Syndicat et politique

Meeting du 6 décembre 2015 (Paris 15ème) – Intervention de Joran Jamelot, secrétaire de l’Union locale CGT de Paris 15ème

Après le meeting et banquet de fin d’année du PCF Paris 15ème, nous reproduisons ces jours-ci sur vivelepcf.fr les interventions politiques prononcées à cette occasion par les représentants de la Jeunesse communiste de Paris 15ème, de l’Union locale CGT de Paris 15ème, du Parti algérien pour la démocratie et le socialisme (PADS) et du réseau national « Vive le Parti Communiste Français ». Très marqués par le contexte post-attentats de Novembre, les intervenants sont notamment revenus sur la responsabilité des gouvernements impérialistes dans la situation actuelle, la nécessité pour les travailleurs de déjouer l’état d’urgence et de reprendre et amplifier les luttes sociales et politiques pour inverser la tendance.

 

PCF Paris 15ème, repas fraternel du 6 décembre 2015, rencontre politique

Intervention de Joran Jamelot, secrétaire de l’Union locale CGT de Paris 15ème

Chers camarades, chers amis,

A l’invitation de la direction du PCF Paris 15, j’interviens ce matin avec la casquette CGT, pour vous faire part de quelques réflexions et analyses qui traversent nos syndicats et l’UL du 15ème sur les récents événements et les perspectives pour 2016.

Je vous transmets les salutations d’Alain Casale qui a envoyé au PCF Paris 15 son soutien personnel aux positions prises après les attentats. Il est en vacances, bien méritées, au Brésil. Comme vous le savez sans doute, Alain est parti à la retraite cette année et j’ai été désigné pour lui succéder au secrétariat de l’UL avec une direction collective, en charge de soutenir et animer l’activité syndicale de plus de 2000 syndiqués parmi 140.000 salariés travaillant dans notre arrondissement…

La CGT est l’une des très rares grandes organisations du pays à ne pas s’être entièrement alignée sur « l’Union nationale » demandée par Hollande. Elle s’est notamment opposée à la pérennisation de l’état d’urgence. Elle a annoncé au pouvoir qu’il ne devait pas compter sur une quelconque « trêve sociale ».

Cette réaction correspond à ce qu’ont vécu les salariés en général, ceux qui luttent en particulier, notamment cette année. Le gouvernement Valls/Macron n’a pas attendu les attentats pour procéder par coups de force, pour pratiquer l’intimidation, la provocation, la répression du mouvement social. Ils profitent maintenant cyniquement de l’état d’urgence d’aller plus loin jusqu’à restreindre le droit de manifester.

Avec des arrière-pensées politiciennes, le gouvernement a fait passer la loi Macron à coups de trois recours à l’article 49-3. Elle fait déjà ses ravages que ce soit avec la concurrence déloyale permise aux autocars contre le service public ferroviaire SNCF ou avec la banalisation du travail du dimanche. Sur ce dernier point, avant les attentats et la période de Noël, les sections CGT notamment de la FNAC se sont mobilisées. L’UL les a soutenues alertant les salariés des autres commerces du 15ème devant le risque pour les conditions de travail voire pour leur emploi même et la population. Cette lutte va s’intensifier sous des formes qui ne sont pas encore définies.

Les directions des entreprises publiques ne sont pas en reste. A la RATP, au dépôt d’autobus de Croix-Nivert notamment, la direction sanctionne et révoque à tour de bras frappant des militants syndicaux ou n’importe quel salarié pour créer un climat de peur et, en même temps, supprimer des emplois. Les motifs sont plus futiles les uns que les autres, jusqu’à reprocher à un machiniste d’avoir conduit le pantalon retroussé un jour de canicule !  L’action des camarades de la section CGT – que je salue – est remarquable. A chaque fois, elle mobilise sur la base de la solidarité ouvrière et mets, indissociablement, les revendications contre la casse du service public en avant. Après les attentats, le pouvoir et les médias pointent un phénomène religieux particulier à la RATP. Nous ne découvrons pas que la direction de l’entreprise s’est, dans certains dépôts, délibérément appuyée sur des militants communautaristes pour mieux faire passer sa politique. Mais, pour les camarades, il est absolument hors de question de laisser soupçonner des collègues, quel que soit leur niveau de piété, d’être des assassins en puissance. Ils mobilisent dans les luttes contre la direction, face aux réactionnaires et aux collabos, les agents quelles que soient leurs origines. C’est notamment là que se créent la solidarité et la fraternité, mots si galvaudés depuis les attentats.

