Qui se cache derrière « l’intérêt général » ?

Réflexion, vivelepcf, 7 mai 2013

« Toute classe qui aspire à la domination doit conquérir d’abord le pouvoir politique pour représenter à son tour son intérêt propre comme étant l’intérêt général. » Karl Marx, l’Idéologie allemande.

 

L’appel à l’intérêt « général » est le lieu commun de tout discours politique en démocratie bourgeoise. Il sert de justification suprême à des propositions de mesure qui peuvent être pourtant totalement différentes, sinon opposées.

Notre expérience de communistes, nourrie de notre théorie marxiste, nous fait constater, aujourd’hui comme hier, l’existence, dans la société capitaliste, d’intérêts fondamentalement contradictoires, schématiquement ceux de la classe ouvrière, des travailleurs d’un côté, ceux des possédants de l’autre. Le capitalisme fait de toute question une question de classe. L’intérêt « commun », l’intérêt « général » ne peut alors être qu’une fiction.

Admettons, et encore, qu’un compromis avantageux pour tous, dans des conditions données, puisse être possible dans la fixation d’un sens unique dans une rue, de rambardes de protection autour d’un plan d’eau…

Marx nous explique que la notion d’intérêt « général » est la fiction utilisée par la classe dominante pour dissimuler et faire prévaloir son intérêt propre. L’intérêt « général » est en particulier l’instrument de légitimation de la pseudo-neutralité de l’Etat, en fait de l’Etat de classe à son service pour contenir la lutte des classes. Dans la population, y compris parmi la classe ouvrière, l’acception, le contenu de l’intérêt « général » est définie par l’idéologie dominante, aux mains de la classe capitaliste.

Aussi, nous nous étonnons – ce n’est pas une première fois, que la direction du PCF suive Jean-Luc Mélenchon dans son éloge permanent de l’intérêt « général ». Il a repris, encore, cette expression plus de dix fois dans son discours à la Bastille.

Mélenchon est logique avec lui-même. Il n’est pas sur une position de classe. Son programme s’appelle « l’Humain d’abord » et met « d’abord », au même niveau, aussi bien Mme Bétencourt que les salariés de Goodyear. Il ne s’adresse pas aux travailleurs, mais aux « citoyens ».

Mélenchon illustre la flexibilité infinie du concept d’intérêt « général ». Il s’est réjoui ainsi de la vente d’avions de guerre Dassault à l’Inde, au nom du progrès technique et de l’emploi, de l’intérêt « général ».

Même sur une question telle que la préservation de l’environnement, tellement mise en avant par l’idéologie dominante, et reprise de façon opportuniste par Mélenchon, la notion d’intérêt « général » ne tient pas. Bien sûr, personne ne peut accepter une perspective d’explosion de la planète (on attend toujours la condamnation du nucléaire militaire français, même des dits écolos !).

Mais le débat idéologique sur l’écologie est en réalité le reflet à la fois d’oppositions entre multinationales et puissances impérialistes, différemment situées sur les marchés de l’énergie, et d’une campagne pour inciter les populations, les pauvres, à accepter des sacrifices dans leur vie quotidienne au nom de ce nouvel impératif suprême.

L’écologie, comme toute question, est une question de classe. Faire reculer, vaincre le capitalisme ne pourra être l’œuvre que de ceux qui y ont le plus intérêt, les prolétaires. Ils ont besoin d’un parti révolutionnaire organisé pour cela, équipé de ses outils historiques, marteau et faucille.

Quand la classe ouvrière aura imposé son intérêt propre, là seulement, on pourra parler d’intérêt général !

Ci-dessous, le passage complet d’ l’idéologie allemande d’où est extraite la citation célèbre.

