Théorie

Pétition internationale contre la fermeture des archives Lukacs à Budapest

(vivelepcf, 19 mars 2016)

Le régime ultraréactionnaire en place en Hongrie, aujourd’hui sous la présidence de Victor Orban, poursuit sa basse œuvre d’éradication de toute la mémoire du mouvement marxiste et communiste du pays. Peut-être à la faveur de la médiatisation de sa campagne de haine contre les réfugiés du Moyen-Orient, il entend aujourd’hui faire disparaître discrètement les Archives Lukacs à Budapest. L’Académie des sciences de Hongrie a annoncé leur fermeture imminente, la vente de l’appartement où habitait Lukacs qui les abrite, et la mutation ou la mise en retraite d’office des chercheurs qui s’en occupent.

Le prestige international du philosophe et l’homme politique Georges Lukacs (1885-1971) avait jusqu’à présent préservé ce lieu de mémoire et de recherche. Acteur de la révolution hongroise de 1919, consécutive à la Révolution d’Octobre, continuateur de l’œuvre de Marx et Engels, à travers des écrits mondialement diffusés tels que « Histoire et conscience de classe » (1923), penseur novateur de l’esthétique marxiste, de la théorie du roman, Georges Lukacs reste un philosophe majeur dont l’héritage est difficile à occulter dans le monde capitaliste revanchard, même en le défigurant.

Les Archives Lukacs de Budapest comprennent des milliers de livres, de lettres, de manuscrits, dont une imposante correspondance, non publiée, avec, entre autres, Thomas Mann, Ernst Bloch, Jean-Paul Sartre.

Nous relayons la pétition internationale de protestation lancée par les conservateurs des Archives et appelons à interpeller les ministres français des affaires étrangères et de la culture.

Nous protestons contre la fermeture des Archives Lukács – pétition internationale

Les signataires de cet appel expriment leur profonde préoccupation devant la décision de l’Académie hongroise des Sciences de fermer les Archives Lukács de Budapest. György Lukács fut l’un des plus éminents philosophes du XXe siècle et un auteur majeur de la modernité, non seulement dans le domaine de la philosophie, mais aussi de la pensée politique, de la théorie et la critique littéraire, de la sociologie et de l’éthique. Figure de renommée internationale, Lukács représente l’un des sommets de la riche culture hongroise ; ses œuvres font partie du patrimoine vivant de l’humanité. Durant plusieurs décennies, les Archives Lukács ont permis à un large public académique et non-académique d’avoir accès aux documents de sa vie et de son œuvre. De plus, se situant dans l’appartement où le philosophe passa les dernières années de sa vie, les archives ont servi également d’espace de mémoire, dédié à l’une des personnalités décisives de notre temps. Aussi appelons-nous les autorités compétentes à reconsidérer leur décision qui a éveillé la tristesse et l’indignation de la communauté scientifique et culturelle internationale.

Pour signer en ligne, suivre ce lien

LENINE : LES TACHES DE L’OPPOSITION EN FRANCE (1916)

Repris des oeuvres complètes de Lénine aux éditions sociales, volume 22, pages 136 à 140. Au début de l’année 1916, Lénine incite les socialistes français à rompre avec les dirigeants socialistes, « socialistes-chauvins », passés, au nom de la phrase « mensongère » de la « défense de la patrie », dans le camp de la bourgeoisie, de façon évidente avec la guerre. Il met en garde contre « la fiction d’unité », « nuisible à la classe ouvrière » qui retient encore certains camarades. Il finit par la phrase: « Je fais confiance au prolétariat révolutionnaire français. Il saura activer aussi l’opposition française » avant d’adresser ses meilleurs voeux.

LENINE : LES TACHES DE L’OPPOSITION EN FRANCE (1916)

(lettre au camarade Safarov)

10 février 1916

Cher camarade, Votre expulsion de France, qui a été notamment annoncée, avec une protestation, jusque dans le journal chauvin « la Bataille », lequel n’a d’ailleurs pas voulu dire la vérité, à savoir que vous avez été expulsé en raison de vos sympathies pour l’opposition, votre expulsion donc m’a fait penser une fois de plus à la question délicate de la situation et des tâches de l’opposition en France.

J’ai vu à Zimmerwald Bourderon et Merrheim. J’ai entendu leurs rapports et j’ai lu ce que les journaux ont dit de leur activité. On ne peut, selon moi, avoir le moindre doute sur leur sincérité et leur dévouement à la cause du prolétariat. Mais il n’est pas moins évident que leur tactique est erronée. Ce qu’ils craignent tous les deux par-dessus tout, c’est la scission. Pas un geste, pas un mot qui puisse provoquer la scission dans le parti socialiste ou les syndicats ouvriers de France ou une scission dans la deuxième internationale, tel est le mot d’ordre de Bourderon et de Merrheim.

Cependant, la scission du mouvement ouvrier et du socialisme est un fait accompli dans le monde entier. La classe ouvrière se trouve en présence de deux tactiques et de deux politiques inconciliables en ce qui concerne la guerre. Il est ridicule de vouloir fermer les yeux là-dessus. Tenter de concilier l’inconciliable, c’est condamner toute notre action à l’impuissance. En Allemagne, même le député Otto Rühle, compagnon de lutte de Liebknecht, a reconnu ouvertement la scission inéluctable du parti, étant donné que la majorité actuelle et les « milieux dirigeants » officiels du parti allemand sont passés à la bourgeoisie. Les objections élevées contre Rühle et contre la scission par ceux que l’on appelle les représentants du « centre » ou du « marais », Kautsky et le Vorwärts, ne sont que mensonges et hypocrisie, si « bien intentionnée » que puisse être cette hypocrisie. Kautsky et le Vorwärts ne peuvent pas nier, ils n’essaient même pas de le faire, que la majorité du parti allemand fait en réalité la politique de la bourgeoisie. L’unité avec une pareille majorité est nuisible à la classe ouvrière. Elle signifie la soumission de la classe ouvrière à la bourgeoisie de « sa » nation, la scission de la classe ouvrière internationale. A la vérité, Rühle a raison de dire qu’il y a deux partis en Allemagne. L’un, qui est officiel, fait la politique de la bourgeoisie. L’autre, la minorité, lance des proclamations illégales, organise des manifestations etc. Il en est de même dans le monde entier, et les diplomates impuissants ou les gens du « marais », tels que Kautsky en Allemagne, Longuet en France, Martov et Trotski en Russie, font un mal énorme au mouvement ouvrier en défendant une fiction d’unité et en empêchant par là l’union indispensable et déjà mûre de l’opposition de tous les pays, la création d’une IIIe Internationale. En Angleterre, même un journal aussi modéré que le Labour Leader publie les lettres de Russel Williams sur la nécessité de la scission avec les « chefs » des trade-unions et le Labour Party qui a « vendu » les intérêts de la classe ouvrière. Et toute une série de membres de l’Independant Labour Party expriment dans la presse leur sympathie pour Russel Williams. En Russie, même le « conciliateur » Trotski est actuellement obligé de reconnaître la nécessité d’une scission avec les « patriotes », – c’est-à-dire avec le parti du « Comité d’organisation », le C.O., – qui approuvent l’entrée des ouvriers dans les comités des industries de guerre. Et c’est seulement par un faux sentiment d’amour-propre que Trotski continue à préconiser « l’unité » avec la fraction Tchkhéidzé de la Douma, qui est pour les « patriotes » et le Comité d’organisation » une amie fidèle, une couverture et une protection.

Même aux Etats-Unis d’Amérique, la scission est pratiquement totale. Car certains socialistes s’y prononcent pour l’armée, pour la « préparation » (« preparedness »), pour la guerre. Et les autres, dont le plus populaire des chefs ouvriers, Eugène Debs, candidat du parti socialiste à la présidence de la République, préconisent la guerre civile contre la guerre des peuples !

