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Pourquoi la Turquie a-t-elle abattu l’avion russe ?

Article du journaliste progressiste américain Conn Hallinan, repris du site « International Policy Digest », 11 décembre 2015, traduit par MlN pour Solidarité internationale PCF.

Conn Hallinan tente de démêler l’imbroglio des confrontations impérialistes telles qu’elles se manifestent dramatiquement en Syrie, sur le sol et dans les airs. Les bombardements français, intensifiés à des fins idéologiques en France après les attentats, en font partie, loin de toute solution de paix dans le pays.

 

Pourquoi la Turquie a-t-elle abattu l’avion russe ?

Ce n’est certainement pas parce que le Sukhoï 24 présentait une quelconque menace. L’avion est vieux et lent et les Russes avaient pris la précaution de ne pas l’armer de missiles de chasse aérienne. Ce n’est pas non plus parce que les Turcs ont la gâchette facile. Il y a trois ans, le président turc Recep Tayyip Erdogan déclarait avec emphase qu’une « violation momentanée de son espace aérien ne pourrait jamais être un prétexte à une attaque ». Il y a des doutes que l’avion russe soit même réellement rentré dans l’espace aérien de la Turquie.

De fait, tout l’incident du 24 novembre paraît de plus en plus douteux et on n’a pas besoin d’être un paranoïaque russe pour penser qu’il pourrait s’agir d’un piège tendu. Comme le lieutenant général à la retraite, Tom Mac Inerney, ancien chef d’état major de l’US Air Force, l’a dit à Fox News : « Cet avion n’opérait aucune manœuvre en vue d’attaquer le territoire [turc] ». Il a qualifié l’action turque « d’exagérément agressive » et a conclu que l’incident « devait avoir été prémédité ».

Tout cela a certainement dû perturber les militaires israéliens pourtant pas vraiment connus pour avoir une approche désinvolte des intrusions militaires. Le ministre de la défense israélien, Moshe Yaalon, a indiqué à la presse le 29 novembre qu’un avion russe avait violé la frontière israélienne sur les hauteurs du Golan. « Les avions russes n’avaient pas d’intention de nous attaquer, c’est pourquoi nous devons pas automatiquement réagir et les abattre quand il se produit une erreur ».

Alors pourquoi l’avion a-t-il été descendu ?

Peut-être parce que, pour la première fois en quatre ans, des acteurs majeurs avancent timidement vers un règlement de la catastrophique guerre civile en Syrie et que des forces conséquentes manœuvrent pour torpiller ce processus. Si les Russes n’avaient pas gardé leur calme, plusieurs puissances nucléaires auraient pu se trouver dans une situation inquiétante de confrontation et toute idée de fin de guerre en Syrie se serait évanouie.

Il y a de multiples acteurs sur la scène syrienne, et un nombre déconcertant d’intérêts s’entrecroisent et d’objectifs se concurrencent, ce qui, paradoxalement, rend à la fois plus facile et plus difficile de trouver un terrain d’entente. Plus facile parce qu’il n’existe pas de position unifiée parmi les protagonistes ; plus difficile parce qu’essayer de garder un troupeau de chats lourdement armés est une affaire délicate.

Le maigre résultat des joueurs en présence :

Les Russes et les Iraniens soutiennent le président syrien Bachar El-Assad et combattent une série d’organisations extrémistes allant d’Al-Qaïda à l’Etat Islamique (ISIS/DAECH). Mais chaque pays ne voit pas de la même façon à quoi pourrait ressembler la Syrie après la guerre civile. Les Russes veulent un Etat centralisé et laïque doté d’une grande armée. Les Iraniens ne se préoccupent guère de « laïcité » et privilégient des milices plutôt que des armées.

La Turquie, l’Arabie Saoudite, le Qatar et la plupart des autres monarchies du Golfe essayent de renverser le régime d’Assad et sont les premiers soutiens des groupes que la Russie, l’Iran et le Hezbollah libanais combattent. Mais, alors que la Turquie et le Qatar veulent remplacer Assad par les Frères musulmans syriens, l’Arabie Saoudite déteste ces derniers peut-être encore davantage qu’elle ne déteste Assad. Et tandis que les monarchies du Golfe ne se préoccupent pas plus que cela des Kurdes, la Turquie les bombarde et ils sont même l’un des motifs principaux pour lequel Ankara s’implique autant en Syrie.

Les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni essayent également de renverser Assad, mais sont actuellement rivés sur la bataille contre Daech, utilisant les Kurdes comme allié principal – en particulier les Parti démocratique kurde syrien, une ramification du Parti des travailleurs kurdes de Turquie (le PKK) que les Etats-Unis ont officiellement désigné comme « terroriste ». Il s’agit des mêmes Kurdes que ceux que bombarde la Turquie et qui entretiennent une alliance cordiale avec les Russes.

