Dans Libération, Pierre (Laurent), j’espère que tu parles pour toi-même!

Dans Libération, Pierre (Laurent), j’espère que tu parles pour toi-même !

Lettre d’Emmanuel Dang Tran , membre du Conseil national du PCF à Pierre Laurent, secrétaire national du PCF

24 août 2012

Cher Pierre,

Je ne participerai pas à « l’Université d’été » du Front de gauche qui débute aujourd’hui parce que ce n’est pas mon organisation politique. Mois après mois, les communistes peuvent voir la confirmation de la constitution d’une organisation parallèle qui supplante le PCF. Elle sert de moyen pour forcer sa transformation en parti de gauche comme les autres, dans le cadre d’une recomposition politique. Toutes les décisions structurantes, Mélenchon à Hénin-Beaumont, la campagne sur le TSCG, sont prises à un niveau « au-dessus » que même le Conseil national du PCF ne connaît pas.

Depuis quelques jours, de très nombreux camarades me contactent pour exprimer leur stupéfaction ou leur colère devant le contenu de la tribune que tu as écrite pour le quotidien « Libération », publiée le 15 août (texte intégral ci-dessous). Il est très regrettable que l’Humanité ne l’est pas reprise. A une semaine de la rentrée du Front de gauche, à quelques mois de notre congrès, les positions que tu exprimes indiquent, sans langue de bois, une orientation, une volonté politique qui sont effectivement de nature à choquer les communistes, surtout venant de la part du secrétaire national du PCF.

« C’est une révolution chez les communistes de ne plus avoir l’idéal comme horizon ! » résument logiquement les journalistes de Libération à ton interview: cela ne te dérange pas. De même, la perspective du maintien de la propriété privée des moyens de production ne te dérange pas. Tu considères que : « Le PCF d’aujourd’hui est l’héritier des traditions socialistes et communistes de la première moitié du XXe siècle ». Au moins, tu as le mérite de mettre les pieds dans le plat (à destination des lecteurs de Libération) et de mettre clairement le « Congrès de Tours » à l’envers à l’ordre du jour. Déjà l’an dernier, dans ton discours à la Fête de l’Huma, une formule avait fait mal. A tes « amis socialistes », tu disais : « Il y a 20 ans, vous nous demandiez d’être démocrates, nous le sommes devenus. Aujourd’hui, nous vous demandons d’être de gauche ».

Le PCF héritier de Blum ou de Sérol ? Pour moi, c’est inconcevable. La négation de l’identité du PCF, c’est aussi le contraire d’une perspective d’union et de rassemblement révolutionnaire. Le Front de gauche peut choisir les références qu’il veut, de Jules Moch à Mitterrand, inspirateur de Mélenchon mais qu’il le fasse de son côté. Il n’est pas acceptable que secrétaire national du PCF, tu entraînes notre Parti. Notre pays n’a pas besoin d’une deuxième social-démocratie, d’un plan B à gauche du PS.

Ce que nous pouvons constater une nouvelle fois, c’est la tentative de coup de force pour dénaturer le PCF, capter ce qu’il représente théoriquement et historiquement, pour mieux l’effacer. Depuis 20 ans, malgré les dégâts de cette ligne pour notre parti et le pays, les dirigeants successifs reprennent inlassablement ce projet destructeur, aussi grave que les transformations, changements de nom ou recompositions d’autres partis communistes notamment sous l’impulsion du Parti de la gauche européenne que tu présides.

Depuis la « Mutation » de Robert Hue, en passant par le congrès de Martigues en 2000, par les collectifs antilibéraux, par la remise en cause par Marie-George Buffet au CN de juin 2007 de la raison d’être même du Parti, maintenant par le Front de gauche, décidé en marge du 34ème congrès, sans les communistes, la stratégie des coups de force continue. Les communistes sont écartés. Tout se décide sans ou malgré eux. La mascarade de consultation en 24 heures après les législatives en est la dernière illustration.

L’effacement des positions de notre parti, de son organisation spécifique, pèse très lourd dans cette rentrée. Le lien est direct avec les positions théoriques que tu reprends.