« De plus, la division du travail implique du même coup la contradiction entre l’intérêt de l’individu singulier ou de la famille singulière et l’intérêt collectif de tous les individus qui sont en relations entre eux; qui plus est, cet intérêt collectif n’existe pas seulement, mettons dans la représentation, en tant qu’ « intérêt général », mais d’abord dans la réalité comme dépendance réciproque des individus entre lesquels se partage le travail. Enfin la division du travail nous offre immédiatement le premier exemple du fait suivant: aussi longtemps que les hommes se trouvent dans la société naturelle, donc aussi longtemps qu’il y a scission entre l’intérêt particulier et l’intérêt commun, aussi longtemps donc que activité n’est pas divisée volontairement, mais du fait de la nature, l’action propre de l’homme se transforme pour lui en puissance étrangère qui s’oppose à lui et l’asservit, au lieu qu’il ne la domine. En effet, dès l’instant où le travail commence à être réparti, chacun a une sphère d’activité exclusive et déterminée qui lui est imposée et dont il ne peut sortir; il est chasseur, pêcheur ou berger ou critique critique, et il doit le demeurer s’il ne veut pas perdre ses moyens d’existence; tandis que dans la société communiste, où chacun n’a pas une sphère d’activité exclusive, mais peut se perfectionner dans la branche qui lui plaît, la société réglemente la production générale ce qui crée pour moi la possibilité de faire aujourd’hui telle chose, demain telle autre, de chasser le matin, de pêcher l’après-midi, de pratiquer l’élevage le soir, de faire de la critique après le repas, selon mon bon plaisir, sans jamais devenir chasseur, pêcheur ou critique. Cette fixation de l’activité sociale, cette pétrification de notre propre produit en une puissance objective qui nous domine, échappant à notre contrôle, contrecarrant nos attentes, réduisant à néant nos calculs, est un des moments capitaux du développement historique jusqu’à nos jours. C’est justement cette contradiction entre l’intérêt particulier et l’intérêt collectif qui amène l’intérêt collectif à prendre, en qualité d’État, une forme indépendante, séparée des intérêts réels de l’individu et de l’ensemble et à faire en même temps figure de communauté illusoire, mais toujours sur la base concrète des liens existants dans chaque conglomérat de famille et de tribu, tels que liens du sang, langage, division du travail à une vaste échelle et autres intérêts; et parmi ces intérêts nous trouvons en particulier, comme nous le développerons plus loin, les intérêts des classes déjà conditionnées par la division du travail, qui se différencient dans tout groupement de ce genre et dont l’une domine toutes les autres. Il s’ensuit que toutes les luttes à l’intérieur de l’État, la lutte entre la démocratie, l’aristocratie et la monarchie, la lutte pour le droit de vote, etc., etc., ne sont que les formes illusoires sous lesquelles sont menées les luttes effectives des différentes classes entre elles (ce dont les théoriciens allemands ne soupçonnent pas un traître mot, bien qu’à ce sujet on leur ait assez montré la voie dans les Annales franco-allemandes et dans La Sainte Famille); et il s’ensuit également que toute classe qui aspire à la domination, même si sa domination détermine l’abolition de toute l’ancienne forme sociale et de la domination en général, comme c’est le cas pour le prolétariat, il s’ensuit donc que cette classe doit conquérir d’abord le pouvoir politique pour représenter à son tour son intérêt propre comme étant l’intérêt général, ce à quoi elle est contrainte dans les premiers temps. Précisément parce que les individus ne cherchent que leur intérêt particulier, – qui ne coïncide pas pour eux avec leur intérêt collectif, l’universalité n’étant somme toute qu’une forme illusoire de la collectivité, -cet intérêt est présenté comme un intérêt qui leur est «étranger», qui est «indépendant» d’eux et qui est lui-même à son tour un intérêt «général» spécial et particulier, ou bien ils doivent se mouvoir eux-mêmes dans cette dualité comme c’est le cas dans la démocratie.

Par ailleurs le combat pratique de ces intérêts particuliers, qui constamment se heurtent réellement aux intérêts collectifs et illusoirement collectifs, rend nécessaire l’intervention pratique et le refrènement par l’intérêt «général» illusoire sous forme d’État. La puissance sociale, c’est-à-dire la force productive décuplée qui naît de la coopération des divers individus conditionnée par la division du travail, n’apparaît pas à ces individus comme leur propre puissance conjuguée, parce que cette coopération elle-même n’est pas volontaire, mais naturelle; elle leur apparaît au contraire comme une puissance étrangère, située en dehors d’eux, dont ils ne savent ni d’où elle vient ni où elle va, qu’ils ne peuvent donc plus dominer et qui, à l’inverse, parcourt maintenant une série particulière de phases et de stades de développement, si indépendante de la volonté et de la marche de l’humanité qu’elle dirige en vérité cette volonté et cette marche de l’humanité. »

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