Parmi les coups de force qui doivent faire parler et lutter encore, il y a le PPCR dans la fonction publique : le « protocole sur les parcours professionnels, les carrières et les rémunérations » des fonctionnaires. Il rentre dans une logique de casse du statut de la fonction publique. La CGT s’est exprimée contre. Contre son engagement solennel, le gouvernement fait passer le PPCR malgré l’opposition de syndicats représentatifs majoritaires ensemble aux élections. Voilà le vrai visage du « dialogue social » ! Dans l’immédiat, les fonctionnaires territoriaux, notamment régionaux, risquent d’être les plus concernés. Leur mobilisation se développe.

Les fonctionnaires hospitaliers sont aussi concernés. L’année 2015 aura été marquée par une lutte d’une ampleur inédite à l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris. Nos syndicats CGT de l’HEGP, de Necker et de Vaugirard s’y impliquent pleinement. Le directeur général Martin Hirsch, ex ministre de Sarkozy nommé par la gauche, est obligé de combiner passage en force et hypocrisie. La mobilisation et les manifestations du printemps ont été tellement puissantes contre son plan de suppression de jours de repos qu’il est obligé de recourir au « dialogue social ». Mais il revient à la charge cet automne avec un accord signé par la seule CFDT, ultra-minoritaire et contestée dans ses propres rangs. Cette provocation ne passe pas. La bataille du printemps a également détruit l’argumentation absurde de Hirsch qui prétendait faire travailler plus pour moins supprimer d’emplois. Enfin, un très large soutien dans l’opinion publique s’est exprimé. Le soir du 13 novembre, nos services étaient à cran. La qualité du service public, le dévouement des personnels ont été salués par tous. Hirsch s’en vante dans les revues américaines. Et en récompense au personnel, il veut encore et toujours les faire travailler plus et supprimer des postes !  Pendant que Hollande promet des embauches de policiers ! Non, cela ne passe pas, ne doit pas passer. La CGT a déjoué l’interdiction de manifester en occupant au début de cette semaine le siège de l’AP-HP. La colère et la détermination des agents sont toujours très fortes. Pour l’instant, elle ne peut plus s’exprimer de la même façon qu’en juin. Mais la partie est loin d’être gagnée pour Hirsch, comme pour la ministre Touraine au plan national. Je salue les camarades de Necker présentes.

La suite des attentats et l’état d’urgence font nationalement ressortir les provocations du pouvoir à Air France. Au soir de l’histoire de la chemise déchirée, Valls utilisait les mêmes mots que le soir des attentats du 13 novembre. Des salariés d’Air France ont été arrêtés au petit matin comme, un mois plus tard, de présumés terroristes. En octobre, cela ne passait pas parmi les salariés et dans l’opinion. Après le 13 novembre, cela ne passe plus du tout. D’autant plus que, depuis, on sait tout sur la stratégie délibérée de la direction et du DRH d’opposer les catégories de personnel, de les faire chanter sur leur emploi à chacun. Une grande solidarité de classe s’exprime derrière Air France. Plusieurs d’entre nous étaient à la manifestation de mercredi 2 à Bobigny, congestionnés par les CRS. Cégétistes, nous ne séparons pas cette solidarité des revendications essentielles : la mise en échec du plan de suppression de 2900 emplois et la poursuite du démantèlement de ce qui reste du service public d’Air France entamé par la privatisation de Jospin.

Méfions-nous des manipulations et provocations perfides du pouvoir, sous l’état d’urgence : la simple expression de la colère n’est pas la forme de lutte la plus efficace en ce moment. La répression incroyable et scandaleuse qui s’est abattue sur les militants écologistes dimanche dernier à République – certains sont assignés à résidence – nous révolte mais ne saurait nous faire adopter leur cause et leur moyens d’action comme modèles et références.

Chers amis, chers camarades, les conditions encore plus dures de la lutte des classes qui s’annoncent en France nous amènent une fois de plus au rapport entre le politique et le syndical. La grande journée d’action du 9 avril a montré l’existence d’une avant-garde prête à lutter, à faire grève, par centaines de mille, à la recherche de points de convergence et d’unité.

Dans la CGT, nous réfléchissons sur l’objectif de la semaine de 32 heures. Mais son actualité, quand les 35 heures n’existent pas en réel, est peu évidente. Et nous ne saurions défendre la supercherie des lois Aubry.

Le changement en 2017 ? On nous a déjà fait le coup en 2012, en cassant notamment la force du rassemblement pour la retraite à 60 ans de 2010.