Voyez enfin les actes de Bourderon et Merrheim eux-mêmes ! A les entendre, ils sont contre la scission. Mais lisez la résolution présentée par Bourderon au congrès du Parti socialiste français. Elle réclame la démission des ministres socialistes !! Elle « désapprouve » nettement la C.A.P. et le G.P. (C.A.P. : Com. Adm. Perm., G.P. : Groupe Parlem.) !!! Il est clair comme le jour que l’adoption de cette résolution signifierait la scission et du parti socialiste et des syndicats, car MM. Renaudel, Sembat, Jouhaux et Cie ne l’accepteront jamais.

Bourderon et Merrheim partagent l’erreur, la faiblesse, la timidité de la majorité de la conférence de Zimmerwald. D’une part, cette majorité appelle indirectement dans son manifeste à la lutte révolutionnaire, mais craint de le dire franchement. D’une part elle écrit : les capitalistes de tous les pays mentent quand ils parlent de « défense de la patrie » dans cette guerre. D’autre part, elle a eu peur d’ajouter cette vérité évidente et que tout ouvrier pensant ajoutera d’ailleurs de lui-même, à savoir que le mensonge est le fait, non seulement des capitalistes, mais aussi de Renaudel, Sembat, Longuet, Hyndmann, Kautsky, Plechanoff et Cie !! La majorité de la conférence de Zimmerwald veut se réconcilier avec Vandervelde, Huysmans, Renaudel et Cie. Ce serait un mal pour la classe ouvrière, et la « gauche de Zimmerwald » a bien fait de dire ouvertement la vérité aux ouvriers.

Voyez l’hypocrisie des socialistes-chauvins : ils louent en France la « minorité » allemande, et en Allemagne la « minorité » française !!

Quelle énorme répercussion aurait l’intervention de l’opposition française si celle-ci affirmait ouvertement, hardiment, hautement, à la face du monde : nous ne sommes solidaires que de l’opposition allemande, que de Rühle et de ses amis !! Que de ceux qui ont résolument rompu avec le socialisme chauvin avoué ou camouflé, c’est-à-dire avec tous les partisans de la « défense de la patrie » dans la guerre actuelle !! Nous ne craignons pas, quant à nous, la rupture avec les « patriotes » français qui appellent « défense de la patrie » la défense des colonies, et nous appelons les socialistes et les syndicalistes de tous les pays à opérer la même rupture !! Nous tendons la main à Otto Rühle et à Liebknecht, à eux et uniquement à leurs amis politiques, nous stigmatisons la « majorité » et le « marais » en France comme en Allemagne. Nous proclamons la grande union internationale des socialistes du monde entier qui ont rompu, dans la guerre actuelle, avec la phrase mensongère de la « défense de la patrie » et qui travaillent à la propagande et à la préparation de la révolution prolétarienne mondiale !

Un appel de ce genre aurait une immense portée. Il ferait fuir les hypocrites, il mettrait en lumière et dénoncerait le mensonge international, il donnerait une vigoureuse impulsion au rapprochement des ouvriers du monde entier demeurés réellement fidèles à l’internationalisme.

La phrase anarchiste a toujours fait beaucoup de mal en France. Mais aujourd’hui, les anarchistes-patriotes, les anarchistes-chauvins, tels que Krotopkine, Grave, Cornelissen et autres chevaliers de la Bataille « Chauviniste » aideront à guérir de la phrase anarchiste un grand nombre d’ouvriers. A bas les socialistes-patriotes et les socialistes-chauvins, et aussi « à bas les anarchistes-patriotes » et les anarchistes-chauvins ! –  ce cri aura de l’écho dans les cœurs des ouvriers de France. Non pas des phrases anarchistes sur la révolution, mais un travail de longue haleine, sérieux, opiniâtre, tenace, systématique, de création en tous lieux d’organisations illégales parmi les ouvriers, de diffusion des publications libres, c’est-à-dire illégales, et de préparation d’un mouvement des masses contre leurs gouvernants. Voilà ce qu’il faut à la classe ouvrière de tous les pays !

Il est faux de penser que « les Français ne sont pas capables » de faire un travail illégal systématique. C’est faux ! Les Français ont rapidement appris à se terrer dans les tranchées. Ils s’adapteront bien vite aux conditions nouvelles du travail illégal et à la préparation systématique d’un mouvement révolutionnaire des masses. Je fais confiance au prolétariat révolutionnaire français. Il saura activer aussi l’opposition française.

Meilleurs vœux, Votre Lénine.

P.-S. J’invite les camarades français à publier en tract la traduction (complète) de cette lettre.

Crise économique et politique au Brésil : mais pas de l’Etat. Analyse théorique de Mauro Luis Iasi du Parti communiste brésilien

Repris de Solidarité internationale PCF, article d’août 2015, repris le 11 décembre 2015

Une du journal de novembre du PCB

La crise politique s’aggrave au Brésil. La procédure de destitution de la présidente, Dilma Rousseff, a été engagée le 3 décembre, puis suspendue. Les scandales de corruption éclatent et éclaboussent largement d’abord les partis de centre « gauche » au pouvoir. Cela correspond à un blocage, à la crise persistante de l’économie « émergente ». Les protestations sociales sont nombreuses. La droite arrive parfois à les canaliser. Le chercheur marxiste, Mauro Iasi, analyse cette situation et dresse le constat de l’absence actuelle de perspective révolutionnaire, faute de crise de l’Etat. Sa réflexion théorique nous semble intéressante au-delà même du cas brésilien. Iasi est membre du Parti communiste brésilien PCB (et non du Parti communiste du Brésil, PCdoB, d’origine maoïste, allié au Parti des Travailleurs de Dilma Rousseff).

Brésil : Trois crises … mais une fait défaut. – Article théorique de Mauro Iasi

Par Mauro Luis Iasi, du Centre d’études et de recherches marxistes, membre du Comité central du Parti communiste brésilien, 13 août 2015, traduction MlJ pour Solidarité internationale PCF

Dans le contexte brésilien s’entrelacent deux crises: une crise économique et une crise politique. Il y en a une autre, celle qui souvent est décisive et marque les moments de rupture historique: une crise de l’Etat.

Directement ou indirectement, toutes les crises dans une société capitaliste sont liées à une crise économique, mais les liens entre les dimensions politiques et économiques de la crise ne sont pas toujours clairs. Comme nous le savons, la crise est inhérente au processus d’accumulation, mais il y a des moments où cette crise devient plus visible et où le paradoxe de suraccumulation explose en brûlant du capital, en détruisant des forces productives, avec tous les effets que nous connaissons sur les travailleurs. Ensuite la crise politique dépend de la coexistence de factions de la classe dirigeante et des accords politiques entre elles pour former un bloc dominant, ainsi que, dans une large mesure, de la forme politique établie historiquement et au sein de laquelle cette coexistence est devenue possible.

Cependant, la crise de l’Etat est quelque chose de plus profond. Elle est le signe que la contradiction est allée au-delà des limites que l’ordre bourgeois peut contenir, l’émergence de la lutte des classes ne menaçant pas seulement l’un ou l’autre segment de la classe dirigeante mais l’ordre bourgeois lui-même. C’est une crise qui, bien qu’elle se manifeste dans une conjoncture donnée, marquée par le gouvernement d’une ou l’autre faction du bloc dirigeant, est, dans le même temps, une crise de l’Etat bourgeois.

LA CRISE ECONOMIQUE

La grande illusion de la dernière période cyclique a été la croyance dans le mythe du développement capitaliste « soutenable » – comme si on pouvait éviter la crise par la gestion de l’investissement, du contrôle fiscal et monétaire, de la consommation, des dépenses publiques et de tous les autres éléments de la soi-disant « macroéconomie ». Comme Mészáros [philosophe marxiste hongrois, assistant de Lukacks. NdT] nous a avertis il y a longtemps, ceci est une vaine tentative pour contrôler un « métabolisme social incontrôlable ».