La lutte nationale à préparer pour l’industrie, en partant notamment de la mobilisation à PSA, a besoin d’un parti qui remet en cause la propriété privée des moyens de production. Ce n’est en reprenant la promesse de Hollande de contrôler les « licenciements boursiers » (comme s’il y avait des licenciements non liés au profit capitaliste) que nous y contribuerons.

Tu parles, à juste titre, du financement de la sécurité social. Mais l’abandon ces dernières années de la revendication du retour aux 37,5 annuités, le projet de « modulation des cotisations sociales » du Front de gauche ne nous permettent pas de reprendre l’offensive pour la retraite à 60 ans.

Comment a-t-on pu laisser l’illusion, pendant la campagne électorale, que le TSCG était « renégociable » ? Plus que jamais alors que une politique de super-austérité se prépare au nom de l’euro et avec l’euro, la remise en cause de la monnaie unique, machine à broyer les acquis sociaux et démocratiques des peuples, s’impose, sur la base des analyses que notre parti avait mises en avant contre Maastricht.

Voilà ce dont il est impératif, en lien avec l’action, que les communistes discutent, à tous les niveaux, avec les travailleurs à qui nous nous adressons. Pour moi, ces luttes sont indissociables d’une perspective révolutionnaire, de rupture révolutionnaire, portée par un parti communiste.

Peut-on transformer le PCF en autre chose qu’un parti communiste ? Personnellement, je pense que c’est impossible.

Une fois que l’on a abandonné la perspective du socialisme, dilué le marxisme, abandonné l’organisation léniniste, que l’on s’est rallié aux à la condamnation des expériences socialistes du 20ème siècle venant de l’idéologie dominante (au lieu de faire notre propre analyse critique communiste), maintenant que l’on ne fait plus de différence entre le mouvement socialiste et le mouvement communiste de la première moitié du 20ème siècle en France, je ne vois pas comment on peut prétendre poursuivre le PCF. On ne peut que le détruire.

Le débat peut exister. Mais Pierre, quand tu écris dans Libération, parle en ton nom et non au nom des communistes.

Transformer le PCF en autre chose qu’un parti communiste : non seulement je pense que c’est impossible, mais ce n’est pas le choix que je fais comme des milliers de camarades et bien d’autres encore. Moins que jamais, nous n’accepterons, dans les mois qui viennent, que la souveraineté des communistes soient bafouée. Plus que jamais, nous alimenterons le débat, des sections au Conseil national, et nous ferons tout pour faire vivre et renforcer le PCF.

Reçois, cher Pierre, mes salutations fraternelles,

 

Emmanuel Dang Tran

 

«Le communisme n’est pas une société parfaite à atteindre», Libération, 15 août 2012
De la suite dans les idées (5/5) «Libération» profite de la pause estivale pour sonder le cortex idéologique de cinq responsables politiques. Aujourd’hui : Pierre Laurent (PCF).

Pierre Laurent est secrétaire national du Parti communiste français (PCF).

Quel sens cela a-t-il de se dire «communiste» en 2012 ?

Le communisme, c’est une mise en commun, un partage. Et la révolte contre l’injustice est toujours autant d’actualité. Tous les systèmes d’aliénation doivent être dépassés pour inventer une autre manière de vivre ensemble. Après plusieurs décennies de mondialisation accélérée, on voit aujourd’hui émerger la question des «biens communs» de l’humanité et revenir celle de la maîtrise sociale des richesses. Pendant une partie du XXe siècle, les idées communistes ont été dogmatisées, jusqu’à être détournées de leur objet dans les pays de l’Est. Mais les idées communistes, au-delà des caricatures et de leurs perversions profondes, restent valables. Cela suppose un effort d’invention extrêmement profond pour penser des solutions dans un monde très différent.

Par exemple ?

L’impasse majeure des expériences communistes a été l’aveuglement démocratique. Il a empêché de dépasser les obstacles rencontrés. Aujourd’hui, les modèles représentatifs touchent leurs limites à cause d’un niveau inédit de savoir dans la société. Les démocraties doivent être profondément renouvelées. Le sens de la production doit être repensé. La question du sens des richesses produites, qu’il s’agisse de leur utilité et de leur finalité, devient décisive pour l’avenir écologique de la planète.

