Vivelepcf, 8 octobre 2013 

Le Général Vo Nguyen Giap est décédé le 4 octobre à l’âge de 102 ans.

Les hommages au héros de l’indépendance vietnamienne, au « grand stratège », au « vainqueur de Dien Bien Phu », à l’artisan de la défaite américaine dans la Guerre du Vietnam, affluent de toutes parts.

Même ses anciens ennemis, comme le sénateur américain John Mac Cain, aviateur et prisonnier pendant la guerre du Vietnam, saluent sa mémoire. Respect de combattants pour un combattant ? Peut-être. Surtout volonté de minimiser rétrospectivement l’humiliation infligée successivement au colonialisme français et à l’impérialisme américain par un peuple opprimé, guidé par un parti communiste et des dirigeants communistes tels que Hô Chi Minh, ou Giap dans sa suite immédiate.

Au nom de leur peuple, de nombreux dirigeants de pays du « tiers-monde », notamment de Cuba et d’Algérie, rendent hommage au Général. Ils expriment leur reconnaissance aux combats héroïques du peuple vietnamien qui ont inspiré et aidé les luttes anticolonialistes et anti-impérialistes dans le monde entier.

Les autorités du Vietnam organisent les obsèques nationales de Vo Nguyen Giap. Elles auront lieu le 12 octobre.

Par milliers déjà, les Vietnamiens se rassemblent devant la maison du général, fleurs jaunes et bâtons d’encens à la main. Ils expriment leur reconnaissance à l’action du libérateur de leur pays, également au dirigeant communiste qui n’a jamais transigé dans son engagement pour la construction du socialisme.

Il dut encore, à la tête de l’armée combattre l’agression chinoise de 1979/80. Même après sa retraite officielle, il est resté un point de repère politique dans le pays alors que de profonds débats internes ont lieu dans le Parti communiste vietnamien, que la voie d’une évolution accélérée vers l’économie de marché est choisie.

En 2009 encore, à 98 ans, le Général Giap exprimait sa réprobation devant la décision de laisser un groupe capitaliste chinois exploiter un gisement de bauxite au centre du Vietnam, mettant en garde contre la perte de souveraineté.

Communistes français, nous saluons cette grande figure du mouvement communiste international, si liée à l’histoire de notre pays. Il fut de ceux qui surent au mieux – et au prix fort – traduire la fécondité de la Révolution d’Octobre.

Nous reproduisons ci-dessous un extrait du livre de notre regretté camarade Léo Figuères, « Je reviens du Vietnam libre », publié en 1951. Il revient sur la vie et l’engagement personnels du Général Giap. Il raconte son entrevue avec lui en pleine guerre d’Indochine.

Giap ne s’est pas montré qu’un « fin stratège » mais aussi un des concepteurs de « l’armée nouvelle », l’Armée populaire vietnamienne, instrument de la Révolution par l’intervention des masses. Léo Figuères a su rendre l’impression que lui a donnée Giap : celle d’une détermination politique inflexible qui n’a d’égal que la profonde humanité.

 

EXTRAIT DE « Je reviens du Vietnam libre » DE LEO FIGUERES (1951).

« Une visite inespérée au Commandant en chef de l’Armée vietnamienne va me permettre de compléter mon opinion.

Sitôt arrivé à destination, après une longue journée de voyage, me voici introduit dans un vaste bureau tapissé de cartes. Le Général sobrement habillé d’un uniforme kaki, aux épaulettes noires sur lesquelles brillent des étoiles d’or, se tient derrière une table revêtue de serge verte.

Un visage extraordinairement jeune, malgré les 40 ans passés, de petite taille mais visiblement très robuste, des yeux mobiles et brillants, une bouche constamment souriante, tel est Vo Nguyen Giap, ministre de la Défense, Commandant en chef des forces armées du Viet-Nam et l’un des dirigeants les plus populaires du pays.

Dans la conversation, je vais pouvoir juger de la vaste culture de cet homme qui possède notre langue d’une façon parfaite.

Giap n’a pas toujours été militaire. Rien ne le prédisposait même à cette carrière puisqu’au sortir de ses brillantes études de lettres, il avait choisi d’enseigner à Hanoï en qualité de professeur libre. Il n’en restait pas moins l’un des animateurs du mouvement vietnamien de libération nationale.

Lorsque les Japonais furent introduits par Pétain en Indochine, Giap quitte la capitale, part dans les montagnes et organise la résistance. Sa femme, malheureusement, devait tomber aux mains des colonialistes et succomber des suites de tortures dans un cachot de la prison d’Hanoï.