La soi-disant « soutenabilité » du capitalisme signifie, en un mot, un équilibre entre la demande croissante tirée par la consommation et une augmentation croissante de la production qui à son tour génère plus d’emplois et, en conséquence, plus de consommation et ainsi de suite. Il suffirait que l’Etat garantisse aux investisseurs capitalistes de bonnes conditions pour assurer une croissance de l’économie, une augmentation des revenus, et un surcroît de ressources pour l’investissement public – que ce soit dans les infrastructures, pour renforcer la continuité du cycle économique vertueux, ou pour des politiques compensatoires en vue de réduire les effets les plus visibles de la pauvreté absolue.

La racine de la crise actuelle est la preuve du caractère incontrôlable du capital. Le capital accumule inégalement les composants qui le constituent, devenant proportionnellement davantage du capital constant (machines, technologie, installations, etc.) que du capital variable (travail), générant ce que Marx appelait la tendance à la baisse du taux de profit.

Dans cette approche, ce qui conduit à la crise n’est pas le défaut des conditions pour la croissance de l’accumulation, mais la croissance elle-même parce qu’elle génère une suraccumulation qui rend impossible au capital le retour au cycle de sa reproduction avec des profits acceptables.

Il revient à l’Etat bourgeois, comme acteur principal, de prendre les mesures nécessaires pour activer en pratique les contre-tendances à la baisse du taux de profit et gérer la crise cyclique et périodique inévitable. L’auteur du Capital a listé six contre-tendances. Remarquez comment nous pouvons clairement les identifier dans l’action économique cyclique des gouvernements bourgeois:

- Exploitation intensifiée des travailleurs;
- Réduction des salaires;
- Augmentation de la surpopulation relative (exproprier beaucoup plus que ce qui est utilisé par le capital dans sa sphère productive);
- Réduction des coûts du capital constant (subventions, nouveaux matériels, infrastructures, etc.);
- Expansion des marchés, ou bien pour écouler la surproduction de marchandises, ou bien pour trouver de nouvelles sources de matières premières ou des machines, etc., ou, dans la phase actuelle du capitalisme, pour exporter du capital;
- Autonomisation de la sphère bancaire en vue de compenser, par les intérêts versés sur les obligations d’État ou d’autres formes, la baisse du taux de profit.

Ces mesures, qui démontrent le caractère essentiel de l’État dans le fonctionnement de l’économie capitaliste – démontant le présupposé libéral – n’empêchent ni la crise, ni la baisse tendancielle du taux de profit, mais imposent au mouvement de l’économie son caractère cyclique, avec des moments de croissance de l’accumulation, de pic, de crise, de récession, et ainsi de suite.

Ce que nous voyons aujourd’hui est un moment où on paye le prix de la croissance capitaliste décrite auparavant comme vertueuse. Selon le Bulletin de surveillance de la conjoncture (www.criticadaeconomia.com.br):

«Comparé au même mois de l’an dernier, la production industrielle a chuté de 3,2%, l’indice mensuel de juin 2015 étant le 16ème négatif d’affilée. En mesure semestrielle, l’ensemble de l’industrie a reculé de 6,3% au cours des six premiers mois de 2015, le repli le plus élevé depuis le premier semestre 2009 (-13,0%) au sommet de la dernière crise mondiale de 2008/2009. Encore plus alarmants sont les chiffres de l’effondrement des grands secteurs industriels. Ils ont déjà désactivé une grande partie de la production de biens d’équipement (machines, installations). Celle-ci a continué à baisser, de -11,2% dans la seconde moitié de l’année dernière à -20,0% dans les six premiers mois de 2015. Le secteur stratégique des biens de consommation durables est un autre exemple, que traduit également la baisse de la demande de métaux, avec une baisse passant de -10,1% dans la seconde moitié de 2014 à -14,6% dans les six premiers mois de cette année « .

Au désespoir du gouvernement, dans la période, les mécanismes qui fonctionnaient auparavant pour encourager l’investissement et la croissance économique, paraissent maintenant faire plonger l’économie.

DE LA CRISE ÉCONOMIQUE À LA CRISE POLITIQUE

Dans ce contexte de crise de suraccumulation et de nécessité de brûler du capital, l’irrationalité de la rationalité capitaliste se révèle. Le soi-disant « ajustement » mis en œuvre par le gouvernement Dilma [Dilma Rousseff, présidente, NdT] dont Levy est l’artisan officiel [Joaquim Levy, ministre des finances, NdT] (dire que l’on est pour Dilma et contre Levy revient à dire que l’on est pour les Rolling Stones mais sans Mick Jagger) répond aux intérêts du capital mais heurte les intérêts des capitalistes. Explications : s’exprime ici, une fois de plus, la vieille contradiction propre à la société bourgeoise entre l’intérêt général et les intérêts particuliers.

Le capital a besoin de brûler des forces productives, de réduire la production et la consommation, de dévaster les marchés, détruisant le pouvoir d’achat de la monnaie, d’écraser les salaires et de licencier en masse pour recréer les conditions favorables à la reprise des investissements avec des taux acceptables de profit. Cependant, si tout le monde s’accordent sur le remède, on ne peut pas attendre de chaque capitaliste en particulier qu’il soit prêt à se sacrifier pour le bien commun de l’accumulation en brûlant ses propres forces productives et en détruisant sa propre capacité de production.

Comme l’a expliqué Mandel, suivant les pistes de Marx, voilà exactement pourquoi le déclenchement de la crise est catastrophique parce que, paradoxalement, au moment qui précède, les capitalistes au lieu de ralentir, intensifient la production.

Sans d’autres interventions, une crise de cette nature mettrait en péril l’ordre du capital, comme cela est arrivé au début du XXe siècle avec les deux guerres mondiales et dans leur contexte, le déclenchement de la révolution socialiste en Russie, en Chine et ensuite dans d’autres parties du globe. Il revient à l’État à nouveau de garantir l’ordre bourgeois. Il est fondamental de transformer la crise de l’économie capitaliste en une crise de toute la société, exigeant des sacrifices partagés pour revenir à une croissance mythique qui profitera à tous.

Cependant, les différentes factions qui composent le bloc du pouvoir (dans ce moment historique, les secteurs qui composent le grand capital monopoliste), comme il est naturel de le supposer, ne s’entendent pas toujours sur la façon de gérer la crise, cherchant, selon leur proximité avec le gouvernement, à exempter leurs industries, à assurer leurs investissements et, si possible, à écraser leurs concurrents. Le seul consensus dans le bloc au pouvoir est de faire retomber le plus grand poids de la crise sur la classe ouvrière, mais même là, il y a des problèmes, parce que la survie politique de l’une ou l’autre des factions bourgeoises suppose qu’elle ne soit pas identifiée aux mesures draconiennes imposées contre toute la population pour sauver le capital.

À l’heure actuelle, la conjoncture politique peut devenir confuse pour un observateur non averti à cause des conflits internes à la bourgeoisie monopoliste et à ses expressions politiques, des luttes entre fractions profitant de la crise pour régler des comptes contre l’arrangement antérieur des forces politiques, pour occuper une place centrale dans l’administration de l’Etat bourgeois et son gouvernement.

Les signes extérieurs apparaissent renversés. Historiquement, nous avons assisté sur notre continent à la lutte entre conservateurs et libéraux. Mais les libéraux au gouvernement agissent comme les conservateurs et les conservateurs dans l’opposition se présentent comme des libéraux. Ils mettent le fardeau de la crise à la charge du bloc politique au gouvernement pour mieux prendre sa place et bénéficier du retour du cycle de croissance des taux de profit obtenu grâce au massacre des salaires et de l’emploi, à la destruction des forces productives et de la capacité de consommation.