D’ici 2017, je voudrais attirer l’attention sur la grave signification des récents propos de Gattaz appelant à faire barrage à Marine Le Pen aux régionales. Gattaz a osé assimiler les positions de Le Pen à des positions de gauche. Il a apporté sciemment une vraie aide à la démagogie sociale du FN. Dans le même temps, suivant la logique d’union contre le FN, il tente de se présenter comme étant du même côté que les syndicats qui appellent, de leur côté, ensemble à s’opposer à Le Pen. Leur plateforme commune qui vante l’Union européenne est très également très discutable et pose problème à bien des camarades. Ne laissons pas le rejet du FN effacer les oppositions de classe fondamentales !

Le lien entre syndicalisme et politique, et notamment entre CGT et partis de gauche, ne peut pas se concevoir par l’affichage d’élus en écharpe « aux côtés » de ceux qui luttent ou par la présence, cooptés en casting, de syndicalistes sur des listes électorales.

Je pense que les cégétistes du 15ème ont apprécié l’action de leurs collègues communistes et de la section du PCF à La Poste lors de la grève de l’an dernier mettant au centre l’emploi, à la SNCF contre la réforme ferroviaire, contribuant à faire changer le vote des députés Front de gauche – à l’hôpital, en lien avec l’opposition à la fermeture des centres de santé municipaux, etc.

Mais le besoin de politique pour les syndicalistes, pour les cégétistes va au-delà.

Comme le PCF, la CGT tient son congrès confédéral en 2016. Des questions cruciales seront – espérons-le – posées. Notamment celle de l’appartenance à la Confédération européenne des syndicats, la CES, partie prenante institutionnelle de l’UE capitaliste. En septembre, le congrès de la CES s’est déroulé à Paris sous le patronage de Hollande et de Juncker. Nous avons été beaucoup à protester. Nous sommes beaucoup à penser que les luttes nationales et internationales contre le capitalisme ne peuvent s’imaginer avec la CES. Le rapport avec les analyses de partis politiques comme le PCF est direct.

Récemment, dans Le Monde, notre nouveau secrétaire confédéral, Philippe Martinez, a, d’une certaine façon, lancé le débat du congrès en affirmant que le « syndicalisme est par essence réformiste ». Les turpitudes connues en 2015 avec l’affaire Lepaon ne sont peut-être pas si étrangères à cette affirmation.

Nous sommes très nombreux à penser toujours la nécessité d’un syndicat révolutionnaire, se battant pour des réformes immédiates…

A l’UL du 15ème, les camarades sans appartenance politique ou d’appartenances différentes travaillent en bonne intelligence.

L’existence d’un parti communiste, plus communiste, plus révolutionnaire, et pas seulement dans le 15ème, est – je crois pouvoir le dire -, en tout cas je le pense, très souhaitable ! Encore plus dans la période actuelle.

Philippe Martinez dans une interview au Monde : « Le syndicalisme est par essence réformiste ». Il a choisi son camp ! par Alain Casale

Le journal Le Monde daté du 22 septembre 2015 contient une interview de Philippe Martinez par Michel Noblecourt qui lui pose plusieurs questions générales sur la stratégie de la CGT dans le contexte politique marqué par les déclarations de Valls et Macron, après « l’affaire Lepaon », avant le congrès confédéral d’avril.

Le nouveau secrétaire général de la CGT y affirme notamment que « le syndicalisme est par essence réformiste », formule que Noblecourt a choisi – certainement pas par hasard – comme titre. Comme d’autres éléments de l’interview, elle pose question à des camarades syndiqués, elle les choque. Le changement de dirigeant national ne met pas fin au processus de mutation de la CGT qui l’entraîne dans une période de flottement sur ses orientations fondamentales et dans son organisation.

Pour alimenter le débat, nous reprenons ci-dessous la réaction d’Alain Casale, longtemps militant et responsable syndical CGT à La Poste et à l’interpro (UL CGT Paris 15). En bas de page, nous reproduisons également l’interview du Monde.

Réformiste ! : Philippe Martinez a choisi son camp. par Alain Casale

 

Dans un entretien avec Michel Noblecourt, Philippe Martinez affirme : « le syndicalisme est par essence réformiste ». Situés à une époque où les dégâts humains et sociaux, dans notre pays et au delà sont considérables ; où, au plan syndical, la masse de la CGT a refusé la collaboration avec le patronat (qui consistait à accentuer ces effets) par son rejet, notamment, du pacte de responsabilité ; où les déboires immobiliers de son ancien secrétaire général ont, légitimement, troublé les adhérents et les salariés, ces propos ne sont pas anodins. Disons qu’il aurait été, pour le moins, plus logique que le secrétaire général de la première centrale, et syndicat historique, de la France réaffirme la vocation inscrite dans ses statuts de répondre aux intérêts matériels et moraux des travailleurs et de participer à la transformation de la société.

S’agit-il d’une simple question de sémantique ?