En 1941, Vo Nguyen Giap reçoit d’Ho Chi Minh la mission de mettre sur pied les premiers groupes de partisans armés. C’est alors que commence sa vie de militaire. Très vite, il se familiarise avec l’art de la guerre. Il surmonte les difficultés et malgré les conditions très rudes de l’action dans la montagne, il arrive à organiser les premières unités de l’armée vietnamienne, puis parvient à les renforcer, à les multiplier…

A la veille de la capitulation japonaise, en août 1945, Giap se trouve à la tête d’une petite armée de plusieurs milliers d’hommes avec laquelle il réussit à libérer la quasi-totalité du territoire du nord Viet-Nam avant de pénétrer dans Hanoï avec le gouvernement provisoire constitué sous la présidence de Ho Chi Minh.

Devenu ministre de l’Intérieur du premier gouvernement national formé en septembre 1945, il a le mérite de mettre hors d’état de nuire les ennemis intérieurs de la République et d’abord les agents vietnamiens du Kuo-mintang.

Porte-parole de sa délégation à la première conférence franco-vietnamienne de Dalat, qui précéda celle de Fontainebleau, Giap s’y fait remarquer par sa vigueur et sa logique irréfutable pour défendre la cause de son pays. Son éloquence, sa sincérité, son patriotisme, en imposent tellement à tous ses adversaires que le cauteleux Thierry d’Argenlieu, lui-même, se croit obligé de ne l’approcher qu’avec beaucoup de marques de respect.

Durant tout le séjour en France du Président Ho, il eut la lourde charge d’assurer l’intérim de la direction gouvernementale. On se souvient encore du sang-froid avec lequel il fit face aux provocations des colonialistes durant les discussions de Fontainebleau et de la persistance qu’il mit à rechercher un terrain d’entente avec les représentants français.

Les Hauts-Commissaires en Indochine, d’abord d’Argenlieu, Bollaert ensuite, ont, au moins en apparence, essayé de voir en Giap « l’homme dur » opposé au Président Ho dont il a toujours été l’un des meilleurs disciples et compagnons de lutte. La propagande colonialiste s’est efforcée de faire de Giap un croquemitaine, un « bouffeur de français » qu’on est parfois allé jusqu’à présenter comme d’origine allemande en déformant son prénom de Vo à Von. Le Général est le premier à rire de ces sornettes.

« Je ne suis pas plus antifrançais que n’importe lequel de mes compatriotes. Je n’aime pas les colonialistes, rien n’est plus exact, mais j’aime la vraie France, celle du peuple ».

Et il me raconte comment, en mars 1945, après le désarmement des troupes françaises par les Nippons, il collabora durant une période avec une unité française qui avait réussi à quitter la ville de Cao-Bang avant l’arrivée des Japonais.

« Nous avions créé avec les officiers français un Comité de liaison franco-vietnamien pour la lutte contre les Japonais. Tout allait très bien lorsque ces officiers exprimèrent le désir de passer en Chine, nos conditions de vie leur paraissant sans doute trop rudes.

Après avoir essayé de les convaincre de l’utilité de notre combat commun, je les fis accompagner jusqu’à la frontière chinoise. C’est ainsi que s’acheva le seul cas de collaboration des forces françaises et vietnamiennes dans la guerre contre les impérialistes japonais ».

Le généralissime évoque ensuite des souvenirs sur ses relations avec d’Argenlieu, les généraux Leclerc et Morlière, le commissaire Sainteny et d’autres personnages français. Il en parle sans âpreté, mais avec une connaissance extrême des défauts et des qualités de ces hommes qui, s’ils avaient fait preuve d’honnêteté et de bonne volonté, auraient pu en 1946 jeter les bases d’une collaboration durable entre la France et le Viet-Nam.

« La plupart d’entre eux ne croyaient ni à la possibilité d’une telle collaboration, ni à la solidité de notre gouvernement et à son influence sur les masses.

Même lorsqu’ils nous faisaient des sourires, nous restions pour eux des rebelles, et l’espoir de nous mettre hors de cause en un tournemain était dans leur tête.

De notre côté, nous avions besoin de la paix et, quoique nos concessions fussent parfois pénibles au peuple, nous avons recherché jusqu’au dernier jour les possibilités de nous entendre avec les Français.

La guerre nous a été imposée à la suite d’une longue série de violations des accords du 6 mars 1946, du modus vivendi de septembre 1946, et à la suite de multiples provocations sanglantes.

Puisqu’il n’y avait rien d’autre à faire pour sauver les conquêtes d’août 1945, nous avons fait la guerre et nous la poursuivrons désormais jusqu’à la victoire complète ».

C’est maintenant le ministre de la Défense nationale qui parle pour m’expliquer les changements intervenus dans la tactique des deux adversaires et le rapport des forces en présence.

Et longuement, patiemment, Vo Nguyen Giap répondra à toutes mes questions sur la situation militaire et ses perspectives en me disant au terme de notre entrevue :

« Nous savons que de grandes difficultés nous attendent. Nous aurons encore de durs moments à passer avant de contraindre les colonialistes à quitter notre pays. Mais quand nous jetons un regard en arrière et constatons le chemin parcouru depuis 1941, la victoire finale ne fait plus aucun doute pour nous ».