Le PT [Parti des travailleurs de Rousseff et Lulla, NdT] a bénéficié de ce cycle, du discrédit de la coalition PSDB/DEM/PMDB à cause de la crise. Il a accédé au statut de parti de gouvernement, construit un nouveau bloc d’alliances pour un nouveau gouvernement PT / PC do B / PSB … et, bien sûr, PMDB [Le PCdoB, Parti communiste du Brésil, d’origine maoïste n’est pas à confondre avec le PCB, NdT]. Maintenant, avec l’émergence d’une nouvelle crise et ses conséquences, l’opposition tente de renverser le jeu, attirant le PMDB pour former un nouveau bloc pour une alternance pour assurer la bonne continuité de l’accumulation du capital et de ses cycles.

Le fait est que, dans ce contexte, la crise économique s’exprime également par une crise politique qui peut aboutir à un changement de coalition au pouvoir au gouvernement. De la même façon, les différents segments du grand capital monopolistique (industriel, agricole, financier, exportateur, commerçant, etc.) qui se sont accommodés du bloc au pouvoir sont maintenant à la recherche d’une alternative. En fait, ils misent sur les deux tableaux et soutiendront celui qui gagnera le concours.

Quelque chose d’important manque dans ce scénario et cette absence est cruciale pour les travailleurs, actuellement dans l’impasse politique. La transformation du PT et son choix d’un gouvernement de collaboration de classe ont désarmé de la classe ouvrière avant un scénario prévisible d’intensification de la lutte des classes. La position en retrait et défensive d’un « réformisme de faible intensité», comme le dit Andrew Singer (je crois que ça n’a jamais même été ça), a placé le cœur du gouvernement sous la dépendance économique du mythe de la croissance « soutenable » et en a fait politiquement l’otage de l’alliance avec PMDB.

L’engagement zélé à mettre en œuvre l’ajustement « nécessaire » pour assurer la continuité de l’accumulation capitaliste, posé comme condition préalable au bon développement du programme de gouvernement du PT, a fourni au bloc d’opposition l’ingrédient dont il a besoin: un gouvernement qui se présente comme « de gauche » opère lui-même un ajustement brutal contre les travailleurs pour sauver les profits des grands monopoles.

La crise crée ainsi deux dividendes pour le bloc de l’opposition conservatrice. La situation économique, la baisse de la consommation avec la dette, le chômage, l’inflation et l’érosion des salaires, le démantèlement des politiques publiques et semi-publiques d’aide aux pauvres pour accès à certains biens et services essentiels (tels que l’éducation et la santé), tout cela génère un climat étayant la thèse du manque de contrôle, couronnée par des accusations de corruption. Un scénario dans lequel une opération politique (pas au sommet du pouvoir pour le moment, mais à sa base sociale) devient possible: éloignant certains segments intermédiaires du gouvernement et les gagnant à l’opposition.

Le second dividende est pour nous le plus grave et le plus dangereux. C’est l’engagement du gouvernement pour sauver le capital en attaquant les travailleurs: s’éloignant de sa propre base sociale issue de la gauche et la plaçant sous l’influence du discours politique de droite. Une manipulation efficace identifiant le « pétisme » [de PT] avec le « communisme », permet au bloc d’opposition d’attaquer la coalition actuellement au gouvernement de l’Etat bourgeois, non pour ce qu’elle fait réellement (parce que dans ce domaine il y a accord sur les volontés de l’ordre bourgeois) mais sur des préjugés contre la gauche.

Le moralisme de la croisade contre la corruption sert ainsi autant à obtenir un soutien de la classe moyenne qu’à attaquer les bases de la classe ouvrière en offrant l’explication de la corruption comme écran de fumée pour cacher la dynamique de l’exploitation capitaliste.

LA CRISE MANQUANTE

Malgré le caractère dramatique de la crise (en partie gonflé par l’intérêt de l’opposition conservatrice), l’ordre est garanti pour l’heure. Soit par le bloc qui tente de se maintenir au pouvoir, soit par l’alternance possible avec une coalition des forces bourgeoises les plus conservatrices.

Cela montre que l’Etat bourgeois n’a pas été touché par la crise, ou, en d’autres termes, que la crise politique se limite à un affrontement sur les conditions et la forme de l’ordre bourgeois.

La classe ouvrière, vaincue et divisée, réagit comme elle peut. Elle refuse les garanties données aux entreprises contre les travailleurs, fait grève (souvent), cherche à maintenir en vie les mouvements sociaux qui luttent pour leurs revendications spécifiques (la terre, la défense de la santé publique, la défense de l’université publique et de l’éducation, contre les expropriations en ville, contre les violences policières, etc.). Cependant, ce n’est pas une expression politique susceptible de transformer la crise politique en crise de l’Etat bourgeois.

Il est commun d’accuser la gauche et son incapacité chronique à s’unir. Mais ceci est une autre perversité de la crise actuelle. Le gros problème de l’unité à gauche (une nécessité urgente) est qu’une partie considérable est empêtrée dans le paradoxe qui alimente la crise politique de la classe ouvrière. Ce paradoxe est la nécessité pour ces segments de la gauche de récupérer le soutien de leurs bases sociales (et c’est une bonne nouvelle parce qu’ils critiquent la ligne générale de la politique économique et les attaques contre les travailleurs) tout en soutenant le gouvernement qui a décidé d’attaquer les travailleurs pour préserver une politique de droite.

Le paradoxe de ce gouvernement est qu’il a besoin de mobiliser pour se défendre des catégories qui sont brutalement touchées par sa politique. Il réclame le soutien des travailleurs, mais impose un jour de réduction de salaire, des réductions de salaires et d’avantages aux fonctionnaires, et les traite comme des ennemis lors d’une grève dans laquelle ils voulaient simplement retrouver les acquis et des droits perdus. Il réclame le soutien des professeurs d’université mais démantèle l’université publique tout en transférant des milliers de réaux vers les universités privées. Il réclame le soutien de ceux qui luttent pour la terre mais dirigent des milliards de dollars vers l’agro-industrie et enterre la réforme agraire.

Une véritable unification de ces parties de la classe ouvrière, son entrée en scène, déterminée à défendre ses propres exigences, reconfigurerait les blocs politiques et mettrait au premier plan la lutte des classes entre les intérêts des travailleurs et ceux des classes dirigeantes (il semble que vont dans cette direction les restes de la gauche au sein du PT et une partie importante des mouvements sociaux). Cela déclencherait une crise de l’Etat et mettrait en danger l’ordre bourgeois, mettant la perspective de rupture au premier plan, enterrant à la fois les possibilités de recomposition de la coalition gouvernementale actuelle avec des forces du système et la possibilité d’une continuité avec une victoire électorale en 2018.

Nous ne pensons pas que le noyau dirigeant du PT a quelque intérêt à aller dans cette direction. Il parie sur une reprise de l’économie pour normaliser les choses, ramener le PMBD dans le giron gouvernemental, estimant que, dans ce scénario, le vieux chantage au risque (réel, substantiel et aujourd’hui très probable) de l’arrivée au pouvoir d’une coalition plus conservatrice est le passeport pour la continuité du cycle PT. La gauche réformiste du PT et les mouvements sociaux n’ont pas la force de renverser cette tendance au sein du PT et ne peuvent pas l’abandonner. La gauche révolutionnaire résiste aux côtés des travailleurs, mais est loin, même unie, de représenter une alternative politique à court terme. Là est le paradoxe.

Parfois, les analyses politiques conduisent beaucoup à croire que ce qui manque c’est la volonté politique, qu’avec une bonne réunion et une volonté de dialogue, tout serait résolu. Malheureusement, il n’en est pas ainsi. Ce qui manque est une sortie de la crise économique qui déborde les frontières de la crise politique et se transforme en une crise de l’Etat bourgeois.* Ceci est la bonne (et la mauvaise) nouvelle … Il se pourrait qu’elle ne fasse plus défaut bien longtemps.