Lorsque l’on parle de syndicalisme en France, on est bien obligé d’entendre qu’il s’agit là de la CGT, premier syndicat, créé, et de très loin : 1895. Dès lors, annoncer péremptoirement que « le syndicalisme est par essence réformiste » est une contre-vérité historique, innocente ou volontaire. En effet, le congrès de Limoges de 1895 regroupe les fédérations, d’orientation plutôt réformiste et les Bourses du travail dont l’orientation était plutôt celle des syndicalistes révolutionnaires. Depuis cette époque, une lutte d’influence existe, et c’est logique. Depuis cette époque, parallèlement, patronat et gouvernement n’ont eu de cesse de chercher à diviser le mouvement syndical, de peser sur la CGT (qui comprend dans ses statuts le volonté de changer la société) pour la rendre présentable et ne plus empêcher les profits de tourner en rond.

Constatons que Thierry Lepaon, avait lui aussi pris une large autonomie vis à vis des statuts qu’il était sensé respecter et faire vivre, sans que cela ait ému alors les dirigeants de la centrale, dont Philippe Martinez. Dans une interview au nouvel économiste en 2014, il affirme : « Il n’existe à la CGT aucune opposition de principe face au patronat. L’entreprise est une communauté composée de dirigeants et de salariés – là encore, je regrette que les actionnaires fassent figures d’éternels absents – et ces deux populations doivent pouvoir réfléchir et agir ensemble dans l’intérêt de leur communauté. »

Examinons les statuts de la CGT :

« Prenant en compte l’antagonisme fondamental et les conflits d’intérêts entre salariés et patronat, entre besoins et profits, elle combat l’exploitation capitaliste et toutes les formes d’exploitation du salariat. »

Remontons un peu plus loin dans le temps. 2004, lors du débat sur la future Constitution européenne, Bernard Thibault, devant la CES, avait affirmé : « il n’est pas certain que nous (la CGT) prenions position ». Là aussi, cet avis est discutable aux yeux des statuts de la CGT. Il avait alors initié un large débat dans le syndicat en excluant de faire prendre position à sa commission exécutive (ce qui est pourtant son rôle). De fait les militants avaient alors accompli leurs missions, c’est à dire réuni leurs instances, fait débattre leurs syndiqués et fait un choix. Ainsi Les unions locales, départementales, les fédérations, au travers, de congrès, comités généraux, comités nationaux fédéraux avaient décidé du Non à toute Constitution européenne, décision qui avait été logiquement reprise par le CCN de début 2005. Or, à la suite de ce CCN, on ne peut plus représentatif, les trois principaux dirigeants de la CGT avaient poussé sur toutes les ondes de radio et de télévision des cris d’orfraie vitupérant à l’absence de démocratie (!). Le résultat électoral du 29 mai 2005 fut ce que chacun sait traduisant ainsi avec éclat la qualité des militants de la CGT (la baaase), leur prise avec le réel et de fait, il faut bien le reconnaître la coupure avec sa direction, qui, nous le constatons, ne s’est pas démentie par la suite. Observons, en illustrant au travers de ce scrutin sur la constitution européenne, que le Sénat et l’Assemblée Nationale réunis en congrès avaient approuvé à 85% cette constitution et l’on aura un aperçu des réels problèmes de notre pays. On  pourra ainsi chercher les solutions du bon côté.

C’est aussi ce conseil que l’on pourrait donner à Philippe Martinez. Et alors le contenu des réponses données à Michel Noblecourt aurait un parfum différent.  Tant sur la cause des revers électoraux dans les grandes entreprises, que sur les accords d’entreprise ou sur les journées d’action.

Ainsi ces militants de la CGT qui sont en phase, eux, avec le peuple seraient insuffisamment attentifs à la diversité du salariat dans leur entreprise et à la situation des jeunes ? Les jeunes qui gagnent 900€ par mois [en réaction à une réponse de P. Martinez ci-dessous - NdlR] sont à même de juger de leur travail, de son intérêt, de jauger qu’évidemment 900 € ce n’est pas assez, qu’il leur faudra payer un loyer, leur nourriture, leurs vêtements, leur transport, leurs loisirs… Ils sont capables de donner eux-mêmes le qualificatif adéquat à leur activité sans que le militant de la CGT intervienne. Au contraire, celles et ceux qui acceptent de représenter la CGT dans l’entreprise doivent-ils leur apprendre la soumission ou, avec la défense de leurs intérêts immédiats, la nécessité de changer une société qui exploite et exclut ?

