Vivelepcf, 2 décembre 2014

Le 2 décembre 1914, Karl Liebknecht, député social-démocrate (SPD), est le seul à voter contre les crédits de guerre au Reichstag, le parlement allemand.

Le 4 août précédent, il s’était élevé une première fois contre ces crédits et avait dénoncé le caractère impérialiste de la guerre qui débutait. Mais, se conformant à la discipline de vote en cours dans groupe social-démocrate, il n’avait pas voté contre.

Après 4 mois de boucherie, il franchit le pas et vote contre. Son acte hautement courageux est historique. Il rompt avec l’Union sacrée allemande et les reniements du SPD. Il rejoint le Parti social-démocrate de Russie dirigé par Lénine et quelques rares dirigeants des partis socialistes européens dans le refus et la dénonciation de la guerre impérialiste, dans la fidélité aux résolutions bafouées par les appareils réformistes de l’Internationale socialiste, notamment celle du congrès de l’Internationale de Bâle en novembre 1912 dont voici un extrait :

« Si une guerre menace d’éclater, c’est un devoir de la classe ouvrière dans les pays concernés, c’est un devoir pour leurs représentants dans les Parlements, avec l’aide du Bureau international, de faire tous leurs efforts pour empêcher la guerre par tous les moyens qui leur paraissent les mieux appropriés, et qui varient naturellement selon l’acuité de la lutte des classes et la situation politique générale.

Au cas où la guerre éclaterait néanmoins, ils ont le devoir de s’entremettre pour la faire cesser promptement et d’utiliser, de toutes leurs forces, la crise politique et économique créée par la guerre, pour agiter les couches populaires les plus profondes et précipiter la chute de la domination capitaliste. »

Nous reproduisons ci-dessous une traduction de l’intervention de Karl Liebknecht au Reichstag le 2 décembre 1914.

En 1916, il sera emprisonné.

Avec Rosa Luxemburg, Liebknecht allait être, le 1er janvier 1919, un des cofondateurs et premier dirigeant du Parti communiste allemand (KPD). Le 15 janvier 1919, ils seront tous les deux lâchement et sauvagement assassinés, lors de la révolte spartakiste, par les forces de répression commandées par le social-démocrate Noske.

 

Déclaration de Karl Liebknecht au Reichstag, le 2 décembre 1914

« Je motive ainsi qu’il suit mon vote sur le projet qui nous est soumis aujourd’hui.

Cette guerre, qu’aucun des peuples intéressés n’a voulue, n’a pas éclaté en vue du bien-être du peuple allemand ou de tout autre peuple. Il s’agit d’une guerre impérialiste, d’une guerre pour la domination capitaliste du marché mondial et pour la domination politique de contrées importantes ou pourrait s’installer le capital industriel et bancaire. Au point de vue de la surenchère des armements, c’est une guerre préventive provoquée solidairement par le parti de guerre allemand et autrichien dans l’obscurité du demi-absolutisme et de la diplomatie secrète.

C’est aussi une entreprise de caractère bonapartiste tendant à démoraliser, à détruire le mouvement ouvrier grandissant. C’est ce qu’ont démontré, avec une clarté sans cesse accrue et malgré une cynique mise en scène destinée à égarer les esprits, les événements des derniers mois.

Le mot d’ordre allemand : «  Contre le tsarisme  » tout comme le mot d’ordre anglais et français : «  Contre le militarisme  », a servi de moyen pour mettre en mouvement les instincts les plus nobles, les traditions et les espérances révolutionnaires du peuple au profit de la haine contre les peuples. Complice du tsarisme, l’Allemagne, jusqu’à présent pays modèle de la réaction politique, n’a aucune qualité pour jouer le rôle de libératrice des peuples.

La libération du peuple russe comme du peuple allemand doit être l’œuvre de ces peuples eux-mêmes.

Cette guerre n’est pas une guerre défensive pour l’Allemagne. Son caractère historique et la succession des événements nous interdisent de nous fier à un gouvernement capitaliste quand il déclare que c’est pour la défense de la Patrie qu’il demande les crédits.

Une paix rapide et qui n’humilie personne, une paix sans conquêtes, voilà ce qu’il faut exiger. Tous les efforts dirigés dans ce sens doivent être bien accueillis. Seule, l’affirmation continue et simultanée de cette volonté, dans tous les pays belligérants, pourra arrêter le sanglant massacre avant l’épuisement complet de tous les peuples intéressés.

Seule, une paix basée sur la solidarité internationale de la classe ouvrière et sur la liberté de tous les peuples peut être une paix durable. C’est dans ce sens que les prolétariats de tous les pays doivent fournir, même au cours de cette guerre, un effort socialiste pour la paix.

Je consens aux crédits en tant qu’ils sont demandés pour les travaux capables de pallier à la misère existante, bien que je les trouve notoirement insuffisants.

J’approuve également tout ce qui est fait en faveur du sort si rude de nos frères sur les champs de bataille, en faveur des blessés et des malades pour lesquels j’éprouve la plus ardente compassion. Dans ce domaine encore, rien de ce que l’on pourra demander ne sera de trop à mes yeux.

Mais ma protestation va à la guerre, à ceux qui en sont responsables, à ceux qui la dirigent; elle va à la politique capitaliste qui lui donna naissance; elle est dirigée contre les fins capitalistes qu’elle poursuit, contre les plans d’annexion, contre la violation de la neutralité de la Belgique et du Luxembourg, contre la dictature militaire, contre l’oubli complet des devoirs sociaux et politiques dont se rendent coupables, aujourd’hui encore, le gouvernement et les classes dominantes.

Et c’est pourquoi je repousse les crédits militaires demandés. »

KARL LIEBKNECHT.
Berlin, le 2 décembre 1914.