* « A vrai dire, ces hésitations, ces incertitudes mêmes sont un symptôme de la crise de la société bourgeoise. Le prolétariat, en tant que produit du capitalisme, est nécessairement soumis aux formes d’existence de son producteur. Ces formes d’existence, ce sont l’inhumanité, la réification. Le prolétariat est bien, par sa seule existence, la critique, la négation de ces formes d’existence. Mais jusqu’à ce que la crise objective du capitalisme soit achevée, jusqu’à ce que le prolétariat lui-même soit parvenu à dévoiler complètement cette crise, ayant atteint la vraie conscience de classe, il est la simple critique de la réification et, en tant que tel, il ne s’élève que négativement au-dessus de ce qu’il nie. Quand la critique ne dépasse pas la simple négation d’une partie, quand, au moins, elle ne tend pas vers la totalité, elle ne peut pas dépasser ce qu’elle nie, comme le montre, par exemple, le caractère petit-bourgeois de la plupart des syndicalistes. » (György Lukács : Histoire et conscience de classe, 1922)

Mauro Iasi est professeur adjoint à l’École de service social de l’UFRJ, chercheur au NEPEM (Centre d’études et de recherches marxistes) et membre du Comité central du PCB.

« Baisser le coût du capital »: nouveau slogan trompeur du réformisme?

Nous reproduisons ci-dessous l’introduction à une formation économique organisée par « Cahiers communistes » à l’été 2014 pour relativiser et contredire le slogan « Baisser le coût du capital ». Nous la devons à notre camarade AB. La discussion sera retraduite par un compte-rendu prochain.

La baisse du « coût du capital » est devenue un argument omniprésent dans les expressions du PCF et de la CGT. Opposer « coût du capital » à « coût du travail » est séduisant à « gauche ». Cela semble opposer capital et travail. Mais, en réalité, on se place dans les deux cas du côté du capitaliste qui cherche à minimiser ses coûts, dans un dilemme étranger au prolétaire. Et cette opposition, loin de renforcer des positions de rupture sur lesquelles gagner des avantages immédiats, nourrit l’argumentaire réformiste sinon patronal.

Que le profit capitaliste soit extorqué sous forme de dividende, d’intérêt financier, ou de plus-value boursière n’importe guère pour le salarié, dans son intérêt de classe.

Depuis l’aurore du capitalisme, les patrons tentent d’embrigader leurs salariés dans leurs intérêts, notamment en leur faisant miroiter une part de leurs propres profits. Des politiciens bien intentionnés reprennent en cœur la nécessité de « mieux répartir » les richesses produites par le travail. Une des bases de ce raisonnement trompeur serait l’unité d’intérêt des patrons et cadres dirigeants des entreprises, « productifs », avec leurs salariés et subordonnés contre une abstraite « finance » voire apatride. Ces patrons prétendent ne pas en faire partie !  

Sarkozy est allé loin dans cette propagande, promettant une distribution des richesses, à un tiers pour les capitalistes, un tiers pour les patrons et prétendument un tiers pour les salariés. Aujourd’hui des individualités de « gauche » comme Montebourg, mais aussi des analyses viciées comme celle qui amène à identifier le « coût du capital » en dehors de l’exploitation capitaliste, en reprennent plus ou moins consciemment l’idéologie.

Résolument dans le camp de la classe ouvrière, il nous semble hasardeux de remettre en cause, même au nom de la mondialisation, la théorie du « Salaire, prix et profit » de K. Marx.

Pour ouvrir le débat dans le PCF et dans la CGT, nous mettons en ligne cette introduction. D’autres réflexions suivront. En accord ou en contestation de nos textes, exprimez-vous !     

Baisser le coût du capital ou lutter contre l’exploitation capitaliste ?

Depuis maintenant un an la CGT a lancé une grande campagne nationale sur la thématique du « coût du capital », campagne reprise par la direction du PCF. Il s’agit d’une réponse directe à la thématique du « coût du travail », largement utilisée par le MEDEF pour justifier tous les reculs sociaux. Cette campagne porte l’idée que ce n’est pas le coût du travail qui est trop élevé mais celui du capital, qu’il faut donc baisser par divers leviers pour retrouver une certaine efficacité économique. La large publicité faite à ces idées (tracts, affiches, revues, meetings…), couplée à une apparente radicalité (pensons au terme de « capital » présent dans le titre), nécessite une interrogation de notre part sur cette campagne pour savoir ce qu’il en retourne réellement. Est-ce une reprise de la théorie marxiste dans le but de dépasser l’exploitation capitaliste, ou n’est-ce que la reprise de vieilles lunes réformistes ? Les lignes suivantes entendent éclairer quelques points de cette campagne afin de nous donner des arguments nécessaires à notre travail militant quotidien, aussi bien dans le Parti que dans le syndicat.

Pour juger du bien-fondé de cette campagne, encore faut-il savoir à quoi nous devons nous référer en tant que communistes. Contrairement à nos directions syndicales et politiques, nous affirmons et réaffirmons que nos références doivent être celles du marxisme-léninisme, seule idéologie capable d’abattre le capitalisme par l’organisation des masses. Il faut donc interroger cette campagne en lien avec nos références théoriques pour pouvoir conclure sur son aspect révolutionnaire ou réformiste. C’est précisément pour cela que nous proposons de débuter par une présentation de la théorie marxiste de l’exploitation qui doit rester le cœur de notre réflexion économique sur le salariat et le profit capitaliste. A la suite de cela, nous passerons à une étude détaillée de cette campagne sur le « coût du capital » pour en comprendre les tenants et les aboutissants. Les possibles écarts, voire divergences, entre notre théorie marxiste-léniniste et cette campagne, apparaitront alors comme autant d’arguments nous permettant de lutter dans nos sections et nos lieux de travail contre les illusions réformistes, et pour le renforcement du parti et du syndicat sur des bases de classe.

I/La théorie de l’exploitation chez Marx

Comme dit précédemment,  nous affirmons que notre analyse actuelle économique du salariat et du profit capitaliste doit s’appuyer sur la théorie marxiste de l’exploitation, pour au moins deux raisons. Tout d’abord parce que le capitalisme est un mode de production qui évolue mais dont les principes élémentaires ne changent pas. Ensuite parce que la théorie marxiste de l’exploitation est seule à porter la possibilité du dépassement du capitalisme, de la fin du salariat, et de la destruction de la société de classe. Ce n’est donc pas par orthodoxie ou par nostalgie que nous faisons références à ces théories, mais par pur réalisme si l’objectif de nos organisations politiques et syndicales reste le dépassement du capitalisme. Présentons donc en quelques mots l’analyse que fait Marx de l’exploitation capitaliste.

Marx propose une analyse scientifique du capitalisme pour tenter d’en comprendre le fonctionnement, et une des clés de voute de son raisonnement est précisément la théorie de l’exploitation. L’histoire du capitalisme débute par le processus d’accumulation primitive du capital qui permet à une classe en formation – la bourgeoisie – d’accumuler massivement du capital. Ce capital va alors permettre à cette classe d’acquérir les moyens de production au moment même où s’effectue ce qu’Engels appelle la « révolution industrielle ». Le capitalisme naissant apparaît donc comme un mode de production marqué par la division du processus productif entre d’un côté la bourgeoisie (minorité détentrice des moyens de production) et de l’autre le prolétariat (majorité ne détenant que sa force de travail). La seconde grande transformation amenée par le capitalisme réside dans la notion de marchandise mise en avant par Marx. Une marchandise n’est pas un bien comme les autres, c’est un bien qui est exclusivement produit pour être vendu sur le marché. En d’autres termes, dans le capitalisme on ne produit plus des biens pour leur valeur d’usage, c’est-à-dire pour ce qu’ils vont nous servir, mais pour leur valeur d’échange, c’est-à-dire pour leur valeur sur le marché. Prenons un exemple. Dans un système économique pré-capitaliste, un  paysan allait produire des céréales avant tout pour sa consommation personnelle et ne vendrait que le surplus lors des bonnes récoltes, mais cette vente n’était pas l’objectif premier de la production. Désormais, dans le capitalisme, le bourgeois détenteur des moyens de production, met en avant un capital pour réaliser une production qui est exclusivement destinée à être vendue sur le marché. Cette distinction entre bien et marchandise n’est pas que sémantique, est apparaît comme central pour comprendre le fonctionnement de l’économie capitaliste.

