sensiblement les résultats de Grenelle .La reprise du travail fut votée par bulletin à 75 %.

Je crois pour en terminer que ceux qui à droite ou dans la mouvance « gauche caviar » tentent depuis près de 50 ans de salir l’action exemplaire de G. Séguy, feraient mieux de saluer celui qui, avec B. Frachon, a su, dès le début de la grève de mai 68, lui donner un contenu auto gestionnaire et démocratique.

Cette ligne syndicale nationale fut un rempart remarquable face aux tentatives classiques du patronat, de la droite ou de la gauche réformiste d’ourdir des provocations, des tentatives de récupérations pour déposséder la classe ouvrière de la direction de ses grèves et manifestations.

Ce fut encore le cas récemment lors des journées d’action contre la loi El Khomri. Mais la vigilance et l’opiniâtreté des dirigeants de la CGT ont su mettre en échec les instigateurs de provocations et conserver l’énorme sympathie de l’opinion à leur mouvement.

Aimé HALBEHER

Le 19 Août 2016

Humanité, 25 août 1944 : « Salut aux cheminots parisiens ! » par Benoît Frachon

Le jour de la Libération de Paris, dans l’Humanité, Benoît Frachon, secrétaire de la CGT et dirigeant du PCF rend hommage à la résistance des cheminots de région parisienne et à la contribution décisive de leur grève lancée le 10 août dans le libération de la capitale. (Source Huma, archive privée – retranscription vivelepcf).

Quand la France libérée rendra hommage aux plus valeureux de ses fils, elle réservera une place de choix aux cheminots de la région parisienne.

C’est le 10 août qu’ils ont déclenché la grève qui devait rapidement s’étendre à tous les dépôts et gares de la région et devenir générale.

C’est depuis le 10 août que les hitlériens battus, pilonnés, écrasés en Normandie et en Bretagne par les armées alliées, harcelés par les patriotes sur toutes les routes de France, sont privés de ce nœud ferroviaire essentiel qu’est Paris et sa banlieue. Les cheminots de Paris ont verrouillé les transports de l’ennemi à un des moments les plus décisifs.

Depuis plus de huit jours, Paris et sa banlieue entendent les explosions gigantesques des dépôts boches qui sautent. Des quantités considérables de munitions sont détruites sur place parce que l’ennemi est incapable d’opérer leur transport sur une autre ligne de front. C’est aux cheminots parisiens que revient le mérite de ces pertes irréparables infligées à l’envahisseur. Des trains de ravitaillement ont été bloqués alors qu’ils étaient dirigés à l’ouest et au nord-ouest de Paris. La grande faiblesse des transports ennemis, les cheminots parisiens l’ont transformée en paralysie générale par leur grève.

On ne peut regretter qu’une chose, c’est que ceux qui étaient chargés d’informer les radios alliées ne leur ont rien dit de cet admirable mouvement. Popularisé, il se fût rapidement étendu sur l’ensemble des réseaux.

Malgré ce silence dont ils n’ont pas encore compris la raison, les cheminots de Paris ont poursuivi sans faiblesse le mouvement qu’ils avaient engagé. Ils ont été les pionniers de la grève générale dans la région parisienne.

Mais les fidèles compagnons de Pierre Semard n’ont pas considéré que leur rôle était terminé par l’arrêt total des transports. Ils ont été et ils sont aux premiers rangs de ceux qui combattent les armes à la main pour exterminer l’ennemi. Comment ils se sont armés ? Ils ont pris sur l’ennemi ce qu’ils n’ont pu avoir par des parachutages. Là ils ont pris des revolvers, ici des fusils, ailleurs des grenades. Ils ont attaqué des détachements, tué ou fait prisonniers les hommes et les armes ont changé de main. Ils avaient soif d’armes, ils ne se sont pas lamentés sur le fait qu’on avait négligé de leur en donner. Ils en ont pris à l’ennemi et ce n’est pas sans une légitime fierté que des artilleurs improvisés tirent au canon, un canon conquis de haute lutte, aux Batignolles, sur les voitures boches qui s’aventurent sur le pont Cardinet.

En ces jours mémorables, où le peuple de Paris ajoute un nouveau fleuron à sa couronne, les cheminots ont écrit leurs pages de gloire.

Ils avaient déjà tant donné depuis quatre ans à la lutte pour la libération qu’on n’est point surpris de les trouver héroïques dans le combat ouvert.

Pierre Semard, Wodli, Catelas, l’un fusillé, l’autre pendu par les Boches, le troisième décapité par les traitres de Vichy, ces noms prestigieux sont dans toutes les pensées, le souvenir de ces héros enflamme le cœur des cheminots qui les vengent en libérant la patrie. Chaque coup de feu qui couche un ennemi, c’est un des assassinés d’Ascq, un des fusillés de Rennes qui est vengé.

Mais nous ne sourions rendre hommage aux cheminots parisiens sans parler de quelques-uns de ceux qui ont courageusement organisé et dirigé leur action. Crapier, Tournemaine qui, durant de longues années, ont été les collaborateurs de Semard et qui dirigent aujourd’hui la Fédération des cheminots. Tous deux furent arrêtés avec Semard en 1939 par les agents de la cinquième colonne avec la complicité du traitre Llaud. Tous deux, durant leur détention n’ont eu qu’une idée : s’évader, même au péril de leur vie, pour prendre leur place dans l’activité illégale. Tous deux ont réalisé leur rêve. Ils sont aujourd’hui à la tête de leurs compagnons qui se battent.

Nous ferons plus tard l’histoire du travail illégal chez les cheminots durant toute l’occupation allemande. Nous montrerons le courage, la ténacité de ceux qui n’ont cédé ni devant la police vichyssoise déchaînée, ni devant les tortures et les crimes de la Gestapo. Nous livrerons à la gratitude des foules ces héros obscurs qui ont fait tranquillement leur devoir et qui sont tombés dans la plus dure des batailles.

Aujourd’hui, quand Paris se bat vaillamment, quand il repousse avec mépris les manœuvres des pleutres ou des combinards qui voudraient lui faire déposer les armes, nous avons tenu à saluer ceux d’entre les Français qui ont le plus fait pour l’honneur de la patrie, pour le renom de la capitale.

Salut cheminots parisiens ! Dans sa tombe, Pierre Semard peut être fier de vous.

Benoît FRACHON, secrétaire de la C.G.T.