Introduction et traduction : ML pour Vivelepcf, 30 juin 2014

Le congrès du PSUV, le Parti socialiste unifié du Venezuela, parti au pouvoir, va se tenir en juillet. La lettre ouverte de l’ancien ministre de la planification économique, Jorge Giordani, limogé le 19 juin par le président Nicola Maduro, pèsera fortement sur le les débats du congrès, dans un contexte politique de crise de la construction socialiste et de progrès des forces revanchardes, réactionnaires voire fascistes.

La crise et le blocage du projet socialiste « bolivarien » sont patents depuis plusieurs années, la maladie puis la mort en 2013 du président Chavez, suivie de l’élection de Maduro.

La baisse vertigineuse de la pauvreté, les progrès considérables de l’accès aux soins, à l’éducation, au logement demeurent. Mais le processus engagé de démocratie participative s’essouffle. L’insécurité ne recule pas, la corruption tendrait à s’étendre. Les objectifs de développement productif, hors secteur pétrolier, répondant aux besoins de la population et garantissant la souveraineté du pays ne sont pas atteints. Au contraire, on assiste à des pénuries de biens de première nécessité ou d’électricité, certes attisées par les opposants au régime mais réelles. L’inflation atteint des niveaux record.

Jorge Giordani dresse ce bilan très critique des évolutions depuis 2007 dans une lettre argumentée et circonstanciée. Il a été presque sans discontinuité ministre depuis la première élection de Chavez en 1999. Défini comme « marxiste » et « orthodoxe » par la presse, il a été notamment un des artisans de la politique de nationalisations, d’expropriation et de redistribution de millions d’hectares de terres et de contrôle strict des changes.

Dans son texte, il pointe durement le président Maduro accusé de manquer de volonté politique et de « leadership ». Il alerte sur la montée de contre-pouvoirs, notamment dans la société pétrolière PdVSA, sur les baisses de recettes anormales du Trésor public, sur l’absence de transparence dans les comptes publics. Il décrit la montée du clientélisme, du bureaucratisme et de la corruption. Il redoute que son limogeage signifie un retour à des mécanismes financiers capitalistes.

Au PSUV, certains déplorent les propos de Giordani, craignent que la réaction les récupère et appellent à faire bloc derrière le président Maduro.

D’autres – et c’est le cas aussi du Parti communiste vénézuélien -, sans partager toutes les analyses de Giordani, y voient l’occasion d’ouvrir un débat national devant le peuple pour reprendre la voie de la construction du socialisme.

Pour certains, ce débat serait salutaire. Pour nous communistes français, très attentifs depuis des années, solidaires, parfois enthousiasmés par la « révolution bolivarienne », il est très instructif.

 

Ci-dessous le compte-rendu de la conférence de presse tenue le 23 juin par Oscar Figuera, secrétaire général du PCV, publié dans le journal du Parti « Tribuna popular ».

La lettre ouverte de Giordani est l’occasion d’ouvrir un débat nécessaire devant le peuple.

Oscar Figuera - secrétaire du Parti communiste du Venezuela

Oscar Figuera, secrétaire général PCV du Bureau politique du Parti communiste du Venezuela (PCV) a déclaré que le document publié par l’ancien ministre Jorge Giordani ces derniers jours doit être pris comme une contribution et une occasion d’ouvrir un débat national face au peuple vénézuélien, qui permettra, sur la base de la vérité scientifique, de clarifier la direction prise par le processus bolivarien, ses réussites, ses erreurs et les moyens de progresser dans la perspective du socialisme.
Oscar Figuera, secrétaire général du PCV, a donné ainsi sa position sur le document intitulé «Témoignage et responsabilité face à l’histoire», signé du professeur Jorge Giordani.
« Le Parti communiste du Venezuela ne se joint pas au chœur de ceux qui, unilatéralement et sans analyse, disqualifient les vues du professeur Giordani. C’est la première chose que nous avons à dire », a déclaré Figuera.
« Nous ne nous joignons pas non plus au chœur de ceux qui les prennent pour la vérité intégrale », ajoute le leader communiste.
Le PCV prend ce document comme une contribution nécessaire au débat national. «Nous considérons que c’est une occasion pour discuter de la situation politique, économique, sociale, des instruments du processus politique et social vénézuélien, que c’est une possibilité dont il faut se saisir au lieu de la disqualifier ».
La direction du « Coq rouge » [ surnom du PCV - NdT] a demandé que soient apportées des réponses aux différentes questions et aux faits soulevés par le document de l’ancien ministre, avant de le mettre en accusation.
Figuera a émis une forte critique du contenu du document du professeur Giordani, pointant l’absence d’autocritique de la part d’une figure transcendante des gouvernements (Chavez et Maduro) pendant les 15 années du processus bolivarien.
Un débat national devant le peuple vénézuélien.
Pour le PCV, on peut partager ou ne pas partager telle ou telle des nombreuses affirmations du document.  » A lire le texte du professeur Giordani, nous constatons que la plupart des idées présentées ont déjà été abordées par le Parti communiste au cours des dernières années, du vivant même du président Chavez « , a déclaré Figuera renvoyant à la lecture de Tribuna Popular, le journal du Comité central du Parti. « Vous y trouverez ce qui est notre point de vue sur l’économie, la direction collective, » a-t-il ajouté.
On retrouve dans la lettre, certains éléments qui rentrent dans la liste des propositions émises par le PCV au fil des ans :
- Une nouvelle politique économique, populaire, révolutionnaire.
- Une nouvelle politique du travail.
- La direction collective du processus révolutionnaire.
- Le développement des forces productives, demande faite au président Chavez et une des demandes principales faites à Nicolas Maduro quand le PCV a décidé de soutenir sa candidature (mars 2013).
- La participation et le contrôle par les travailleurs et le mouvement populaire des affaires gouvernementales dans tous les domaines.
«Nous tenons à affirmer, dans le débat d’aujourd’hui, la nécessité de développer les forces productives au Venezuela. Mais de quelle façon ? En laissant les mains libres au capital, pour exploiter les travailleurs et extorquer la plus-value ? Ou bien avec la participation des travailleurs dans le cadre d’un processus de contrôle social qui exige l’adoption de la loi spéciale sur les Conseils socialistes de travailleurs, qui reconnaisse le pouvoir politique de la classe ouvrière sur les lieux de travail ?  » a demandé Figuera.
« Voilà les termes du débat. C’est pourquoi nous disons que ce document du professeur Giordani est l’occasion de mettre en discussion un approfondissement du processus politique et social au Venezuela, qui nous permette de rassembler les forces pour avancer vers une transition et une perspective socialistes, une alternative au processus de conciliation et de capitulation devant le grand capital. Voilà les options que nous voulons mettre sur la table. Aujourd’hui, il est nécessaire d’en discuter ouvertement « .
Figuera ajoute: « Aujourd’hui est posée la nécessité que les dirigeants disent aux gens la vérité sur ce qui se passe, et, à partir de cette vérité, ouvrent le grand débat national nécessaire devant le pays pour corriger ce qui doit être corrigé « .
Le PCV a réaffirmé les déclarations et les propositions qu’il a élaborées, dont vous trouverez les détails dans la vidéo de la conférence de presse (lien).
Le PCV a notamment exprimé son inquiétude devant les réactions contre le gouvernement et d’autres milieux suite aux sorties et aux critiques du professeur Giordani : « quand la horde de l’opposition t’applaudit à tout rompre… » en référence au dirigeant communiste allemand, August Bebel, que la bourgeoisie avait applaudi avant un discours au Reichstag (Parlement allemand) au début du siècle dernier et à qui un camarade avait demandé: « Qu’as-tu dit vieux Bebel pour que la canaille t’applaudisse ? « .