Ce seraient donc eux les responsables des échecs électoraux et non la stratégie de syndicalisme rassemblé avec ceux qui prônent ouvertement la compromission avec le patronat, dont rappelons-le les statuts de la CGT rappellent l’antagonisme fondamental ? En fonction de cela il faudrait laisser les accords d’entreprise (lieu où il y a inégalité de fait à l’avantage de l’employeur) prendre le pas, sous prétexte de s’adapter, sur le Code du travail ? C’est ainsi que construit de manière pragmatique le recul social. Les délégués dans les entreprises signent ce qu’ils peuvent en fonction du rapport des forces mais aussi du sens et du poids que donne la confédération et de l’aide qu’elle peut apporter.

Ces hommes et ces femmes, délégués du personnel, représentants syndicaux, militants évoluent dans un environnement hostile. Ils sont la force et l’honneur de la CGT. S’il faut passer d’une CGT « donneuse de leçons » à une société un peu plus humble, qui écoute plus, c’est à toi Philippe Martinez que ces recommandations doivent s’adresser !

 

 

LE MONDE – 22 SEPTEMBRE 2015

Philippe Martinez « Le syndicalisme est par essence réformiste »

Le numéro un de la CGT, Philippe Martinez, estime « déplacés » les propos de M. Macron sur les fonctionnaires

Propos recueillis par Michel Noblecourt

Elu il y a huit mois à la tête de la CGT après la démission de Thierry Lepaon, Philippe Martinez définit la stratégie de sa centrale. Il refuse, pour l’heure, de dire s’il va participer à la conférence sociale du 19 octobre. La CGT tiendra son prochain congrès à Marseille en avril 2016.

Vous avez été élu à la tête de la CGT à la suite d’une crise qui a conduit à la démission de son secrétaire général. La CGT est-elle sortie de cette crise?

La CGT est sortie de la crise. On reparle plus de nos orientations et de nos activités que de nos affaires internes, même s’il y a encore quelques soubresauts. Involontairement, et à tous les niveaux, on avait un peu lâché la réflexion sur notre conception du syndicalisme. Dès février, on a repris cette démarche visant à rééquilibrer nos tâches institutionnelles et le lien avec les salariés.

La CGT aurait perdu, en 2014, entre 50 000 et 75 000 adhérents…

C’est faux. Il y a eu un retard dans le paiement des cotisations entre la fin 2014 et le premier trimestre 2015. Aujourd’hui, on a complètement rattrapé le retard et on est même en légère progression. Par rapport à la fin août 2014, on a 2 618 adhérents de plus. Le nombre exact d’adhérents sera connu en fin d’année.

La CGT a subi une série de revers électoraux dans de grandes entreprises publiques. Cela vous inquiète?

Oui. Il y a des raisons qui sont dues à la crise mais on a aussi une part de responsabilité. Il faut qu’on soit plus attentif à la diversité du salariat dans les entreprises et à la situation des jeunes. Dire à un jeune qui a été au chômage pendant quatre ans et qui décroche un contrat où il va gagner 900 euros que c’est pas assez, que son boulot est pourri, alors qu’il n’a jamais gagné autant, ce n’est pas la bonne attitude. On peut l’encourager à venir avec nous et, une fois entré dans l’entreprise, on milite ensemble pour améliorer sa situation. Il faut passer d’une CGT « donneuse de leçons » à une CGT un peu plus humble, qui écoute plus.

Vous inscrivez-vous dans la mutation de la CGT, engagée par Louis Viannet et poursuivie par Bernard Thibault, qui conduisait à une certaine adaptation de votre syndicalisme?

Ce n’est pas la lecture que j’en ai. Cette démarche a réaffirmé l’indépendance par rapport aux partis politiques. Ce serait une bêtise de revenir en arrière. Il faut la réaffirmer haut et fort. Il faut réfléchir sur le syndicalisme rassemblé lancé par Louis Viannet en 1995. Le besoin d’unité syndicale demeure, mais il ne faut pas faire semblant d’être d’accord quand on ne l’est pas. Notre priorité, c’est le lien avec les salariés. Il n’y a donc pas de rupture. On s’inscrit dans la continuité mais en prenant en compte la situation actuelle.

Vous estimez que vous passez « trop de temps dans les bureaux des ministres et des patrons », cela signifie-t-il que vous allez être hors du jeu institutionnel?

Non, c’est une question de rééquilibrage. Il faut du dialogue. La négociation, c’est une des finalités du syndicalisme qui, par essence, négocie. Mais, depuis quelques années, il peut se passer huit mois entre le début et la fin d’une négociation, parce qu’on multiplie les groupes de travail préparatoires et les bilatérales. On passe notre vie sur un sujet qui ne mérite pas autant de temps. Je connais des militants et des dirigeants qui passent quatre jours par semaine avec leur patron mais quand est-ce qu’ils vont voir les salariés?

