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Philippe Martinez dans une interview au Monde : « Le syndicalisme est par essence réformiste ». Il a choisi son camp ! par Alain Casale

Le journal Le Monde daté du 22 septembre 2015 contient une interview de Philippe Martinez par Michel Noblecourt qui lui pose plusieurs questions générales sur la stratégie de la CGT dans le contexte politique marqué par les déclarations de Valls et Macron, après « l’affaire Lepaon », avant le congrès confédéral d’avril.

Le nouveau secrétaire général de la CGT y affirme notamment que « le syndicalisme est par essence réformiste », formule que Noblecourt a choisi – certainement pas par hasard – comme titre. Comme d’autres éléments de l’interview, elle pose question à des camarades syndiqués, elle les choque. Le changement de dirigeant national ne met pas fin au processus de mutation de la CGT qui l’entraîne dans une période de flottement sur ses orientations fondamentales et dans son organisation.

Pour alimenter le débat, nous reprenons ci-dessous la réaction d’Alain Casale, longtemps militant et responsable syndical CGT à La Poste et à l’interpro (UL CGT Paris 15). En bas de page, nous reproduisons également l’interview du Monde.

Réformiste ! : Philippe Martinez a choisi son camp. par Alain Casale

 

Dans un entretien avec Michel Noblecourt, Philippe Martinez affirme : « le syndicalisme est par essence réformiste ». Situés à une époque où les dégâts humains et sociaux, dans notre pays et au delà sont considérables ; où, au plan syndical, la masse de la CGT a refusé la collaboration avec le patronat (qui consistait à accentuer ces effets) par son rejet, notamment, du pacte de responsabilité ; où les déboires immobiliers de son ancien secrétaire général ont, légitimement, troublé les adhérents et les salariés, ces propos ne sont pas anodins. Disons qu’il aurait été, pour le moins, plus logique que le secrétaire général de la première centrale, et syndicat historique, de la France réaffirme la vocation inscrite dans ses statuts de répondre aux intérêts matériels et moraux des travailleurs et de participer à la transformation de la société.

S’agit-il d’une simple question de sémantique ?

Lorsque l’on parle de syndicalisme en France, on est bien obligé d’entendre qu’il s’agit là de la CGT, premier syndicat, créé, et de très loin : 1895. Dès lors, annoncer péremptoirement que « le syndicalisme est par essence réformiste » est une contre-vérité historique, innocente ou volontaire. En effet, le congrès de Limoges de 1895 regroupe les fédérations, d’orientation plutôt réformiste et les Bourses du travail dont l’orientation était plutôt celle des syndicalistes révolutionnaires. Depuis cette époque, une lutte d’influence existe, et c’est logique. Depuis cette époque, parallèlement, patronat et gouvernement n’ont eu de cesse de chercher à diviser le mouvement syndical, de peser sur la CGT (qui comprend dans ses statuts le volonté de changer la société) pour la rendre présentable et ne plus empêcher les profits de tourner en rond.

Constatons que Thierry Lepaon, avait lui aussi pris une large autonomie vis à vis des statuts qu’il était sensé respecter et faire vivre, sans que cela ait ému alors les dirigeants de la centrale, dont Philippe Martinez. Dans une interview au nouvel économiste en 2014, il affirme : « Il n’existe à la CGT aucune opposition de principe face au patronat. L’entreprise est une communauté composée de dirigeants et de salariés – là encore, je regrette que les actionnaires fassent figures d’éternels absents – et ces deux populations doivent pouvoir réfléchir et agir ensemble dans l’intérêt de leur communauté. »

Examinons les statuts de la CGT :

« Prenant en compte l’antagonisme fondamental et les conflits d’intérêts entre salariés et patronat, entre besoins et profits, elle combat l’exploitation capitaliste et toutes les formes d’exploitation du salariat. »

