C’est un de ces jours de Noël froids, douloureux, comme ceux que nous vivions au front dans les tranchées…

Noël d’inquiétude, Noël d’angoisse, Noël de chômage. Noël de vie chère…

Noël de deuil aussi pour la classe ouvrière.

Comme une surcharge accablante au poids quotidien du meurtre à petits coups de l’usine, de la mine, du rail, du chantier, quatre catastrophes se sont abattues depuis un mois, jour pour jour, au Nord, au Sud, à l’Est, au Centre, sur des ouvriers, mettant à l’actif du patronat un tableau de chasse massif.

Le 25 novembre, c’était à Haubourdin, trois morts et trente blessés dans une fabrique d’amidon.

Le 13 décembre, c’était à Saint-Auban, dans une usine de gaz asphyxiants, l’explosion d’une cuve de chlore qui tuait 24 ouvriers et en blessait plus de soixante-dix.

Le 23 décembre, à Pont-à-Mousson, un four à coke, en s’effondrait tuait douze hommes.

Avant-hier à Fontainebleau, dans un atelier d’hydrogène, une colonne de lavage des gaz éclatait, tuant un travailleur et en blessant deux autres.

En un mois, en quatre accidents, quarante ouvriers tués, Français, Italiens, Polonais, Arabes, Tchèco-Slovaques, Russes, Portugais, Autrichiens, toute une internationale de morts…

La responsabilité du patronat? Etablie, écrasante, partout.

Les sanctions? Quelques rentes…

Le remède? Des discours dans le vent, sur des tombes alignées…

Et cela dure depuis que la grande production capitaliste existe.

Et cela est étroitement lié au régime capitaliste.

Des lois ont été édictées pour la protection du travail. Elles demeurent lettre morte: un enfant travaillait 24 heures de suite à Haubourdin; les masques à gaz étaient hors d’usage à Saint-Auban… Démocratie.

Des inspecteurs, payés de façon dérisoire, sont chargés de veiller à l’application des lois er de brandir leurs armes: des amendes de quelques francs!

Hier encore, dans la cellule Thomson-Houston, à laquelle suis rattaché, les camarades me racontaient qu’il n’était pas, dans leur usine, une machine qui fût en règle avec les prescriptions légales de protection et qu’un pont roulant non protégé notamment faisait peser une menace constante et terrible sur un atelier tout entier.

Le patronat, du haut de ses puissants syndicats, se moque d’une légalité dont il sait qu’il reste le maître. Les indemnités qu’il doit payer de temps en temps pour ses victimes lui coûtent moins cher que l’organisation d’une protection efficace.

Il gagne à tuer.

Une fois de plus, ici, apparaît l’implacable, la sauvage lutte de classes.

Il gagne à tuer, le patronat, et il exige que cela continue.

Une preuve?

La bataille engagée par les Chambres de commerce et les syndicats patronaux contre le contrôle ouvrier.

J’ai entre les mains le Bulletin de la Chambre de commerce de Valence et de la Drôme et j’y lis ceci:

« La Chambre de commerce se déclare résolument opposée à la création de délégués ouvriers dans les industries dangereuses et insalubres. »

« L’installation des délégués lui apparaît comme inutile, dangereuse et irréalisable. »

Inutiles? Dangereuse? Les morts de ces derniers mois répondent.

Irréalisable? Les travailleurs réaliseront.

Le contrôle ouvrier, dont le patronat a peur – et que seule la Révolution réalisera pleinement -sera arraché de gré ou de force…

Il n’est qu’un des mots d’ordre dans la bataille qui s’engage entre le capitalisme rationalisateur et le prolétariat révolutionnaire.

Mais les circonstances lui donnent une tragique actualité, en cette fin d’année.

Sans doute, communions-nous aujourd’hui, jour de Noël, dans le souvenir de nos morts ouvriers, sans doute pensons-nous au chômage qui s’étend, à la misère qui vient, aux usines qui débauchent, mais nous nous souvenons aussi, que dans la vieille légende chrétienne, Noël est un jour de naissance, un jour de promesse, un jour d’espoir pathétique, le jour du Sauveur.

Et nous n’oublions pas, nous, les artisans passionnés d’une Révolution inéluctable, que le Sauveur, camarade, c’est toi-même avec ton marteau, avec ta faucille, avec ton fusil.

P. Vaillant-Couturier