Est-ce du temps perdu de rencontrer le président de la République, le premier ministre ou le président du Medef?

Ce n’est pas du tout inutile. Il ne faut pas les voir pour discuter entre gens de bonne compagnie mais pour leur remettre les pieds sur terre et leur parler de la vraie vie. Je veux bien aller visiter une entreprise avec le président de la République ou un ministre.

Vous avez rencontré Pierre Gattaz?

Je dois le rencontrer cette semaine. C’est normal de voir le patronat, ce n’est pas du temps perdu. Ce qui est inutile, c’est de passer sa vie avec les patrons et de décider du sort des salariés sans que les salariés s’en mêlent.

Le rapport Combrexelle donne la priorité aux accords d’entreprise, qui devront être majoritaires. Or la CGT signe 85 % de ces accords. Avez-vous peur de la négociation d’entreprise?

On n’est pas contre la négociation d’entreprise, mais il ne faut pas inscrire dans la loi une dérogation généralisée au code du travail. Ce n’est pas la peine de diminuer le volume du code s’il est fait pour décorer une vitrine. Le code du travail, c’est la loi et elle doit être la même pour tous les salariés. Le respect de la hiérarchie des normes est indispensable. Après, dans les branches puis dans les entreprises, il faut des négociations parce qu’il y a besoin d’adapter. L’organisation du travail n’est pas la même dans un service public et dans une entreprise.

Tout est-il à rejeter dans ce rapport?

On ne rejette pas tout. Les accords majoritaires, on est pour. Mais on ne veut pas de négociations où le patronat fait du chantage en disant ou vous acceptez ce qu’on propose, ou on ferme et on délocalise.

Vous récusez la ligne de partage entre syndicats réformistes et contestataires?

Je préfère dire qu’on n’a pas la même conception du syndicalisme. Il y a des syndicats qui considèrent que le rapport de forces n’est plus d’actualité. Ils sont plus dans la délégation de pouvoir que dans le lien avec les salariés. C’est leur droit. Nous, on ne veut pas qu’on nous impose du dehors notre conception du syndicalisme. Nous sommes pour des réformes – les 32 heures, c’en est une – à condition qu’elles ne signifient pas un recul des acquis sociaux. Le syndicalisme, par essence, est réformiste. Mais gouvernement et patronat ont dévoyé le mot réforme.

Vous organisez une nouvelle journée d’action le 8 octobre. Mais les précédentes journées ont eu peu d’écho.

La précédente journée du 9 avril était plutôt réussie. Il y a beaucoup de luttes dans les entreprises, souvent gagnantes. Au plan national, un des rôles de la confédération est d’essayer de coordonner ces luttes. On a besoin de plus de batailles « idéologiques » parce que la crise pèse sur les revendications. Tout le monde est d’accord pour dire que ça ne va pas, mais tout le monde n’est pas d’accord sur le comment faire autrement. Il est important que la CGT appelle plus souvent à des mouvements pour peser dans le débat.

Mais à l’arrivée le gouvernement ne bouge pas…

La politique du renoncement ne date pas d’aujourd’hui. Le gouvernement a choisi son camp. Par rapport aux promesses du candidat Hollande, il y a un décalage qui pèse forcément dans les mobilisations. Ce n’est pas parce qu’on est à contre-courant qu’on a tort.

Entre Hollande et Sarkozy, il n’y a pas de différence?

Sur les questions économiques, il n’y a pas beaucoup de différence. Sur le rapport Combrexelle, les éloges sont venus du parti des Républicains.

Que pensez-vous de la déclaration d’Emmanuel Macron mettant en cause le statut des fonctionnaires?

Ces propos sont déplacés et contribuent à la campagne de dénigrement des fonctionnaires et du service public. Ils consistent à opposer les salariés entre eux pour éviter de parler des vraies raisons de la crise.

 

 

Congrès de la CES à Paris: débat à l’UD CGT de Paris – Position du secrétaire de l’UL de Paris 15

La CGT a un rôle à jouer dans la renaissance d’une internationale syndicale de lutte de classe. Ça ne se fera certainement pas avec la CES ou la CSI !

UD CGT Paris – CE élargie du 27 août 2015

Objet : Congrès de la CES, du 29 septembre au 2 octobre

Intervention de Joran Jamelot, secrétaire de l’Union locale CGT du 15ème arrdt

Chers camarades,

Merci au bureau de l’UD de Paris de créer les conditions d’un véritable débat autour des enjeux du congrès de la Confédération Européenne des Syndicats à Paris. Contrairement à l’apparence, il n’est pas déconnecté des enjeux de la rentrée, de la façon dont la CGT peut et doit les aborder. Nous avons tous en tête la force salariée et syndiquée qui s’est exprimée le 9 avril dernier, ses attentes de lutte. Aussitôt après, l’affiliation sur le mot d’ordre européen de la CES, porté aussi par la CFDT et l’UNSA, n’a pas permis de prolonger le 1er mai la dynamique du 9 avril. Celle-ci reste la clef de la riposte, en cette rentrée, à la politique antisociale de Hollande et Valls.