Partant de ces quelques points, Marx nous propose une modélisation du fonctionnement économique d’un système pré-capitaliste et d’un système capitaliste. Dans un système pré-capitaliste, Marx modèle le système économique par le schéma M – A – M’. Je possède une marchandise M (par exemple une table) que je ne désire plus posséder, je la vends donc et j’en retire une somme A d’argent, grâce à laquelle j’achète une nouvelle marchandise M’ (par exemple quatre chaises). Ce schéma représente le fonctionnement modélisé d’un système économique pré-capitaliste. Avec le développement du capitalisme, les choses sont inversées et nous passons à un schéma A – M – A’. Désormais, les moyens de production sont accaparés par la bourgeoisie, et l’objectif est la production de marchandises destinées au marché, ce qui explique l’inversement du schéma. Ainsi, un capitaliste va posséder un capital A, qu’il va utiliser pour produire une quantité M de marchandise, qui sera vendue sur le marché, amenant un nouveau capital A’. L’objectif du capitaliste est alors d’obtenir en fin de cycle économique un capital A’ supérieur au capital A initial, cela signifiera qu’il aura alors réalisé un profit, objectif ultime de tout schéma économique capitaliste. Toute la question que nous devons alors nous poser est de savoir comment, par ce cycle, le capitaliste a réussi à réaliser un profit ? Pourquoi la somme initiale A est devenue une somme finale A’ plus importante ? Plusieurs solutions pourraient être envisagées. Envisageons-en trois :
-de manière magique l’argent, lors de la production, aurait créé de l’argent.
-un surplus a été obtenu lors de l’échange, ce qui signifierait que toute l’économie serait fondée sur l’arnaque d’une des deux parties prenant part à l’échange.
-ou bien il existerait quelque chose qui aurait la propriété de rapporter au capitaliste plus que son coût, et cette marchandise n’est autre que le travail ! C’est la théorie de l’exploitation.

Lorsque les capitalistes engagent une somme A de capitaux pour la production de marchandises, ils achètent différentes choses. On peut évoquer des bâtiments, des machines, des consommations intermédiaires ou encore du travail. Par exemple, un capitaliste qui produirait des chemises, devra acheter un bâtiment accueillant l’usine, des machines de production, le tissu et le fil nécessaire à la confection des habits et enfin du travail. Ainsi, pour que le capitaliste fasse du profit, c’est-à-dire que le capital retiré après la vente des marchandises (ici les chemises) soit supérieur aux capitaux initialement avancés (A’>A), il faut qu’une des marchandises achetées pour la production ait la propriété de rapporter plus au capitaliste qu’elle ne lui coûte. Cette marchandise ne peut êtrele bâtiment, ni les machines, ni même les différentes consommations intermédiaires, dont la valeur se transmet dans le produit fini, mais n’augmente pas. Il faudrait en effet quelque chose de magique pour que par exemple un mètre de tissu sur une chemise valle plus cher qu’un même mètre de tissu sur un simple rouleau. Bref, la seule marchandise achetée par le capitaliste qui lui rapporte plus qu’elle ne lui coute, c’est bel et bien le travail.

 La question qui doit désormais nous intéresser est de savoir pourquoi il peut exister une différence entre ce que coûte le travail au capitaliste, et ce qu’il lui rapporte ? Chez Marx, le travail, ou plutôt la force de travail, est une marchandise comme les autres qui est donc rémunérée (par le salaire) par le temps de travail nécessaire à la production des biens de consommation permettant la reproduction de la force de travail. Ainsi, l’ouvrier n’est pas rémunéré à la valeur de ce qu’il va produire mais à la valeur de ce qui est nécessaire pour la reproduction de sa force de travail. Le salaire va donc par exemple être la somme permettant de couvrir les dépenses en nourriture, en logement, en habillement, ou encore en quelques biens culturels etc. Il peut donc exister un décalage entre la richesse produite par le travailleur et sa rémunération, et c’est là qu’arrive la théorie de l’exploitation. Prenons l’exemple d’un ouvrier qui travaille 8h par jour. Durant ces 8h de travail il produit des richesses supérieures à ce qui lui est nécessaire pour uniquement reproduire sa force de travail. Par exemple, au bout de seulement 6h de travail, l’ouvrier aura produit une somme de richesses égale à ce qui lui est nécessaire pour couvrir le coût de la reproduction de sa force de travail (logement, nourriture, habillement…). Cela lui sera alors reversé par le capitaliste sous la forme d’un salaire ; on parle du « travail nécessaire ». Mais au bout de ces 6h, l’ouvrier ne peut pas rentrer chez lui, il doit travailler encore deux heures pour terminer sa journée de travail. Les deux heures restantes seront alors travaillées par l’ouvrier de manière gratuite en quelque sorte, on parle alors du « surproduit » ou « surtravail ». C’est une partie du travail qui est directement capté par les capitalistes qui sont en position de force puisqu’ils détiennent les moyens de production. Et d’ailleurs la grande force du capitalisme c’est d’englober tout cela dans le salariat pour que ce soit invisible, système différent par exemple du mode de production féodale où le servage comprenait des temps de travail gratuit séparés, comme les corvées. Grâce à ce décalage entre ce coûte la force de travail et ce qu’elle rapporte, le capitaliste peut réaliser du profit. C’est cela qui permet d’expliquer pourquoi A’ est supérieur à A.

            La théorie de l’exploitation de Marx met donc en évidence le fait que dans le système capitaliste, une partie des richesses créées par les travailleurs est directement captée par les capitalistes qui ne rémunèrent pas les travailleurs à ce qu’ils produisent, mais à ce qui est nécessaire pour la reproduction de leur force de travail. C’est précisément cela la plus-value, source du profit capitaliste. Bref, le profit capitaliste est la part des richesses crées par les travailleurs qui ne leur est pas redonnées dans le salaire. Pour pousser la réflexion, Marx propose un calcul du taux d’exploitation en rapportant la somme de la plus-value à ce qu’il appelle le « capital variable », c’est-à-dire le capital utilisé par le bourgeois pour acheter la force de travail (taux d’exploitation = PL/V). Cependant, ce qui intéresse vraiment un capitaliste ce n’est pas le taux d’exploitation en lui-même, qui reste plutôt abstrait, mais le taux de profit. C’est cette fois l’exploitation rapportée non plus au seul capital variable avancé (le coût du travail), mais rapporté aux capitaux totaux avancés, c’est-à-dire au capital variable (travail) et au capital constant (machines, bâtiments…). Bref, le taux de profit c’est le rapport entre la plus-value (issue de l’exploitation) et le capital total investi, c’est ce que le capitaliste gagne lors de chaque production,  et cela est issu de l’exploitation des travailleurs.

Nous venons ici de tracer les grandes lignes de la théorie économique de l’exploitation présente chez Marx, théorie qui nous permet de comprendre pourquoi, dans un système capitaliste, les détenteurs des moyens de production réussissent à réaliser des profits. Le rôle d’une organisation communiste (politique ou syndicale) est alors de lutter, par des moyens théoriques et pratiques, contre l’exploitation capitaliste. Par cela, nous pourrons préparer le terrain pour une société sans classes et débarrassée de toute exploitation. En relation avec cette théorie, interrogeons-nous désormais sur les objectifs de la campagne « cout du capital » menée par la CGT et le Front de Gauche. Est-ce une campagne de lutte contre l’exploitation capitaliste, ou bien un nouveau pas dans le réformisme ?