En tant que communiste, êtes-vous toujours opposé à la propriété privée des moyens de production ?

La vision étatiste, centralisée de la propriété collective est dépassée, mais pas l’appropriation sociale des richesses. Le système de la Sécurité sociale, créé en France à la Libération à l’initiative d’un ministre PCF, est une idée profondément communiste ! Prélever à la source une partie des richesses pour la consacrer au bien-être social des populations, c’est communiste ! Mais cela n’est pas contradictoire avec l’existence d’entreprises privées ! Le communisme aujourd’hui est tout sauf un égalitarisme qui s’imposerait de manière administrative et qui nierait le travail. Les individus ont besoin de confronter librement leurs envies de création. Mais, je n’aspire pas à une société idéale.

C’est une révolution chez les communistes de ne plus avoir l’idéal comme horizon !

Je suis animé par le fait de rêver une société, mais ça n’a rien à voir avec définir une société idéale. Je ne crois pas plus au communisme par plans quinquennaux. Le communisme est un mouvement, un chemin de projets partagés, sans cesse remis en discussion. Ce n’est pas une société parfaite à atteindre.

Le communisme d’aujourd’hui ne serait-il pas devenu le socialisme d’hier ?

Entre 1830 et 1917, le Manifeste du Parti communiste de Marx et Engels se décline dans une multitude d’expériences dites socialistes. Mais à partir de 1917, un débat traverse les forces socialistes dans le monde entier, et un très grand nombre d’entre elles choisit la voie communiste. Relisez les textes socialistes de 1936, vous verrez la distance avec ce que dit le PS actuel. Le PCF d’aujourd’hui est l’héritier des traditions socialistes et communistes de la première moitié du XXe siècle, alors que la plupart des sociaux-démocrates ont perdu le fil de cette tradition.

Mais pourquoi garder le nom «communiste» ? Par nostalgie ?

Parce que la gauche française s’est structurée en deux grands courants issus de la même matrice. Les communistes et les socialistes. Cela marque les consciences et les cultures. A partir des années 60, ces deux grands courants ont eu des stratégies communes de conquête du pouvoir à travers un programme commun, la gestion de municipalités, des expériences gouvernementales. C’est une originalité française d’avoir eu en Europe une gauche très à gauche ! Mais on voit aujourd’hui, à rebours de l’histoire, le PS français vouloir faire tardivement une mue sociale-démocrate. Au moment où toute la gauche française doit repenser ses fondamentaux ! Avec la stratégie du Front de gauche, le PCF est engagé dans une transformation très profonde. En tirant les leçons de son histoire et grâce aux nouvelles générations.

Le communisme productiviste et l’écologie sont-ils compatibles ?

Ils sont inséparables. Produire toujours plus sans se poser la question de savoir si on répond à des besoins utiles, cela n’a pas de sens. La réflexion écologique permet de s’interroger sur le sens de l’activité humaine. Mais pour penser la transition écologique, nous aurons besoin d’outils industriels. On peut à la fois défendre notre industrie et défendre le fait qu’elle doit connaître une mutation. Nous sommes bien conscients que si la prévention écologique n’est pas intégrée dans l’activité industrielle, celle-ci va continuer à faire des dégâts environnementaux.

Les déchets nucléaires engagent des générations… Vous êtes toujours pronucléaire ?

Pour certains, le nucléaire est devenu l’alpha et l’oméga de la question écologique. C’est très réducteur. Deux questions se posent : est-ce que la maîtrise de cette technologie dans de bonnes conditions écologiques est possible ? Est-ce que les risques sont supportables et répondent aux enjeux énergétiques ? Si la société répond que le nucléaire ne doit pas être utilisé, les ouvriers du secteur, avec leur haut niveau de qualification, peuvent facilement se reconvertir. Si on considère qu’il reste nécessaire, il faut créer des conditions de sécurité suffisantes pour les salariés comme pour la société.

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