Vu la période de convocation, la Commission Exécutive de l’UL du 15ème n’a pas pu se réunir pour discuter du congrès de la CES. Je m’exprime donc à titre personnel, même si la réunion du bureau et toutes les réactions reçues des sections vont dans le même sens.

D’abord, le programme du congrès choque. Hollande, Juncker, les commissaires européens, les dignitaires du patronat européen comme intervenants: ce n’est pas un congrès syndical, c’est l’université d’été du Medef !

Cette année, aussi parce que le congrès se tient à Paris, à la Mutualité, éclate aux yeux des camarades la différence, l’opposition complète de conception syndicale entre les syndicats de lutte comme la CGT et les syndicats institutionnels de collaboration comme la CES. Dans le communiqué du CCN du 28 mai, on lit que le congrès de la CES « devrait être aussi l’occasion d’unir le syndicalisme dans une posture offensive pour construire un modèle social en rupture avec le libéralisme européen et qui réponde aux attentes des travailleurs. » On a l’impression que la direction confédérale s’efforce de tordre la réalité mais elle ne peut pas y parvenir devant l’évidence.

La secrétaire générale sortante de la CES, la Française Bernadette Ségol, est une technocrate jusqu’à son élection à la CES inconnue du mouvement syndical français. Va lui succéder un autre technocrate, Luca Visentini, issu de l’UIL syndicat italien créé par la CIA contre le syndicat révolutionnaire, notre homologue la CGIL à la Libération. Elle avait elle-même succédé au Britannique John Monks, devenu Lord Monks, puisqu’il a été fait Lord par la Reine d’Angleterre, qui n’est pas non plus précisément une travailleuse…

Et ce n’est vraiment pas une question de principe ou de culture différente mais une contradiction systématique. On le voit sur les sujets brûlants. Quand nous combattons la perspective du TTIP euratlantique, la CES y voit – je cite – « un appel à un accord de commerce UE-USA qui bénéficie aux citoyens ».

Au sujet de la Grèce, avec les syndicats grecs publiquement dirigés par les socio-démocrates et la droite, la CES s’est faite le chantre de la défense à tout prix de la dépendance à l’UE et à l’euro. La CES est conforme à sa raison d’être de défendre le modèle européen de l’UE du capital.

Comment ne pas se souvenir de son action de groupe de pression pour le projet de constitution européenne en 2005 contre la position collective finale de la CGT notamment ? Comment ne pas rappeler les ingérences de Lord Monks dans la vie syndicale irlandaise pour casser le NON au traité de Lisbonne. Comment ne pas repenser au point d’appui trouvé dans la CES par Raffarin et Sarkozy pour faire passer en France la casse du statut EDF/GDF puis la privatisation ? On pourrait multiplier les exemples sur la réforme ferroviaire, etc.

Là où CGT nous analysons un appareil systématique coordonné de casse des acquis sociaux, la CES promeut un socle social européen. Il est temps que cette contradiction totale éclate. Non – le congrès de Paris l’illustre – la CGT n’est pas en train de changer la CES ! Mais, la CES est en train de changer la CGT. La question de la CES n’est pas une question extérieure : elle rejoint les questions fondamentales posées avant le congrès confédéral.

Vu la provocation que représente le programme du congrès de la CES à la Mutualité, je propose que l’UD de Paris décline l’invitation à y assister et le fasse savoir publiquement.

Au-delà, je fais partie de ceux qui demandent l’ouverture dans l’UD avant le congrès confédéral d’une tribune particulière sur l’intérêt et les inconvénients pour la CGT de rester membre de la CES.

La CGT a un rôle à jouer dans la renaissance d’une internationale syndicale de lutte de classe. Ça ne se fera certainement pas avec la CES ou la CSI !

Congrès de la Confédération européenne des syndicats (CES) à Paris en septembre : une réplique du sommet de Davos, un pic de la collaboration de classe ! Dedans, dehors ? Où est la place des syndicalistes de classe ?

Vivelepcf, 29 juillet 2015

Il va y avoir du beau monde au Palais de la Mutualité entre le 29 septembre et 2 octobre 2015 ! Bertrand Delanoë et Anne Hidalgo n’ont pas fait transformer pour rien ce lieu historique de réunion des organisations ouvrières en centre de congrès de standing.

