Maurice Thorez, L’Humanité, 11 mars 1960

J’ai connu autrefois un secrétaire de section qui avait une notion toute particulière de l’autocritique. Il ne retenait que la deuxième partie du mot, la critique, qu’il ne ménageait pas aux autres. Mais il en ignorait résolument la première partie, auto, c’est-à-dire : de soi-même. Procéder à la critique de soi-même, voilà bien la dernière idée qui aurait pu se présenter à l’esprit de notre homme. Au contraire, il disait sans sourciller en parlant de ses discussions avec un militant : « Je lui ai fait son autocritique ».

La façon dont le Président de la République comprend l’autocritique me semble assez proche des conceptions de mon secrétaire de section sur l’autocritique.

Dans les derniers propos qu’il a tenus en Algérie, propos confirmés sur le fond par un communiqué du ministre de l’Information, le général de Gaulle n’a plus seulement assorti la reconnaissance du droit à l’autodétermination du peuple algérien de réserves et de conditions qui ont, jusqu’alors, rendu impossible l’exercice de ce droit. Le chef de l’Etat a vidé de tout contenu le terme d’autodétermination.

Le peuple algérien fixera lui-même son destin… dans le sens que je lui indique. Je lui ferai son autodétermination. Tel est bien le sens de déclarations qui ne prétendent ne laisser aux Algériens que le « droit » de décider « sous quelle forme » sera maintenu leur état de sujétion au colonialisme.

La nation algérienne a droit à son indépendance totale. C’est nier le principe même de l’autodétermination que d’en déterminer les limites et les conditions et d’évoquer la partition de l’Algérie pour le cas où son peuple se prononcerait pour l’indépendance.

 Il est juste, il est nécessaire d’envisager des rapports particuliers entre la France et l’Algérie, dans l’intérêt de notre pays comme dans celui du peuple algérien. Ces rapports nouveaux et profitables à chacun des partenaires seront d’autant plus faciles à nouer, et dans tous les domaines, que l’on mettra rapidement un terme à la guerre d’Algérie, que l’on permettra au peuple algérien d’exercer en toute liberté son droit à l’autodétermination.

Les communistes ont toujours proposé une telle solution du problème algérien. Et l’accusation capital que nous portons contre les colonialistes et contre les gouvernements qui nous ont engagés dans cette guerre injuste, meurtrière et coûteuse, ou qui l’ont poursuivie de « dernier quart d’heure » en « dernier quart d’heure », c’est qu’en creusant le fossé de sang entre nos deux peuples, ils ont compromis et compromettent l’établissement de ces nouveaux rapports entre la France et l’Algérie.

En refusant la négociation, en relançant le mensonge de la prétendue pacification, c’est à la France, autant qu’à l’Algérie que l’on fait tort. Ce n’est pas ce qu’attendaient les millions de grévistes qui, le 1er février dernier, exigeaient le châtiment des émeutiers fascistes d’Alger, et ainsi l’application rapide et loyale de l’autodétermination.