Devant les réactions de la horde réactionnaire, Figuera a souligné que le gouvernement doit répondre par un rapprochement de toutes les forces, par « l’ouverture des débats nécessaires à l’action dialectique révolutionnaire ».

Le débat que met en avant le PCV n’est pas un débat qui resterait enfermé entre les quatre murs des forces qui soutiennent le processus, mais « un débat devant le pays, qui permette de définir, grâce à la participation démocratique la plus large du peuple, les grandes lignes de ce que devrait être un développement autonome, indépendant et souverain de la patrie bolivarienne « , a déclaré Figuera.
La vérité scientifique
Le Parti communiste a appelé à une confrontation avec la vérité, définie par Figuera comme « vérité scientifique de la réalité vénézuélienne et avec son état de développement actuel politique, économique et social. »
« Ce qui nécessite de dresser un bilan qui nous permette de mesurer les grandes réalisations sociales et politiques atteintes grâce au processus libérateur national et bolivarien, tel que le président Hugo Rafael Chavez Frias l’a qualifié, et, à partir de cette évaluation, de rechercher aussi où il y a eu des manques, des échecs ou des erreurs », a dit le député Figuera.
Pour Figuera, cela implique d’évaluer combien la direction politique du processus a perdu, ou non, son caractère révolutionnaire. « Celles et ceux qui ont assumé, en 1998 avec le président Chavez, la conduite de ce processus sont-ils restés des acteurs sociaux révolutionnaires? Certains ou certaines d’entre eux se sont-ils enrichis, ont-ils été corrompus? Si oui, peuvent-ils rester à la tête du processus ». Figuera pose la question faisant remarquer que c’est aussi cela qui doit être évalué.
Le PCV a insisté sur le fait que si on veut avancer dans le sens du socialisme, il faut identifier l’acteur historique de ce processus.
« Si on le fait, alors, il n’y a pas à redouter, à être terrorisé, par la création de Conseils socialistes des travailleuses et des travailleurs. L’on crée quantité de comités mais on ne crée pas de comités  de travailleurs ? Pourquoi, si les travailleuses et les travailleurs sont les acteurs historiques de la révolution socialiste ? Si nous nous disons socialistes, pourquoi n’accordons-nous pas de pouvoir à cette classe fondamentale de la société ? Si nous voulons aller vers le socialisme, pourquoi n’édifions-nous pas un autre processus de production, liquidant les mécanismes de direction capitalistes,  » Ordre et contrôle », et construisant la participation collective des travailleurs, des travailleuses, du mouvement populaire et du gouvernement à la direction de ces institutions », a déclaré Figuera.
« Pourquoi, si nous voulons véritablement avancer vers le socialisme, devons-nous continuer à fournir des dollars aux capitalistes qui spéculent avec ces dollars aux dépens du pays et de l’économie nationale», a-t-il ajouté.
« Pourquoi, si nous nous voulons véritablement avancer vers le socialisme, au-delà de la redistribution individuelle des terres que l’État récupère, ne construisons-nous pas de grands projets coopératifs, non pour transformer les grands domaines en toutes petites exploitations, mais pour constituer de grandes entreprises collectives, mettant au centre la participation des travailleurs et des paysans, conscients que la grande production collective peut permettre un grand bond dans le développement national », a-t-il dit encore.
Si nous nous voulons avancer vers le socialisme, nous devons gagner que le processus de distribution des produits nécessaires à notre peuple se développe, non sur la base de critères bureaucratiques, mais sous le contrôle social des Conseils de travailleurs et les Conseils municipaux, en articulation avec l’Etat  » a-t-il souligné.

« Tout est là. C’est le débat que nous mettons en avant « , a conclu Oscar Figuera.