Remontons un peu plus loin dans le temps. 2004, lors du débat sur la future Constitution européenne, Bernard Thibault, devant la CES, avait affirmé : « il n’est pas certain que nous (la CGT) prenions position ». Là aussi, cet avis est discutable aux yeux des statuts de la CGT. Il avait alors initié un large débat dans le syndicat en excluant de faire prendre position à sa commission exécutive (ce qui est pourtant son rôle). De fait les militants avaient alors accompli leurs missions, c’est à dire réuni leurs instances, fait débattre leurs syndiqués et fait un choix. Ainsi Les unions locales, départementales, les fédérations, au travers, de congrès, comités généraux, comités nationaux fédéraux avaient décidé du Non à toute Constitution européenne, décision qui avait été logiquement reprise par le CCN de début 2005. Or, à la suite de ce CCN, on ne peut plus représentatif, les trois principaux dirigeants de la CGT avaient poussé sur toutes les ondes de radio et de télévision des cris d’orfraie vitupérant à l’absence de démocratie (!). Le résultat électoral du 29 mai 2005 fut ce que chacun sait traduisant ainsi avec éclat la qualité des militants de la CGT (la baaase), leur prise avec le réel et de fait, il faut bien le reconnaître la coupure avec sa direction, qui, nous le constatons, ne s’est pas démentie par la suite. Observons, en illustrant au travers de ce scrutin sur la constitution européenne, que le Sénat et l’Assemblée Nationale réunis en congrès avaient approuvé à 85% cette constitution et l’on aura un aperçu des réels problèmes de notre pays. On  pourra ainsi chercher les solutions du bon côté.

C’est aussi ce conseil que l’on pourrait donner à Philippe Martinez. Et alors le contenu des réponses données à Michel Noblecourt aurait un parfum différent.  Tant sur la cause des revers électoraux dans les grandes entreprises, que sur les accords d’entreprise ou sur les journées d’action.

Ainsi ces militants de la CGT qui sont en phase, eux, avec le peuple seraient insuffisamment attentifs à la diversité du salariat dans leur entreprise et à la situation des jeunes ? Les jeunes qui gagnent 900€ par mois [en réaction à une réponse de P. Martinez ci-dessous - NdlR] sont à même de juger de leur travail, de son intérêt, de jauger qu’évidemment 900 € ce n’est pas assez, qu’il leur faudra payer un loyer, leur nourriture, leurs vêtements, leur transport, leurs loisirs… Ils sont capables de donner eux-mêmes le qualificatif adéquat à leur activité sans que le militant de la CGT intervienne. Au contraire, celles et ceux qui acceptent de représenter la CGT dans l’entreprise doivent-ils leur apprendre la soumission ou, avec la défense de leurs intérêts immédiats, la nécessité de changer une société qui exploite et exclut ?

Ce seraient donc eux les responsables des échecs électoraux et non la stratégie de syndicalisme rassemblé avec ceux qui prônent ouvertement la compromission avec le patronat, dont rappelons-le les statuts de la CGT rappellent l’antagonisme fondamental ? En fonction de cela il faudrait laisser les accords d’entreprise (lieu où il y a inégalité de fait à l’avantage de l’employeur) prendre le pas, sous prétexte de s’adapter, sur le Code du travail ? C’est ainsi que construit de manière pragmatique le recul social. Les délégués dans les entreprises signent ce qu’ils peuvent en fonction du rapport des forces mais aussi du sens et du poids que donne la confédération et de l’aide qu’elle peut apporter.

Ces hommes et ces femmes, délégués du personnel, représentants syndicaux, militants évoluent dans un environnement hostile. Ils sont la force et l’honneur de la CGT. S’il faut passer d’une CGT « donneuse de leçons » à une société un peu plus humble, qui écoute plus, c’est à toi Philippe Martinez que ces recommandations doivent s’adresser !

 

 

LE MONDE – 22 SEPTEMBRE 2015

Philippe Martinez « Le syndicalisme est par essence réformiste »

Le numéro un de la CGT, Philippe Martinez, estime « déplacés » les propos de M. Macron sur les fonctionnaires

Propos recueillis par Michel Noblecourt

Elu il y a huit mois à la tête de la CGT après la démission de Thierry Lepaon, Philippe Martinez définit la stratégie de sa centrale. Il refuse, pour l’heure, de dire s’il va participer à la conférence sociale du 19 octobre. La CGT tiendra son prochain congrès à Marseille en avril 2016.

Vous avez été élu à la tête de la CGT à la suite d’une crise qui a conduit à la démission de son secrétaire général. La CGT est-elle sortie de cette crise?