II/La campagne « coût du capital »

            1/Présentation générale de la campagne

Depuis maintenant un peu plus d’un an, la CGT, puis le PCF et même la fameuse « aile gauche » du PS, expliquent que le problème de nos économies serait un coût du capital trop élevé qui plomberait alors la compétitivité des entreprises nationales. A l’origine de tout cela nous avons une étude commandée par la CGT à un centre de recherche en économie à Lille sur la question du coût du capital. Ce laboratoire, le CLERSE (composés d’économistes atterrés, ou atterrants c’est selon…) publie alors un rapport en janvier 2013 avec l’idée que le problème de notre économie c’est le coût du capital qui est trop élevé. Une grande publicité va alors être faite à cette idée, et va ainsi devenir une campagne de la CGT, reprise ensuite par le PCF. On peut par exemple citer un numéro entier d’Economie et Politique, de nombre articles des Boccara, des pages entières de l’Humanité, de la NVO… Sur le site du PCF on trouve même une page consacrée à cela, dont une explique :

« Vous l’entendez à longueur de journée, en France, le travail coûterait trop cher et la compétitivité des entreprises serait plombée par les charges sociales, c’est à dire les cotisations qui financent la protection sociale. […] Pourtant, ce qui pèse sur l’efficacité des entreprises, ce qui pèse sur notre économie, c’est le coût du capital, pas le travail. Un tabou que le Parti communiste français entend lever en menant une campagne vérité sur le véritable coût du capital dans ce pays. »

Bref, notre parti entend lever un tabou pour améliorer la compétitivité de nos entreprises nationales ! Vaste programme !

            2/Analyse économique de cette campagne

Plongeons désormais dans les détails de ces recherches économiques afin de comprendre les arguments principaux de cette campagne. L’étude menée par le CLERSE part du point de départ qu’il y aurait un coût du capital dit « économique » et un coût du capital dit « financier » :
-Le coût économique désigne l’investissement en capital productif. C’est tout ce que l’entreprise va dépenser pour augmenter le stock de capital fixe (par exemple acheter de nouvelles machines) ou remplacer le capital fixe usé (on va remplacer de vieilles machines par des neuves). En comptabilité nationale on mesure cela par la FBCF.
-Le coût financier  désigne quant à lui ce que les entreprise vont devoir verser aux apporteurs de capitaux. On trouve ici deux grandes formes, d’abord une rémunération sous forme de dividendes pour les actionnaires, et une rémunération sous forme d’intérêts pour les obligations ou les prêts. Bref, le coût financier c’est tout ce que l’entreprise va payer aux banques pour les prêts, en dividendes à leurs actionnaires s’ils en ont et en intérêts pour rémunérer les obligations s’ils en ont là encore. C’est tout ce qui est financier et qui ne sert pas directement à produire.

A partir de là, les économistes du CLERSE retranchent le coût économique du coût total du capital, pour arriver à une idée de « surcoût du capital » Cela peut se résumer par la formule :

Bref, le coût financier apparaît comme un surcoût du capital, un coût qui vient alourdir artificiellement le coût global du capital, sans aucune utilité. Laurent Cordonnier, un économiste attéré, membre du CLERSE dit par exemple que le coût financier « ne correspond à aucun service économique rendu, que ce soit aux entreprises elles-mêmes ou à la société dans son entier ». A l’inverse, le coût économique du capital est le coût légitime, qui apporte quelque chose à la société, et ce coût pourrait servir à la mesure du « vrai » coût du capital. Bref, le point de départ c’est de dire que le capital a un coût économique et financier, et que le coût financier, s’il est positif, entraîne un surcoût pour le capital, qui est inutile, illégitime et néfaste pour l’économie.

Il apparaît nécessaire de s’arrêter d’ores et déjà sur ce postulat de départ de l’enquête. En effet, nous sommes ici en plein dans les illusions portées par la « gauche de la gauche » ou par le Front de Gauche, sur la finance. Selon ces sociaux-démocrates, il serait possible de dissocier finance et économie capitaliste, avec l’idée que la finance est un ennemi, un problème pour l’économie, et que débarrasser de cette excroissance, l’économie capitaliste serait un mode de production vertueux. On peut ici penser à Mélenchon, et plus largement aux divers réformistes du Front de Gauche, pour qui le combat à mener est contre la finance, façon détourner d’avouer leur inféodation au système capitaliste qu’ils ne remettent jamais en cause. On trouve bien là une marque de leur opposition frontale à notre idéologie marxiste-léniniste. Si on relit par exemple Lénine dans Impérialisme stade suprême du capitalisme, on comprend en quoi c’est une aberration complète de dissocier finance et production dans un système capitaliste développé. Aucune entreprise capitaliste ne peut exister sans système financier, ou alors il faudrait imaginer une économie capitaliste où toute entreprise dispose de ses capitaux propres. Le capitalisme c’est la finance et la finance c’est le capitalisme, ces deux éléments sont indissociables. On retrouve donc au cœur de cette campagne le mot d’ordre réformiste de lutte contre la finance avec l’idée que c’est une verrue du capitalisme. Mais même d’un point de vue purement pragmatique il est illusoire de séparer coût économique et coût financier du capital, lorsqu’on sait que toute entreprise, pour pouvoir investir dans la production, doit au préalable recourir au système financier pour avoir les fonds nécessaires. Par exemple, une entreprise automobile qui voudrait acheter une nouvelle chaine pour augmenter sa production, va au préalable avoir recours à des emprunts ou à l’émission de titres. Coût financier et coût économique ne s’oppose donc pas, puisqu’au contraire l’un permet l’autre. On peut donc même dire que le coût financier est légitime et utile dans le cadre du fonctionnement du capitalisme puisqu’il permet derrière d’avoir un investissement productif. Bref, coût financier et coût économique du capital ne peuvent être dissociés, car l’un permet l’autre et dire le contraire n’est rien d’autre que semer les illusions sur un fonctionnement bon et moral du capitalisme, et un fonctionnement immoral (la critique catholique de l’usure…) de ce même mode de production.

Résumons-nous. Les bases de cette campagne partent de la dissociation entre coût financier et coût économique du capital, en disant que le coût financier est un coût illégitime entraînant un surcoût du capital, freinant alors la compétitivité des entreprises. Du point de vue de la théorie marxiste-léniniste c’est une aberration de  dissocier cela. Mais ça l’est aussi d’un point de vue purement pragmatique quand on regarde le fonctionnement de l’économie capitaliste. Les économistes à l’origine de cette étude n’ont donc pas pu passer totalement à côté de cela, et ils vont utiliser un petit subterfuge pour tenter de dépasser cette erreur.

En effet, ils vont proposer une nouvelle décomposition. A l’intérieur du seul coût financier du capital, on trouve désormais une frange légitime et une frange illégitime, permettant donc de toujours appuyer l’idée d’un surcoût du capital. Ils vont alors énoncer deux critères pour juger si le coût financier est légitime ou illégitime. Le coût financier est dit légitime, dès lors qu’il permet de couvrir le coût d’administration de l’activité financière et permet de rémunérer le « risque entrepreneurial » :
-Le coût d’administration : c’est en, pour le dire rapidement, les coûts de fonctionnement des marchés financiers. Par cela, on fait au final l’apologie des marchés financiers qui sont là pour permettre la liquidité des actifs, élément absolument essentiel au capitalisme pour que les capitaux puissent circuler et ainsi prétendre faire les meilleurs profits.
-Le risque entrepreneurial : tout détenteur de capital, lorsqu’il prête ce capital, prend le risque de ne pas être remboursé. L’intérêt est donc là aussi pour couvrir ce risque.