En fait, la Turquie va peut-être découvrir, comme prix à payer pour avoir abattu le Sukhoï-24, l’apparition soudaine de nouvelles armes russes dans les mains des Kurdes, dont certaines dirigées contre les Turcs.

La guerre en Syrie demande de suspendre sa pensée rationnelle.

Les Américains ne sont pas contents que les Russes bombardent les anti-Assad de « l’Armée de la conquête », une alliance de rebelles dominée par le Front Al-Nosra, la branche syrienne d’Al-Qaïda. C’est cette même Al-Qaïda qui est censée avoir détruit les tours du World Trade Center et que les Etats-Unis sont actuellement en train de bombarder au Yémen, en Somalie et en Afghanistan.

La nécessité de suspendre sa pensée rationnelle ne vaut pas que pour la Syrie.

Un certain nombre de pays arabes ont rejoint initialement la guerre aérienne des Etats-Unis contre l’Etat islamique et Al Qaïda parce que ces deux organisations se sont promis de renverser les monarchies du Golfe. Mais l’Arabie Saoudite, la Jordanie, les Emirats-Arabes-Unis et le Qatar ont maintenant abandonné cette voie pour concentrer leur force aérienne sur le bombardement des Houthis au Yémen.

Les Houthis, pourtant, sont de loin la force la plus efficace combattant Daech et AL-Qaïda au Yemen. Ces deux organisations extrémistes ont enregistré des gains majeurs ces dernières semaines parce que les Houthis sont trop occupés à se défendre par ailleurs pour les contrer.

En dépit de tous ces troubles politiques, plusieurs évolutions amènent pourtant les différentes parties vers une forme de règlement pacifique n’impliquant pas de changement de régime en Syrie. C’est précisément ce qui inquiète les Turcs et les monarques du Golfe et c’est la raison principale pour laquelle Ankara a abattu l’avion russe.

La première de ces évolutions s’est imposée au long de l’été : le flux croissant de Syriens fuyant la guerre. Ils sont déjà près de 2 millions en Turquie, plus d’un million en Jordanie et au Liban et 900.000 en Europe. Sur les 23 millions de Syriens, quelque 11 millions ont été déplacés à cause de la guerre et les Européens s’inquiètent de voir nombre de ces 11 millions finir dans des campements sur les rives de la Seine ou de la Ruhr. Si la guerre se poursuit l’année prochaine, c’est une perspective tout à fait plausible.

En conséquence, les Européens ont mis en sourdine leur exigence du départ d’Assad comme préalable à un cessez-le-feu et comptent sur les Américains pour en faire autant. La question est loin d’être réglée mais un accord général semble se dessiner suivant lequel Assad sera au moins une partie de la solution vers un gouvernement de transition. A ce stade, les Russes et les Iraniens insistent sur la tenue d’une élection à laquelle Assad serait candidat parce que ces deux puissances redoutent tout ce qui pourrait ressembler à un « changement de régime ». Le rôle qu’Assad pourrait jouer sera un point d’accrochage mais probablement pas insurmontable.

La Turquie et l’Arabie Saoudite sont intransigeantes sur le départ d’Assad mais aucun des deux pays ne tient la barre en ce moment. Si l’OTAN a soutenu la Turquie dans l’affaire de l’avion russe, suivant une certaine presse turque, beaucoup de ses dirigeants considèrent Erdogan comme un élément incontrôlable. Et l’Arabie Saoudite – dont l’économie a été atteinte durement par la baisse mondiale des cours du pétrole – est préoccupée par sa guerre au Yémen qui est en passe de devenir un coûteux bourbier.

Le rôle de la Russie.

La deuxième évolution résulte de l’intervention russe, qui semble avoir changé la donne sur le terrain, au moins au nord, où les forces d’Assad subissent durement la pression de « l’Armée de la Conquête ». Les nouvelles armes en présence et la force aérienne ont contenu une offensive des rebelles et ont permis quelques avancées des forces gouvernementales dans la bataille pour la plus grande ville de Syrie, Alep.

Les bombardements russes ont aussi lourdement affecté les insurgés turkmènes dans la région de Bayir-Bucak, zone frontalière que la Turquie a utilisée pour faire passer des armes, du ravitaillement et des combattants en Syrie.

L’apparition des Russes à annihilé les efforts de la Turquie pour établir une « zone d’exclusion aérienne » à sa frontière avec la Syrie, une proposition qui n’a jamais soulevé l’enthousiasme des Etats-Unis. Les principaux alliés de Washington, les Kurdes, sont fortement opposés à une telle zone d’exclusion aérienne parce qu’ils y voient un élément des efforts d’Ankara pour éloigner la formation d’une région autonome kurde en Syrie.