La CGT est sortie de la crise. On reparle plus de nos orientations et de nos activités que de nos affaires internes, même s’il y a encore quelques soubresauts. Involontairement, et à tous les niveaux, on avait un peu lâché la réflexion sur notre conception du syndicalisme. Dès février, on a repris cette démarche visant à rééquilibrer nos tâches institutionnelles et le lien avec les salariés.

La CGT aurait perdu, en 2014, entre 50 000 et 75 000 adhérents…

C’est faux. Il y a eu un retard dans le paiement des cotisations entre la fin 2014 et le premier trimestre 2015. Aujourd’hui, on a complètement rattrapé le retard et on est même en légère progression. Par rapport à la fin août 2014, on a 2 618 adhérents de plus. Le nombre exact d’adhérents sera connu en fin d’année.

La CGT a subi une série de revers électoraux dans de grandes entreprises publiques. Cela vous inquiète?

Oui. Il y a des raisons qui sont dues à la crise mais on a aussi une part de responsabilité. Il faut qu’on soit plus attentif à la diversité du salariat dans les entreprises et à la situation des jeunes. Dire à un jeune qui a été au chômage pendant quatre ans et qui décroche un contrat où il va gagner 900 euros que c’est pas assez, que son boulot est pourri, alors qu’il n’a jamais gagné autant, ce n’est pas la bonne attitude. On peut l’encourager à venir avec nous et, une fois entré dans l’entreprise, on milite ensemble pour améliorer sa situation. Il faut passer d’une CGT « donneuse de leçons » à une CGT un peu plus humble, qui écoute plus.

Vous inscrivez-vous dans la mutation de la CGT, engagée par Louis Viannet et poursuivie par Bernard Thibault, qui conduisait à une certaine adaptation de votre syndicalisme?

Ce n’est pas la lecture que j’en ai. Cette démarche a réaffirmé l’indépendance par rapport aux partis politiques. Ce serait une bêtise de revenir en arrière. Il faut la réaffirmer haut et fort. Il faut réfléchir sur le syndicalisme rassemblé lancé par Louis Viannet en 1995. Le besoin d’unité syndicale demeure, mais il ne faut pas faire semblant d’être d’accord quand on ne l’est pas. Notre priorité, c’est le lien avec les salariés. Il n’y a donc pas de rupture. On s’inscrit dans la continuité mais en prenant en compte la situation actuelle.

Vous estimez que vous passez « trop de temps dans les bureaux des ministres et des patrons », cela signifie-t-il que vous allez être hors du jeu institutionnel?

Non, c’est une question de rééquilibrage. Il faut du dialogue. La négociation, c’est une des finalités du syndicalisme qui, par essence, négocie. Mais, depuis quelques années, il peut se passer huit mois entre le début et la fin d’une négociation, parce qu’on multiplie les groupes de travail préparatoires et les bilatérales. On passe notre vie sur un sujet qui ne mérite pas autant de temps. Je connais des militants et des dirigeants qui passent quatre jours par semaine avec leur patron mais quand est-ce qu’ils vont voir les salariés?

Est-ce du temps perdu de rencontrer le président de la République, le premier ministre ou le président du Medef?

Ce n’est pas du tout inutile. Il ne faut pas les voir pour discuter entre gens de bonne compagnie mais pour leur remettre les pieds sur terre et leur parler de la vraie vie. Je veux bien aller visiter une entreprise avec le président de la République ou un ministre.

Vous avez rencontré Pierre Gattaz?

Je dois le rencontrer cette semaine. C’est normal de voir le patronat, ce n’est pas du temps perdu. Ce qui est inutile, c’est de passer sa vie avec les patrons et de décider du sort des salariés sans que les salariés s’en mêlent.

Le rapport Combrexelle donne la priorité aux accords d’entreprise, qui devront être majoritaires. Or la CGT signe 85 % de ces accords. Avez-vous peur de la négociation d’entreprise?

