Texte collectif, vivelepcf.fr, 11 novembre 2014

La mort dramatique du jeune militant Rémi Fraisse, tué par une grenade offensive lancée par la gendarmerie, suscite des manifestations d’émotion. Nous les partageons.

Elle renforce le caractère national de l’affaire du barrage de Sivens, déjà totalement disproportionné au regard de la réalité du projet contesté. Rappelons que les zones qui seraient inondées ne représentent que 34 hectares, c’est-à-dire l’équivalent d’une seule petite exploitation agricole dans cette partie pauvre du Tarn. Le coût prévisionnel est 80 fois inférieur à celui du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes.

Les développements, récupérations et débordements politiques nationaux, parfois inquiétants, les motivations de ceux qui les provoquent, appellent de notre part, communistes une analyse et des réponses précises à tous les niveaux, très différents, de la question agricole locale aux tentatives d’embraser le pays.

1-      Au plan local, la dernière expertise ouvre enfin la voie à une révision du projet de façon à mieux concilier les intérêts et vues qui s’affrontent. La fédération du Tarn du PCF appelait depuis le départ à une étude indépendante et n’a pas soutenu l’option retenue par la majorité du Conseil général. Les évolutions récentes renforcent encore l’obligation d’un supplément de concertation, dans la transparence, dans le souci de la réponse aux besoins des populations.

Les agriculteurs du secteur, soutenus par une large majorité de la population, estiment majoritairement qu’ils ont besoin, pour survivre devant un marché de plus en plus dur, pour maintenir une vie dans les villages, de développer leur production grâce à une meilleure irrigation. Quelques autres ne le pensent pas. Quelques propriétaires s’estiment lésés par le projet. Des écologistes, en général venus d’ailleurs, contestent l’efficacité du barrage prévu et jugent prioritaire la défense du milieu naturel existant.

Il s’agit maintenant de faire en sorte que la révision du projet optimise l’irrigation, en préservant au mieux certaines spécificités du milieu naturel existant, dans la perspective de créer un nouveau milieu écologique harmonieux.

2-      L’occupation de la zone de Sivens a été érigée par certains groupes politiques et lobbys comme le symbole de la lutte contre une agriculture productiviste destructrice. Le symbole est mal choisi. Cette lutte est déplacée ici. Quelques agriculteurs seulement pratiquent des cultures intensives et encore sur de petites surfaces. Non, ce n’est pas la « ferme des mille vaches », ce n’est pas l’Amérique !

Communistes, nous ne nous opposons pas à toute forme d’agriculture intensive, à l’utilisation des progrès agronomiques. Nous sommes opposés aux théories de la « décroissance », du retour réactionnaire à la « terre qui ne ment pas ».

Nous militons en France pour une agriculture raisonnée, basée sur des exploitations familiales et coopératives, visant à répondre aux besoins nationaux, aux besoins de pays moins favorisés par la nature, avec des modes de production respectueux de cette nature, soucieux de la qualité de l’alimentation humaine. A ce titre, nous nous désolons de l’extension de la jachère sur des centaines de milliers d’hectares. Dans le même temps, nous nous battons pour que les paysans puissent vivre de leur travail et vendre leurs productions à des prix rémunérateurs.

Notre bataille pour une agriculture raisonnée, pour la préservation de l’environnement, est indissociable de notre lutte contre le capitalisme, l’agro-business et leurs relais.

Animés de ces préoccupations, nous ne pouvons que rejeter les gesticulations, lourdes de conséquences, des politiciens de l’écologie. Ils soutiennent, comme Bové au Parlement européen, fanatiquement l’UE du capital mais espèrent engranger un peu de la colère que ses dégâts suscitent. La dernière en date : Les députés EELV viennent de voter comme un seul homme le principe de la privatisation des barrages dans le projet de loi en cours d’examen dit de « transition énergétique »…

Pour nombre de politiciens opportunistes, « l’écologie », érigée en question indépendante du système, est devenue le tremplin de leurs ambitions. Mélenchon s’est précipité dans le Tarn. Ségolène Royal, ministre, distille ses positions critiques, espérant tirer son épingle du jeu. A droite, Borloo, maintenant reconverti, était sur le même terrain. Dans le Tarn comme ailleurs, les lobbys du « capitalisme vert » sont impliqués.

Aux militants écologistes sincères présents dans le Tarn, nous proposons de combattre ensemble la politique de l’Union européenne, de la concurrence « libre et non faussée » mondiale, de ceux qui spéculent sur la nourriture, et des politiciens qui les relaient en France en écrasant les paysans.

Aux agitateurs mouvementistes, même ceux qui se disent « d’extrême-gauche », aux touristes politiques en mal de ruralité, nous n’avons rien à dire.

Aux politiciens qui exploitent le filon de l’écologie, nous disons à propos du barrage de Sivens : « un peu de retenue maintenant ! ».