A partir de là, les chercheurs du CLERSE et la CGT vont avoir comme envie,  pour vraiment se justifier, de mettre en place un indicateur qui permettrait de dire : « voilà à tel moment, dans notre pays, le surcoût du capital est de tant, supprimons-le pour retrouver la compétitivité ». Si on se résume une nouvelle fois, le coût du capital est composé d’un coût économique et d’un coût financier, le coût financier étant lui-même composé d’un coût légitime (ce qui couvre le coût d’administration et le risque) et d’un coût illégitime. Cette partie du coût financier dite illégitime est le surcoût du capital, qu’il faudrait donc pouvoir mesurer. Or, une telle mesure est totalement impossible, pourquoi ? Tout simplement parce que la première distinction entre coût économique et financier est difficilement quantifiable, mais alors la seconde entre coût financier légitime et coût financier illégitime, est totalement utopique. Il faudrait poser de manière totalement arbitraire, une valeur à partir de laquelle la rémunération du capital financier ne serait plus légitime ; 5% ? 8% ? 10% ? 20% ? Les grands penseurs de cette étude n’ont pas encore trouvé de solution, preuve de la faiblesse théorique de leurs travaux.

Alors outre toutes ces approximations économiques et autres illusions, quel est l’objectif final de cette étude et de la campagne CGT/PCF ? L’idée c’est d’abaisser par divers moyens le coût du capital et ainsi d’améliorer la compétitivité des entreprises et par cela de relancer l’économie. Pour ce faire, on pourrait d’abord avoir une posture morale en demandant aux actionnaires d’avoir des rémunérations acceptables. Et puis à côté de cela on aurait un levier institutionnel qui serait la baisse des taux d’intérêts. Tout cela avec l’idée que si on abaissait alors le coût du capital, les entreprises pourraient investir ce qui serait bon pour l’économie. Nous arrivons alors au point final de cette étude et de cette campagne ; il faut tout faire pour faciliter l’investissement des entreprises. C’est alors la stupéfaction totale, car d’où nous vient cette idée ? Du keynésianisme ! L’étude du CLERSE, reprise par la CGT et le PCF ne repose donc sur rien de marxiste, mais sur du pur keynésianisme, théorie bourgeoise par excellence. Il faudrait donc faire baisser le coût du capital en demandant par exemple aux actionnaires de se tempérer sur leurs dividendes. Nous ne sommes plus là dans une démarche marxiste-léniniste révolutionnaire, mais dans une posture chrétienne sur la nocivité de l’usure ; Saint Thomas d’Aquin est donc, semble-t-il, devenu l’une de nos références. Mais on pourrait aussi utiliser un levier institutionnel en réorientant la BCE pour abaisser le coût de l’investissement, on quitte donc les références religieuses, pour entrer de plein pieds dans la collaboration de classe. Référence religieuses, références keynésiennes, illusions sur l’Europe et les institutions bourgeoises, voilà ce que porte réellement cette campagne sur le « coût du capital ». Ce n’est donc en rien un instrument au service des travailleurs pour lutter contre l’exploitation capitaliste, mais une nouvelle reformulation du réformisme porté par les directions de nos organisations politiques et syndicales.

            3/Récapitulatif et argumentaire contre cette campagne

L’analyse de cette campagne est un peu technique, terminons donc par un résumé rapide des grandes lignes de cette campagne CGT/PCF pour ensuite énoncer quelques arguments qui doivent être les nôtres pour démonter les illusions ici semées. Le coût du capital pourrait donc se diviser entre un coût économique et un coût financier, coût financier lui-même divisé en coût financier légitime et coût financier illégitime. Ce coût financier illégitime représente alors un surcoût du capital qui est un frein à l’investissement des entreprises, et par cela un frein à leur compétitivité. Il faudrait donc pouvoir mesurer ce surcoût pour ensuite pouvoir le réduire ou le supprimer, améliorant ainsi l’investissement des entreprises et grâce à cela relançant l’économie. Pour réduire ce coût financier illégitime on pourrait par exemple avoir recourt à la morale (« messieurs les actionnaires veuillez baisser vos dividendes ») ou à des leviers institutionnels comme la baisse des taux d’intérêts (on retrouve la grande idée de réorientation de la BCE). Par tous ces éléments, le coût du capital serait moindre car débarrassé de son surcoût illégitime, l’investissement repartirait, ainsi que la croissance et l’emploi, bref on atteindrait un fonctionnement vertueux de l’économie capitaliste !

Voyons maintenant quelques arguments que nous avons à opposer à cela :
-D’une manière globale, est-ce le rôle d’une organisation communiste que de s’interroger sur le problème de compétitivité des entreprises, lieu de l’exploitation capitaliste ? Est-ce notre travail que de s’interroger sur les moyens de relancer l’économie capitaliste ?
-D’un point de vue théorique ensuite, cette enquête repose sur du keynésianisme, idéologie bourgeoise, et non sur le marxisme-léninisme qui doit être la théorie qui oriente nos recherches et nos débats en tant qu’organisation communiste. C’est pour cela que cette étude pointe l’importance de l’investissement pour la relance du capitalisme, ce qui une fois encore n’est pas notre souci. On peut aussi évoquer le très fort fond chrétien de tout cela, avec la critique de l’usure.
-Avec les travaux de Lénine, on doit remettre en cause un des fondements de cette étude, qui est la distinction fictive entre capital productif et capital financier. Cela s’inscrit dans une logique plus globale de la social-démocratie de critiquer l’aspect financier du capitalisme, façon aisée de défendre le capitalisme. Or finance et capitalisme sont indissociables, et nous ne devons pas lutter contre la finance, mais contre le capitalisme. Cette campagne participe donc de l’illusion de l’existence d’un capitalisme non financiarisé, plus moral…
-L’expression « coût du capital » pose problème, c’est une reprise de l’expression « coût du travail » du MEDEF. Par cela on justifie derrière l’expression de coût du travail.
-Enfin, et c’est probablement la plus grave des illusions portées par cette campagne, la théorie de l’exploitation de Marx que j’ai présentée au départ est totalement absente de ces recherches et de cette campagne. Pire encore, avec l’idée de la recherche d’un coût du capital juste, c’est à dire d’une juste rémunération du capital, on impose l’idée qu’au final il y aurait un taux d’exploitation acceptable. En effet, s’il y a un surcoût illégitime du capital, c’est que tout le reste est légitime. Or, tout profit capitaliste est issu de l’exploitation des travailleurs, ainsi si on suit la logique de cette campagne, jusqu’à un certain seuil il est légitime que les capitalistes exploitent les travailleurs. Par contre passé un certain seuil, ça ne devient plus moralement acceptable, et il existe un surcoût illégitime. En tant que communistes, nous ne sommes pas des comptables ou des curés qui fixons des seuils acceptables d’exploitation, mais nous luttons pour une société débarrassée de toute exploitation.

Conclusion

            Cette campagne lancée par la CGT et le PCF est donc dangereuse par son apparence radicale et par son mot d’ordre facilement utilisable. Pour autant, nous ne devons pas être dupes, car cette campagne est un nouveau pas franchi par la direction de nos organisations dans la liquidation de nos références marxistes-léninistes. Par les références utilisées, nous n’en sommes même plus au stade d’une trahison du marxisme, mais au stade d’une acceptation totale des références bourgeoises et réformistes. Analysons donc finement cette campagne pour mieux la démonter point à point dans nos sections ou nos lieux de travail.     Disons-le, une organisation communiste n’a pas pour objectif la relance de l’économie capitaliste, ni la recherche d’un taux de profit acceptable ! Notre but n’est pas d’amender à la marge le capitalisme et de le rendre moral. Notre objectif est clairement de supprimer l’exploitation capitaliste, et cela ne peut se faire que dans le cadre d’une société sans classe, le communisme !