En regardant le programme et les intervenants annoncés pour le 13ème congrès de la Confédération européenne des syndicats, la CES, on est frappé : on dirait une réplique du sommet annuel de Davos, cette station climatique suisse qui accueille chaque année la fine fleur des penseurs capitalistes et leurs amis.

Certes, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, qui ouvrira les travaux de la CES, s’est fait porter pâle à Davos cette année pour cause de scandale financier brûlant au Luxembourg. Mais ses amis étaient là, comme ce cher Martin Schultz, président du Parlement européen. A Paris, la CES sera aussi heureuse de faire monter à la tribune, parmi la douzaine d’orateurs annoncés, Marianne Thyssen, la commissaire européenne à « l’emploi », le ministre luxembourgeois du travail, Nicolas Schmit, le porte-parole du patronat européen « Business-Europe », Marcus Beyrer, ou le m’as-tu-vu de l’économie, découvreur français de l’inégalité de la distribution des richesses dans le capitalisme, Thomas Picketty.

Les habitués de Davos reconnaîtront les apparatchiks des organisations de collaboration, Guy Ryder, président de l’OIT et, naturellement, la secrétaire générale sortante de la CES, la Française Bernadette Segol, dont la caractéristique principale est de n’avoir jamais appartenu à un syndicat de travailleurs…

Last but not least, comme à Davos 2015, les 600 participants auront le privilège d’entendre, juste après l’autorité suprême européenne, le président français, François Hollande. Parlera-t-il de l’union nécessaire du travail et du capital contre le terrorisme (en concordance avec la déclaration commune de syndicats français pour prolonger l’esprit du 11 janvier) ou de ses efforts pour faire passer le massacre social de Tsipras en Grèce afin de préserver l’Europe et l’euro ?

Chaque année, des opposants organisent dans les Alpes suisses des manifestations symboliques, des contre-sommets pour détruire l’idée du consensus derrière les positions des économistes et de leurs collaborateurs réfugiés dans les hôtels de luxe de Davos. Au regard de l’événement que représente le congrès de la CES, on pourrait imaginer la même chose dans une ville comme Paris, malgré des forces de l’ordre mobilisées comme pour une visite d’un prince du Golfe.

Quelle autre organisation française pourrait et devrait animer cette mobilisation sinon la CGT ? Le problème, c’est qu’elle est membre maintenant de la CES et que ses dirigeants successifs attachent une grande importance à s’en faire bien voir !

Peu importe que la CES soit l’institution d’origine anticommuniste destinée à servir de relai à l’intégration européenne comme elle l’a montré avec zèle dans son travail, pays par pays, contre chaque peuple, pour faire passer le traité de Lisbonne, sa référence « sociale ». Peu importe qu’elle prône un bon accord TIPP transatlantique entre les multinationales européennes et américaines. Peu importe qu’elle privilégie aujourd’hui l’intégration européenne à la survie des travailleurs grecs.

Le choix des directions de la CGT d’adhérer à la CES continue de créer des remous. Après la grande mobilisation du 9 avril qui a fait la démonstration des attentes d’une ligne de lutte de l’avant-garde de la classe ouvrière, la nouvelle direction de la CGT a décidé d’en rabattre et de s’aligner le 1er mai sur le mot d’ordre européen fumeux de la CES, d’abandonner la dynamique du 9, pour rester collée aux autres composantes françaises de la CES qui n’y appelaient pas comme la CFDT et l’UNSA (la CFDT devrait gagner une vice-présidence de la CES au congrès). On comprend que cela pose question parmi les syndicats et sections syndicales CGT. Les changements de direction à la tête de la CGT et de certaines de ses fédérations, dans une confusion gênante, ne semblent rien clarifier sur ces questions essentielles.

Si la question de la rupture avec la CES – la sortie de cette organisation de collaboration – s’impose, la rupture avec des pratiques dévoyant sournoisement l’internationalisme dans l’adhésion à l’UE du capital est aussi de plus en plus posée. Ces « euromanifs » avec des apparatchiks réformistes, donnant l’illusion que c’est à Bruxelles ou Luxembourg que cela se passe, faisant accepter en préalables, pour essayer les corriger à la marge, les diktats, directives et autres règlements européens – ceux-là mêmes qui tuent notre sécurité sociale, nos services publics, notre droit du travail etc. vont à l’encontre des luttes nationales et de leur coordination internationale.

Que la CES organise son congrès à Paris peut être une belle opportunité. Celle de contester massivement l’appartenance de la CGT à la CES et de dénoncer sa pédagogie de la résignation à l’UE du capital.