3-      Nous prenons extrêmement garde aux dangereuses instrumentalisations de la mort de Rémi Fraisse. Nous exigeons toute la lumière sur les circonstances de son décès.

Elle est assez dramatique en elle-même, elle pose suffisamment de questions pour ne pas être amalgamée, sans réflexion, à d’autres événements historiques.

A nos camarades et amis qui sont tentés de faire le rapprochement avec, par exemple, le tabassage à mort en 1987 de Malik Oussékine par les sinistres « voltigeurs motocyclistes » de la police, ou les crimes racistes de la police américaine, nous disons que le cas de Sivens ne peut pas et ne doit pas y être assimilé.

Rien ne permet davantage de mettre en parallèle la mort de Rémi Fraisse, comme on peut le lire ici ou là, avec les crimes d’Etat du 17 octobre 1961 ou du 8 février 1962 à Charonne, perpétrés par la police gaulliste pour limiter dans la classe ouvrière française l’impact émancipateur de la défaite devenue inéluctable du colonialisme en Algérie.

Nous alertons sur le danger qu’il y a à dévaloriser ainsi le poids de la commémoration de ces événements historiques.

Oui, il faut rechercher pourquoi Rémi Fraisse a été tué par une grenade lancée par les forces publiques, les causes immédiates comme les causes profondes!

Pour l’instant, on sait qu’il s’est retrouvé au milieu d’un affrontement dur entre gendarmes d’un côté et de l’autre des groupes masqués ultraviolents qui ont investi depuis plusieurs semaines la zone du barrage.

Pourquoi les autorités ont-elles laissé les gendarmes s’affronter à cette heure tardive avec eux alors qu’ils n’avaient – semble-t-il – plus rien à protéger ? En aucun cas la situation ne nécessitait d’utiliser des grenades offensives ou des flash-ball. Il existe des moyens mois dangereux de maîtriser une manifestation qui dégénère.

Mais, par ailleurs, qui anime les groupes d’extrémistes (que nous ne qualifions pas « d’extrême-gauche »,) parfois appelés « Black blocks », qui ont déjà fait dégénérer des manifestations et saccagé des villes comme Strasbourg, Poitiers ou Nantes ? Dans le Tarn – tous les militants sincères de part et d’autre dénoncent leurs agissements: certains éléments sont allés menacer physiquement les agriculteurs partisans du projet. Qui sont leurs commanditaires ?

On ne connaît que trop la capacité du régime à entretenir des provocateurs professionnels et à les faire intervenir notamment dans les mouvements de jeunesse, en complément de la violence policière.

Oui, ces questions nécessitent une réponse.

4-      Dans l’immédiat, analysons à qui profitent la poussée de violence, les actes nihilistes, stupides ou dangereux, spontanés ou calculés, provoqués depuis la mort de Rémi Fraisse dans plusieurs villes, à qui profiterait un plus large embrasement national.

Certains misent sur l’émotion, sur le rejet de l’oppression policière vécue, pour déclencher un mouvement de protestation local et même national, notamment dans la jeunesse, révoltée par la mal-vie et l’absence de perspectives sociales. Au-delà, suivant l’exemple des groupes violents de la zone de Sivens, certains tentent d’entraîner à des violences urbaines comme déjà dans les villes du Tarn mais aussi à Nantes, Rennes ou Saint-Denis, dans le souvenir de l’embrasement des banlieues en 2005.

Ces mouvements, sans organisation, ne portent pas de revendications concrètes, pas même celle de la défense des zones humides de la vallée du Testet, si éloignée des réalités des manifestants, et surtout pas de revendications sociales et politiques. Ils laissent toute la place aux provocateurs de toute espèce. Rapidement, le mode d’action est la violence – contre la violence policière – et elle tient lieu de cause au mouvement.

On ne voit que trop évidemment qui tire le profit politique principal de tels événements, à commencer déjà dans le Tarn. Ils jettent les populations, les travailleurs dans les bras du parti de l’ordre, des partis politiques, y compris les plus dangereux, qui s’en réclament, des tenants du système. En contrepoint des politiciens écologistes, Valls adopte la posture de la fermeté. Le FN est aux aguets.

Communistes, il n’y a pas lieu pour nous d’exagérer les risques d’embrasement. Mais il y a lieu de travailler à éviter les diversions, y compris les pires, auxquelles le système sait si bien recourir. La violence policière, les provocateurs sont des outils à la disposition du système mais c’est le système lui-même que nous combattons.

Promouvons les luttes sociales et politiques ! Lors de la grève des cheminots en juin, Valls était à deux doigts de lancer les CRS et la police.

Dans l’affaire du barrage de Sivens, contribuons à éteindre les braises, à trouver les solutions politiques  locales les plus équilibrées. Prévenons toutes les provocations, d’où qu’elles viennent !