On n’est pas contre la négociation d’entreprise, mais il ne faut pas inscrire dans la loi une dérogation généralisée au code du travail. Ce n’est pas la peine de diminuer le volume du code s’il est fait pour décorer une vitrine. Le code du travail, c’est la loi et elle doit être la même pour tous les salariés. Le respect de la hiérarchie des normes est indispensable. Après, dans les branches puis dans les entreprises, il faut des négociations parce qu’il y a besoin d’adapter. L’organisation du travail n’est pas la même dans un service public et dans une entreprise.

Tout est-il à rejeter dans ce rapport?

On ne rejette pas tout. Les accords majoritaires, on est pour. Mais on ne veut pas de négociations où le patronat fait du chantage en disant ou vous acceptez ce qu’on propose, ou on ferme et on délocalise.

Vous récusez la ligne de partage entre syndicats réformistes et contestataires?

Je préfère dire qu’on n’a pas la même conception du syndicalisme. Il y a des syndicats qui considèrent que le rapport de forces n’est plus d’actualité. Ils sont plus dans la délégation de pouvoir que dans le lien avec les salariés. C’est leur droit. Nous, on ne veut pas qu’on nous impose du dehors notre conception du syndicalisme. Nous sommes pour des réformes – les 32 heures, c’en est une – à condition qu’elles ne signifient pas un recul des acquis sociaux. Le syndicalisme, par essence, est réformiste. Mais gouvernement et patronat ont dévoyé le mot réforme.

Vous organisez une nouvelle journée d’action le 8 octobre. Mais les précédentes journées ont eu peu d’écho.

La précédente journée du 9 avril était plutôt réussie. Il y a beaucoup de luttes dans les entreprises, souvent gagnantes. Au plan national, un des rôles de la confédération est d’essayer de coordonner ces luttes. On a besoin de plus de batailles « idéologiques » parce que la crise pèse sur les revendications. Tout le monde est d’accord pour dire que ça ne va pas, mais tout le monde n’est pas d’accord sur le comment faire autrement. Il est important que la CGT appelle plus souvent à des mouvements pour peser dans le débat.

Mais à l’arrivée le gouvernement ne bouge pas…

La politique du renoncement ne date pas d’aujourd’hui. Le gouvernement a choisi son camp. Par rapport aux promesses du candidat Hollande, il y a un décalage qui pèse forcément dans les mobilisations. Ce n’est pas parce qu’on est à contre-courant qu’on a tort.

Entre Hollande et Sarkozy, il n’y a pas de différence?

Sur les questions économiques, il n’y a pas beaucoup de différence. Sur le rapport Combrexelle, les éloges sont venus du parti des Républicains.

Que pensez-vous de la déclaration d’Emmanuel Macron mettant en cause le statut des fonctionnaires?

Ces propos sont déplacés et contribuent à la campagne de dénigrement des fonctionnaires et du service public. Ils consistent à opposer les salariés entre eux pour éviter de parler des vraies raisons de la crise.

 

 

Rentrée : Hollande se sent en état de charger encore la barque des contre-réformes. Pourquoi ?

Brève, vivelepcf, 20 août 2014

Dans sa longue interview au journal Le Monde daté du 20 août, François Hollande enfonce le clou.

Les derniers chiffres de l’économie nationale sont encore plus mauvais en termes de croissance, de production industrielle ou d’emploi. Qu’importe ! C’est la faute aux tensions dans d’autres régions du monde. C’est parce que sa politique n’a pas encore porté ses fruits. L’exercice de langue de bois est usé à la corde. Qu’importe encore ! Il n’est pas difficile de comprendre que les vrais objectifs de la politique du gouvernement sont ailleurs : la casse des acquis sociaux et démocratiques, la pression sur les salaires, le soutien au profit capitaliste.

Hollande défend donc sans réserves son « pacte de responsabilité », les 41 milliards d’euros de cadeaux par an au patronat, les 50 milliards de coupe dans les budgets publics et sociaux.

Hollande n’a aucun état d’âme sur sa réforme territoriale : la constitution des euro-régions est engagée, la disparition des départements aussi d’ici 5 ans, le temps d’une réflexion sur « l’avenir des départements ruraux ».

Hollande l’affirme : il « soutient le nouveau président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, et ses projets » et lui fournit un brillant second avec Moscovici.

Il en va de même sur tous les sujets mais Hollande charge encore la barque. (Lire la suite…)