Vivelepcf, 27 décembre 2015 

A l’occasion des élections régionales, plusieurs grands patrons ont exprimé publiquement leur volonté de combattre le Front national. Pourtant ils font partie de ceux qui, directement en lien avec les gouvernements successifs et l’Union européenne, ont suscité et mis en œuvre les politiques de casse sociale dont le FN exploite et détourne le rejet populaire. Qu’est-ce qui les motive à intervenir directement en politique aujourd’hui ? L’inconscience, l’hypocrisie, le cynisme ?

Avant le premier tour des régionales, il y a d’abord eu l’interview très relayée de Pierre Gattaz au Parisien le 1er décembre. Nous l’avons déjà commentée sur ce site. Comme beaucoup d’observateurs, nous y avons vu un cadeau électoral pour le FN en même temps qu’une utilisation du FN pour brouiller l’alternative politique et jeter la confusion dans le monde du travail.

Gattaz met en garde contre les propositions économiques du FN qu’il ose comparer au programme commun de la gauche d’avant 1981. En clair, Gattaz cherche à discréditer chez les travailleurs et à « gauche » des propositions de rupture essentielles comme le retour à la retraite à 60 ans, la hausse du SMIC et des salaires, la rupture avec l’euro en les associant au repoussoir FN. A cette fin, il ne craint pas de légitimer, en tant que lui-même repoussoir patronal, la démagogie sociale du FN.

Dans le même temps, les déclarations du président du MEDEF coïncident – dans le temps – avec celles des grandes confédérations syndicales (séparément ou ensemble) contre le danger FN. Voilà de quoi semer la confusion dans les entreprises. Bien sûr, le contenu des analyses patronales et syndicales diffèrent en grande partie. Mais l’importance de la montée (organisée) du FN et sa dramatisation risquent de minimiser ces différences, notamment d’ici les présidentielles de 2017, en supplantant les questions économiques et sociales et l’expression de la lutte des classes.

Cynique, hypocrite, dangereux : le discours de Gattaz se tient.

Il est d’ailleurs logiquement appuyé par un autre grand patron maître en hypocrisie (« dialogue social »), qui aime à passer pour « social » mais qui, avec Attali, est l’inspirateur direct des pires politiques de Hollande, CICE, Pacte de responsabilité, loi Macron… : Louis Gallois (ex-PDG de la SNCF, d’Airbus, actuel président du Conseil de surveillance de PSA). Dans Marianne du 18 décembre, il affirme « partager entièrement la position politique de Gattaz sur le FN » et il le félicite : « il faut bien que les gens s’expriment. Il y a une sorte de trouille à réagir au FN. Je pense qu’il était très important que Pierre Gattaz se soit exprimé ». Gattaz : quel courage !

Dans Les Echos du 10 décembre, après les 28% du FN au 1er tour, parmi d’autres personnalités, deux PDG sont interrogés sur la question : « comment lutter contre la montée du FN ? ». Leurs analyses, à l’un et à l’autre, laissent pantois.

Martin Hirsch, directeur général de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris, s’efforce depuis des mois de faire passer son plan de suppression de jours de repos des personnels, en même temps qu’il engage la fermeture de plusieurs établissements et des centaines de suppressions d’emploi. Aux Echos, il prétend s’exprimer, non en tant que DG de l’AP-HP, mais en tant que président de « l’Institut de l’engagement ». Comme cet « humaniste » ne « s’engageait » pas dans son occupation professionnelle ! Face au FN, Hirsch fait une priorité de « de ne pas donner d’armes au « tous pourris », « tous s’arrangent entre eux ». D’où la nécessaire remise en cause des comportements qui alimentent ce sentiment ».  Mais Martin Hirsch s’est-il regardé ? Tout le monde, du moins à l’AP – HP, sait qu’il a été ministre de Sarkozy avant d’être nommé au plus haut poste à l’AP – HP par Hollande ! Est-il donc hypocrite jusqu’à l’inconscience ? Quand quelqu’un comme lui donne de telles leçons contre le FN, comment le citoyen, l’électeur peuvent-ils les percevoir ? Passons rapidement sur la suite de son interview où il refait la publicité de son « service civique » et de son RSA destinés principalement à fournir de la main d’œuvre gratuite au patronat.

Autre interviewé par Les Echos sur le FN, Stéphane Richard, PDG d’Orange. Ses propos dépassent ceux des précédents dans l’inconscience, l’hypocrisie et le cynisme. Le premier actionnaire d’Orange reste l’Etat et Richard, n’est PDG d’Orange depuis 2011 que par la grâce des gouvernements, rappelons-le. Rappelons aussi qu’il poursuit la politique de liquidation et de pillage du service public au profit des banques et des actionnaires privés, marquée par un véritable et reconnu massacre social.

Mais en tant que « chef d’entreprise » (apolitique !), il estime avoir des « choses à dire » sur le FN. Il lance notamment : « On ne peut pas compter sur le personnel politique en place depuis vingt ou trente ans pour offrir une alternative au FN. Il faut faire exploser les partis en place si l’on veut un renouvellement. On pourrait créer un nouveau parti, ou avoir un rassemblement citoyen contre le FN ». L’ex-collaborateur de Borloo et Largarde dans leur cabinet ministériel, ancien candidat UMP, sait de quoi il parle ! Encore un qui ne se regarde pas dans la glace!

Le nouveau parti qu’il propose ? Le parti des patrons et des milliardaires ! Il complète en effet dans les Echos : « Je souhaite que les dix premières fortunes de France, les Arnault, Pinault, Bouygues, Drahi, Niel créent ensemble un fonds de 1 milliard d’euros pour financer les projets des jeunes, de la déradicalisation, des campagnes anti-FN ». Face au FN, ou plutôt au prétexte du FN : aller vers la dictature directe du grand capital ! Au passage, Richard invite à violer la loi sur le financement des partis politiques… Plus loin que Gattaz, Richard donne aux démagogues du FN un certificat d’opposants au grands capital !

Le FN contre les grands patrons, les grands patrons contre le FN ?  Les dirigeants du FN doivent bien rire ! Les salariés de France Telecom, avec cet idéologue décomplexé à leur direction, beaucoup moins !

Tout cela rappelle le photomontage des années 30 du graphiste allemand John Heartfield, même si nous ne sommes pas dans les mêmes circonstances : « Des millions sont derrière moi – le sens du salut hitlérien » où l’on voit derrière Hitler, non des millions de personnes mais de gros capitalistes lui donnant des millions de marks…

C’est d’abord dans le combat de classe contre le patronat et le capital que pourra être démasquée et réduite l’extrême-droite.