La zone de Bayir-Bucak et la ville de Jerablus constituent aussi le point de transit pour les lucratives opérations de contrebande de pétrole, apparemment supervisées par l’un des fils d’Erdogan, Bilal. Les Russes ont embarrassé les Turcs en publiant des photos satellites montrant des kilomètres de camions citernes chargeant du pétrole depuis les puits contrôlés par Daech et l’acheminant à travers la frontière sud de la Turquie.

Le président russe Valdimir Poutine l’a dit le 30 novembre : « Le pétrole des militants de l’Etat islamique pénètre en Turquie à une échelle industrielle. Nous avons toutes les raisons de penser que la décision d’abattre notre avion était guidée par le désir d’assurer la sécurité des voies de livraison de ce pétrole vers les ports ».

Erdogan et l’OTAN.

Erdogan n’a pas obtenu toute la réponse qu’il voulait de l’OTAN après que le Sukhoï-24 a été abattu. Si l’alliance militaire a soutenu la défense de sa « souveraineté » par la Turquie, l’OTAN a ensuite appelé à une résolution pacifique de toute l’affaire et à une désescalade.

Au moment où l’Europe a besoin d’une solution à la crise des réfugiés – et veut concentrer sa force de frappe sur l’organisation qui a tué 130 personnes à Paris – l’OTAN ne peut pas approuver que la Turquie l’entraîne vers une confrontation avec les Russes, rendant toute la situation encore beaucoup plus dangereuse qu’avant l’incident du 24 novembre.

Les Russes ont déployé maintenant leurs bombardiers plus modernes, de type SukhoÏ-34, et les ont équipés de missiles air-air. Les bombardiers seront maintenant escortés par des chasseurs de type Sukhoï-35. Les Russes ont aussi déployé des systèmes anti-aériens S-300 et S-400, ces derniers dotés d’un rayon d’action de 400 kilomètres. Les Russes disent ne pas rechercher de problèmes mais ils renforcent leurs armes pour prévenir qu’il s’en produise.

Est-ce qu’un accrochage entre les Turcs et les Russes pourrait conduire l’OTAN – et quatre puissances nucléaires – à entrer en confrontation ? Cette éventualité a de quoi faire réfléchir.

Vers la table des négociations

Autour du Nouvel An, les pays impliqués dans la guerre civile syrienne vont se rencontrer à Genève. Un certain nombre feront tout leur possible pour faire dérailler les négociations mais l’on peut espérer qu’il y aura suffisamment d’interlocuteurs censés – ou désespérés – pour dessiner les contours d’une solution politique.

Ce ne sera pas facile et il faut déjà décider qui s’assoira autour de la table. Les Turcs ne voudront pas des Kurdes ; les Russes, les Iraniens et les Kurdes ne voudront pas de l’Armée de la Conquête ; les Saoudiens ne voudront pas d’Assad. A la fin tout pourrait bien s’écrouler. Il n’est pas difficile de torpiller un plan de paix au Moyen-Orient.

Mais si les problèmes sont grands, un échec serait catastrophique. C’est ce qui pourrait être le ciment qui retiendra ensemble toutes les parties le temps qu’il faudra pour arracher un cessez-le-feu, un embargo sur les armes, une nouvelle constitution et des élections sous surveillance internationale.

Syrie : Obama savait, longtemps avant août, que des groupes « rebelles » disposaient de l’arme chimique.

Vivelepcf, 10 décembre 2013

Un journaliste américain, et pas des moindres, établit dans un article qui commence à faire parler qu’Obama savait qu’un groupe rebelle islamiste, « Al-Nousra », maîtrisait la fabrication et l’utilisation d’armes chimiques au gaz sarin. Seymour Hersh, lauréat du prix « Pulitzer » a déjà été à l’origine des révélations sur les exactions américaines à Mi Lay au Vietnam en 1969 ou sur les tortures infligées aux prisonniers iraquiens à Abu Grahib en 2004.

En recoupant les déclarations et les informations officielles, des rapports et des  interviews d’éléments des services de renseignements, Seymour Hersh arrive à sa conclusion implacable : Obama et son secrétaire d’Etat Kerry ont menti.

On s’en doutait – la fable des armements de destruction massive de l’Irak est encore récente – mais l’intervention impérialiste avortée en Syrie permet de mieux décortiquer et dénoncer l’appareil de propagande de l’impérialisme américain et de ses alliés.

Fin août, le monde a frôlé une extension internationale de la guerre en Syrie. (Lire la suite…)