EDT, vivelepcf, 3 avril 2015
Politicien roué, Jean-Marie Le Pen sait ce qu’il fait et ce qu’il dit. Le journaliste de RMC, à forte tendance poujadiste, Jean-Claude Bourdin, vraisemblablement aussi. Dans son émission du 2 avril, il a lourdement tendu la perche au récidiviste pour qu’il réitère, tranquillement, sa célèbre estimation selon laquelle les chambres à gaz n’ont été qu’un « détail de l’histoire ». Bien évidemment un tollé médiatique s’ensuit. Le ministre de l’intérieur donne le ton de l’indignation générale. Et les journalistes, à l’unisson, de s’étaler sur les divergences supposées entre Jean-Marie et Marine.
On notera que Jean-Marie a fait sa sortie après des élections départementales qui ont vu le FN atteindre un nouveau sommet en pourcentage (25%) des suffrages exprimés, même s’il reste loin du nombre de voix des présidentielles (5,1 millions contre 6,4).
Jean-Marie Le Pen s’est peut-être fait plaisir dans son exercice de style favori, le rappel provocateur, insinuant, de son engagement d’extrême-droite de toujours. Mais beaucoup plus pragmatiquement, il a rendu la pareille au pouvoir en place, au système, qui assure la prospérité de sa boutique familiale.
Avec le peu de finesse qui le caractérise, mais avec une certaine efficacité, Manuel Valls a laissé voir le pot aux roses avant les élections, suivant le sinistre exemple de François Mitterrand.
En dramatisant, en s’alarmant publiquement de la possible élection de Marine Le Pen aux présidentielles de 2017, Valls a choisi de mettre en avant le FN. Son but immédiat était de valoriser le FN, dans posture de « seule alternative », de gêner la droite, de rassembler sur le plus petit dénominateur le « peuple de gauche ». A plus long terme, il s’agit de polariser tout le débat politique sur le FN et sur 2017, de continuer à détourner la colère populaire à la fois vers la haine stérile et vers l’échéance institutionnelle illusoire, d’étouffer ce faisant le seul moteur réel de la rupture avec la politique au service du capital : les luttes.
Avec l’aggravation de la crise économique, avec surtout le discrédit du modèle de l’alternance droite/gauche, UMP/PS et cie, le système a encore plus besoin de recourir à l’extrême-droite que dans les années 80/90. En réponse, le FN rénové affine son « offre » politique en direction de couches sociales plus diversifiées. Mais quel serait l’intérêt de développer le FN s’il apparaissait comme un parti comme les autres ? Réduit à la parole technocratique d’un Florian Philippot, énarque ayant navigué du chevènementisme à la droite, de surcroît conforme à l’idéologie dominante sur les questions de société, le vote FN perdrait son caractère sulfureux, susceptible d’attirer la colère primaire et de servir de repoussoir pour le système.
Les derniers propos de Jean-Marie Le Pen sont à replacer dans ce cadre politique. Il revient à l’histoire, à la seconde guerre mondiale, parce que son discours de haine sur l’immigration a été rattrapé par Sarkozy et même suivi par Valls (dont on se souvient des sorties contre les Roms notamment). De surcroît, cette histoire ne préoccupe pas fondamentalement l’électorat du FN alors qu’elle a le don d’exciter et de révolter les catégories « politisées ».
La double posture, c’est tout bénef pour la maison familiale FN, sa nouvelle pédégère Marine, avec Philippot d’un côté et Jean-Marie puis Marion de l’autre.
La campagne électorale des départementales a eu cela de remarquable aussi que la dramatisation du FN orchestrée par le pouvoir lui a permis d’esquiver le débat de fond, tout exposé de ses propositions politiques. Depuis quelques années, le FN a fortement amélioré son discours, souvent percutant et en apparence argumenté, en direction de catégories précises, comme les agriculteurs, même les enseignants.
Mais, dès qu’il faut s’adresser à tout le monde à la fois, les idéologues du FN sont à la peine. Comment parler aux ouvriers et aux patrons en même temps, surtout qu’on est du côté des moins nombreux ? La surenchère contre l’immigration est éventée. Il ne lui reste – le pouvoir s’est complu à la favoriser – que son image de parti « anti-système » qu’on n’a « pas expérimenté encore ». Le tract national de base pour les départementales était affligeant avec le verso entier ne comprenant qu’une seule formule reprise treize fois : « le PS, l’UMP, l’UDI, le Modem, les Verts, le Front de gauche proposent de lutter contre le Front national ». Marine Le Pen ne trouve maintenant comme première proposition à porter par ses nouveaux élus départementaux que la remise en cause du régime de retraite des élus précédents. Ça ne va pas loin…
Mais si, il reste un discours phare, lui aussi mis en avant avec insistance par Hollande, Sarkozy ou Valls : le refus de l’Union européenne. Là, nous touchons le cœur de la mission de repoussoir du FN. Il faut dénaturer, détourner vers le nationalisme, l’opposition de classe des travailleurs contre l’UE, 10 ans après la victoire du NON au référendum sur la « constitution européenne ». Rappelons à toutes fins utiles qu’avant d’être – déjà – mandaté par le pouvoir mitterrandien pour discréditer le NON à Maastricht, Jean-Marie Le Pen était un des plus chauds partisans de l’intégration européenne, d’une grande Europe « politique, économique et militaire ».
Communistes, il n’y a aucune contradiction pour nous entre être intransigeants face aux résurgences fascistes, notamment au révisionnisme de l’histoire de la 2ème guerre mondiale et éviter le piège que représente l’instrumentalisation du FN par le pouvoir. Contre l’assemblage capitaliste et impérialiste qu’est l’UE supranationale en particulier, les positions défendues par le PCF de 1947 à 1998 sont plus avérées que jamais.
Nous pouvons et devons résister à la pression destinée à détourner l’attente de rupture politique vers une résignation, une résignation au moindre mal, de nouvelles illusions électorales en 2017. Nous pouvons et devons contribuer à ce que l’objectif de la convergence des luttes, notamment à partir de la grande journée du 9 avril, à l’initiative de la CGT, ne soit pas transformé en vague programme électoral et en minimum politique contre l’épouvantail fasciste.
Où étaient les Le Pen pendant les manifestions de 2010 pour les retraites, en juin 2014 contre le projet de démantèlement de la SNCF ? Pas avec nous! Pas de risque!